Le Premier ministre Yahya Ould Hademine est finalement allé retrouver les siens à l’intérieur. Voyage non officiel dit-on, supra régional et non moins tribal où, en cette période de soudure, les populations d’Effam Lekhdheyrat, Tintane et Djiguenni ont déroulé le tapis rouge pour accueillir leur fils.
Bien entendu, ces populations attendaient de Monsieur Hademine beaucoup plus qu’un simple plaidoyer en faveur des amendements constitutionnels. Elles attendaient de l’eau, des denrées de base à des prix réduits, des services de santé de qualité, des aliments à bétail, des routes ou des pistes pour désenclaver les patelins les plus reculés, des écoles, des micro-crédits pour les AGR et une forte réduction des tarifs des hydrocarbures. Elles attendaient plein de choses, le Premier ministre, leur fils, n’étant jamais venu leur rendre visite, lui qui leur amène copieusement l’eau à la bouche à force d’énumérer, à tout bout de champ, cette panoplie de réalisations qu’il dit être à l’actif du régime.
Là bas, en suivant le PM réciter sa copie sur les acquis que nous devons, selon lui, au président Abdel Aziz, certains, n’ayant vraiment rien senti en termes d’amélioration de leur vie quotidienne, en sont arrivés à croire que toutes réalisations citées par le quasi chef du gouvernement sont annoncées pour un futur proche. Peu parmi les habitants de là bas savaient que ces réalisations sont citées en acquis depuis longtemps mais sont juste ce qu’elles sont et n’ont, pour la plupart, pas d’effet majeur sur la vie quotidienne du plus grand nombre. L’usine de Néma pour les produits laitiers en fait partie, aux côtés de celle où doivent être assemblés les avions à Nouakchott et bien d’autres. Comment pareilles réalisations qui n’ont pas vu le jour et qui, fort probablement ne le verront jamais, peuvent-elles avoir des retombées sur la vie quotidienne des citoyens ? Comment si elle n’entre pas en fonction, la laiterie de Néma peut-elle améliorer le sort des éleveurs, créer des emplois et développer une plus value à partir des sous produits de l’élevage ? Pour que ces réalisations là aient des retombées perceptibles par les populations, il faut qu’elles voient le jour, pour certaines, et qu’elles entrent en fonction pour d’autres. Mais, en dépit de cela, il y aura toujours des flagorneurs, savamment sélectionnés en haut lieu, qui seront là pour vanter les réalisations et pour dire que le pays ne peut guère se passer du président Abdel Aziz .
Les amendements, ça ne se mange pas !
S’agissant de cette visite et, peut être en raison de la conjoncture difficile que traversent les régions visitées où sévit la soif, on s’attendait, pour beaucoup, à bien des dividendes de la tournée du PM. Pour les gens là bas, il est impensable que le N° 1 du gouvernement revienne chez lui sans faire preuve de beaucoup de largesses en ramenant plein de sous, en mobilisant tout ce qu’il faut pour venir en aide aux populations en mettant en œuvre de petits projets qui seraient porteurs dans tous les domaines. Mais, comme le PM a surtout parlé des amendements constitutionnels, il y en a, m’a-t-on rapporté, qui en sont arrivés à se poser la question de savoir quelles retombées ceux-ci vont-ils avoir sur notre vie. Il y en a qui ont dit haut et fort qu’en cette période de soudure, plutôt que les amendements, les populations ont besoin d’avoir de quoi manger. En fait, en milieux villageois, les gens vivent très mal pour ne pas dire qu’ils ne vivent pas. Et le discours tenu par le PM est en rupture totale avec leurs préoccupations. Là bas, tout ce qui n’a pas d’effets sur la qualité de la vie n’intéresse pas. « Les réalisations, on n’en a cure lorsqu’elles n’ont pas de retombées sur notre vie quotidienne », m’a déclaré quelqu’un de la région, comme pour me dire que la révision de la loi fondamentale n’est vraiment pas une priorité pour le bled par les temps qui courent. «Ce qu’il faut pour nous, m’a dit cet interlocuteur, c’est le changement, un changement qui nous fera oublier cette période de dèche où tout a l’air de vouloir s’arrêter » et il ajoute : «comme les amendements constitutionnels ne se mangent pas, nos gens là bas peuvent bien s’en passer ».
Si c’est ça, Ould Hademine est, malheureusement, passé à côté de la plaque. Non seulement, il n’a rien ramené avec lui mais aussi il a dit qu’en 2019, il n’y aura pas de changement. Il devait même créer le buzz en disant que «la Mauritanie a encore besoin du président Abdel Aziz pour poursuivre les précieuses réalisations accomplies dans l’intérêt du peuple». Or, si ces mots ont bien un sens, cela veut dire que le président restera au-delà de son second mandat. Le PM ne doit pas s’être trompé, il ne doit pas non plus ignorer que cette affirmation au demeurant très grave, ajoutée aux atermoiements du pouvoir et à ses tentatives par tous les moyens de modifier la constitution, laisse vraiment penser que quelque chose est en train d’être mijoté, que le régime du général multi putschiste et ceux qui évoluent dans son orbite préparent un nouveau stratagème. Si, comme le pensent bien des observateurs, ces craintes s’avèrent justifiées, qu’est ce qui sera advenu de la déclaration du général, dans laquelle il disait ne pas avoir l’intention de se présenter pour un troisième mandat ? L’aura-t-on oubliée ? Cette déclaration, qui avait en son temps surpris même les plus proches lieutenants du général, est-elle devenue caduque ? Ou alors essaye-t-on simplement de sauver les meubles en plaçant la barre très haut pour pouvoir aisément trouver un successeur au général, qui serait bon à tout faire ? En tout cas, le général Abdel Aziz a déjà dit que, même s’il quittera le palais, il continuera à faire de la politique. Peut-être que c’est cette dernière déclaration qui a mis de l’eau au moulin de Ould Hademine et du sous chef de l’UPR qui ont répété à qui veut les entendre qu’il n’y aura pas de changement en 2019. Peut-être dans une tentative d’influencer le vote des citoyens, en leur disant que le pouvoir ne changera pas de mains afin de s’assurer leurs suffrages pour trouver un alibi au putsch constitutionnel attendu. De ce côté-là, on a besoin de s’appuyer sur un chef qui reste au pouvoir pour glaner le maximum de voix. On en a fort besoin car, ici, si les Mauritaniens écoutent le chef pendant qu’il est là, en chair et en os, bien assis sur le strapontin, s’ils votent facilement en sa faveur pendant qu’il est en place, ils développent tout aussi la fâcheuse habitude de lui tourner le dos dès qu’il perd un peu de sa forme ou si, comme c’est le cas ici, ils savent que probablement, il fera ses adieux à un moment donné. Toute cette frénésie qui s’empare actuellement de la majorité au pouvoir, toutes les mises en doute du départ d’Abdel Aziz en 2019 viseraient justement à réduire le manque à gagner en suffrages que suscite déjà l’éventuelle sortie du général au terme de son second mandat.
Saura-t-on trouver la parade à ce départ prévu sans davantage de violations de la loi fondamentale ? Là est toute la question.
Ely Abdellah