Le Oui azizien l’a emporté. D’une manière ou d’une autre, les résultats sortis, non pas des urnes mais plutôt de la boîte noire de l’Administration et de la CENI, l’ont donné gagnant à plus de 83%. Pourtant, de nombreux indices, laissaient prévoir un cinglant rejet de cette réforme controversée, déjà douloureusement balayée par le sénat, il y a quelques mois.
Outre le boycott du scrutin par la vraie opposition, les électeurs dans leur ensemble, boudaient visiblement le vote. Les bureaux de vote, désespérément calmes, n’étaient animés, au mieux, que par une poignée d’activistes qui s’adonnaient aux votes multiples, au vote par procuration et autres précédés délictueux. Tout un système de fraude à ciel ouvert a été mis en branle parce que le pouvoir ne pouvait souffrir un deuxième rejet de cette réforme, qui serait mortel pour lui.
Ainsi, d’interminables lots de cartes d’électeurs ont été mis à la disposition de certains notables locaux dont celui, photographié à son domicile, à Néma, devant une pile de cartes d’électeurs, qu’il s’acharnait à distribuer à des votants «sûrs», préalablement achetés à coup de milliers d’Ouguiyas. De même, et pour faciliter l’exécution de «bonnes» opérations électorales, les petits leaders traditionnels tenaient à s’assurer la complicité des présidents de bureaux de vote pour pouvoir s’adonner directement au bourrage des urnes.
Exemple : sommé par un potentat local de procéder au bourrage des urnes, le sieur Abou Nejatt Mohamed Ould Babiya, qui devait présider un bureau de vote dans la commune de Jreïf, moughataa de Tintane, s’est paradoxalement vu disqualifié par la CENI, juste parce qu’il a dit au chef tribal local qu’il demeurera fermement intransigeant sur le respect des normes de droiture et de transparence. Et les cas similaires sont légion. On parle même de vote en lieu et place de personnes qui appartiennent déjà à l’empire des morts ! Un peu partout, on a usé, sans rechigner, de tous les stratagèmes et de toutes les intrigues pour faire «passer» cette réforme voulue par le régime du général Abdelaziz. Un peu partout, on a usé de la triche pour booster un taux de participation des plus paresseux et conforter le Oui azizien. Un peu partout, on a fauté pour plaire au général et à son oligarchie. Un peu partout, de sombres militants de quartiers, encadrés par des activistes à la solde du pouvoir, ont participé à ce qui s’apparente à un putsch contre la volonté populaire et contre les institutions républicaines. Résultat, une écrasante victoire du Oui, exagérément écrasante d’ailleurs pour celui qui a vu comment le public s’abstenait, samedi, de voter. Une écrasante victoire certes, mais une victoire au goût amer. Parce que, quoiqu’on en dise, ce scrutin aura quand même montré au général Abdelaziz les limites réelles de son assise populaire. Ce vote aura surtout montré au pouvoir que, sans le recours à la fraude massive, il n’aurait jamais pu faire passer cette réforme. Il s’agit donc d’une victoire qui, paradoxalement, cache une demi-défaite. Surtout qu’au sortir de ce scrutin, la crise politique demeurera et la fracture qui la matérialise s'aggravera.
La Mauritanie, sans son sénat et avec son drapeau et son hymne modifiés, ne sera donc pas sortie de l'auberge. Car, en définitive, le changement qu’attend le peuple mauritanien et que le général n’a eu de cesse de promettre, ne saurait se résumer à une modification, somme toute, précaire et révocable du drapeau et de l’hymne national. Précaire et révocable, oui, parce que les exemples de la Libye et la RDC nous apprennent que les changements de drapeaux ne survivent guère à leurs initiateurs. Ça voudra dire que si on change, on n’arrêtera pas de changer.
Ely Abdellah