Avait-on besoin de cette autre crise du Golfe ? Avait-on besoin de brader l’indépendance de notre décision ? Avait-on besoin de découvrir notre déconcertante satellisation à une puissance étrangère ? Pouvait-on, un jour, s’imaginer que la Mauritanie est descendue si bas au point de laisser les autres décider à sa place ? Tous ceux qui avaient vu comment la Mauritanie a négocié une brillante entrée sur la scène pouvaient mal croire qu’il n’allait plus rien lui rester de cette aura que ses premiers diplomates lui ont léguée.
La rupture de nos relations avec le Qatar, juste parce que ce richissime émirat a des problèmes avec son grand voisin saoudien, est l’une des dernières énormités qui sont venues saper le petit peu qui restait de notre orgueil national.
Moktar Ould Daddah, qu’Allah ait son âme, doit s’être remué plusieurs dans sa tombe, lui qui a toujours défié les grands de ce monde, en rompant, s’il le fallait, les relations diplomatiques avec eux, en dénonçant les rapports coloniaux unissant la Mauritanie à certains parmi eux, en délocalisant, pour l’unique fois dans l’histoire, l’une des réunions du conseil de sécurité et en refusant obstinément de se laisser dominer quel que grand que ce soit.
Le tout, l’ancien président l’avait fait alors que le pays dont il présidait aux destinées venait à peine d’accéder à la souveraineté et était encore désespérément démuni.
En son temps, la Mauritanie, quoique pays naissant, avait son mot à dire sur la scène mondiale et lui, il avait sa place aux côtés des dirigeants les plus en vue d’alors qui lui vouaient estime et respect et qui ne pouvaient, à aucun moment, interférer dans nos affaires intérieures ou nous dicter les orientations de notre diplomatie.
Sincèrement, et pas pour les beaux de l’émir Temime ou de son petit émirat gazier, je ne pouvais guère m’imaginer que l’Arabie Saoudite pouvait avoir le culot de nous intimer l’ordre de rompre avec Doha parce que Riyadh a senti le besoin de disculper auprès des Etats Unis d’Amérique en leur faisant croire que c’est plutôt le Qatar qui incarne et alimente la machine terroriste !
D’autres pays, un peu plus respectueux de l’orgueil de leur peuple, n’avaient pas succombé aux promesses saoudiennes et avaient refusé de rompre avec Doha, se limitant à proposer leurs bons offices pour des retrouvailles entre cet émirat et son arrogant voisin. Pourquoi pas, nous ?
Nos trois partenaires maghrébins, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, ont tous sauvé les meubles en s’abstenant de prendre partie pour l’un ou l’autre de ces deux protagonistes de la péninsule arabique. Du coup, ils n’ont pas insulté l’avenir de leurs relations avec ces deux pays qu’ils pourront toujours regarder droit dans les yeux. Pourquoi pas nous ?
En fait, c’est ça ce qu’il nous fallait faire. Parce qu’il est certain qu’il n’y aura pas de 4e guerre du Golfe. Les Etats Unis, mêmes déboussolés par le tout nouveau D. Trump, n’accepteront, pour rien au monde, de risquer un embrasement des derniers bastions stables de la région.
Par conséquent, il faut s’attendre à un rapide règlement du contentieux qataro-saoudien et là, tous les pays qui ont pris fait et cause pour Riyadh auront, sans doute, des problèmes. Comment peuvent-ils désormais traiter valablement avec Doha ? Est-ce que cet émirat pourra encore avoir confiance en eux ? Est-ce qu’ils vont pouvoir rétablir leurs relations avec lui ? Comment cela va se faire ? Est ce que l’Arabie Saoudite, qui a été à l’origine de la rupture, se fera le devoir d’épauler ses pays satellites pour qu’ils retrouvent le chemin de Doha ?
Ce sont des questions de ce genre que se posent tous les patriotes soucieux de l’image de notre pays et, surtout, de son indépendance qui, somme toute, ne pourrait pas avoir de prix.
Ces sont aussi ces mêmes questions que le pouvoir du général Abdelaziz devait se poser avant de prendre parti pour un frère au détriment d’un autre frère.
Ely Abdellah