Aux premières lueurs du jour naissant, il nous quitta. C’était un vendredi. Il se rendait à la mosquée pour la prière de l’aube.
Il ne savait pas qu’il avait rendez-vous avec le destin. Et que ce chemin si familier, tant de fois parcouru, il ne l’empruntera jamais plus.
Cette disparition brutale provoqua une puissante onde de choc qui traversera nombre de foyers. Etreints par l’émotion, certains pleuraient en silence, d’autres avaient les larmes aux yeux. Tous, en ordre dispersé, convergèrent vers l’hôpital dont l’enceinte se remplit rapidement.
Famille, parentèle, amis, anonymes, tout le monde, le cœur serré, se bousculait pour se frayer un chemin afin d’avoir des nouvelles. Les visages marqués par la douleur, l’œil hagard, tous avaient une pensée d’affection mêlée d’admiration pour cet homme exemplaire.
Un homme dont la vie était sobre, austère même. Un homme qui fuyait le luxe, les honneurs et la facilité. Un homme parmi les rares hommes qui n’était pas habité par la boulimie matérielle ambiante et qui n’a jamais cédé aux sirènes de la corruption ou de la compromission. Un homme qui malgré son rang social vivait comme un simple citoyen. Sans portable, s’habillant toujours en percale, faisant lui-même les courses de la maison et aidant les domestiques dans leur travail.
Un homme exemplaire aussi de par son éducation, sa piété, sa dévotion, son intégrité, sa droiture et ses qualités morales inégalables.
Un homme dont de nombreux témoignages posthumes mirent en exergue les innombrables et discrètes actions de bienfaisance.
Conscient que la seule vie qui vaille est celle d’outre-tombe, il ne s’est jamais laissé subjuguer par les charmes et les délices de ce bas-monde. Il a été rappelé auprès du Tout-Puissant en n’ayant jamais perdu de vue l’essentiel. La quasi-totalité de son temps était consacrée à la mosquée, à l’écriture et à ses étudiants à la faculté de droit.
Il avait une vie rangée. Ses sorties se limitaient à des visites familiales. Ses amis se comptaient sur les doigts d’une seule main. Il ne cherchait jamais à être remarqué et abhorrait le devant de la scène. Sa seule obsession était le travail bien fait.
Professeur émérite, il était docteur d’Etat en droit de la Sorbonne (Paris II), la prestigieuse université française. Sa thèse de doctorat en deux volumes obtenue avec la mention très honorable a été – distinction particulière – proposée pour la publication par la Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence (LGDJ).
Il était l’un des éminents pénalistes mauritaniens. Pour certains, le plus éminent. Ses ouvrages, notamment de droit pénal et de procédure pénale, des outils de travail incontournables pour les étudiants, les magistrats, les avocats, les officiers de police judiciaire sont devenus une référence.
Après le début d’une brillante carrière au barreau, le défunt a fini par renoncer à exercer le métier d’avocat pour des raisons d’éthique personnelle. Depuis plus d’une décennie, il n’a jamais plaidé la moindre affaire. Son seul lien avec ses confrères, c’était le jour de l’élection du bâtonnier lorsqu’on venait solliciter son suffrage.
Il était apolitique. Bien qu’il ait toujours été obnubilé par l’avenir et le devenir de la Mauritanie, le disparu n’a jamais adhéré à un parti politique qu’il soit de la majorité présidentielle ou de l’opposition.
Sous un régime précédent, on lui fit savoir qu’il était pressenti pour le poste de ministre de la justice, garde des sceaux et que le président souhaiterait qu’il l’accompagnât dans une visite à Boutilimit. Il déclina poliment l’offre du poste ministériel et s’abstint, malgré l’avis de ses proches, de faire le voyage de Boutilimit avec le chef de l’Etat.
La nuit, bravant le danger, il se faufilait dans les ruelles étroites et mal éclairées des quartiers populaires pour distribuer vivres et habits aux pauvres et aux nécessiteux.
L’un des nombreux mérites du disparu est d’avoir formé au moins deux générations d’avocats, de magistrats, de juristes et autres hauts cadres de l’Etat.
Il assistait bénévolement tous ceux qui venaient demander conseil dans la démarche à suivre pour recouvrer leurs droits.
Cet altruisme lui a valu, durant les trois jours de présentation de condoléances, un défilé ininterrompu de mauritaniens de tous bords et de toutes conditions sociales, venus lui rendre un dernier hommage : parents, amis, collègues de travail, officiels, notables, anonymes.
La famille du disparu saisit l’occasion pour leur exprimer, à tous, ses remerciements et sa gratitude. Elle tient aussi à remercier particulièrement le ministre de l’Enseignement supérieur, le président de l’Université, le doyen de la Faculté de droit, le corps professoral et les étudiants. Sans oublier les avocats, les autres confrères du défunt.
Tout en espérant l’arrestation rapide et le châtiment exemplaire du ou des auteurs de ce crime particulièrement odieux, nous implorons Allah d’avoir en Sa sainte miséricorde le disparu. A Dieu nous appartenons et à Lui nous revenons.
Pour la famille
Moussa Hormat-Allah
Nouakchott, le 25 mai 2017