Avant sa mise à mort programmée par le pouvoir, le Sénat n’arrête pas de surprendre. Après avoir rejeté avec succès les amendements constitutionnels au niveau des assemblées parlementaires, voilà que la chambre haute vient d’exiger, non sans succès, la libération immédiate et inconditionnelle du sénateur Mohamed Ould Ghadda, arrêté suite à un accident de la circulation au PK 22 de la ville de Rosso, sur la route nationale N° 2. Le sénat, qui est déjà entré dans l’histoire, vient ainsi enfoncer le clou dans cette rude partie de bras de fer qui est de facto engagée entre lui et un pouvoir fermement décidé à supprimer la chambre haute. C’est un autre point à l’actif du Sénat qui vient s’ajouter à ses toutes récentes performances pourtant inespérées dans un pays où on rivalise de zèle pour plaire au chef de l’exécutif afin d’en obtenir les faveurs. Mais il faut souligner aussi, qu’en acceptant d’accéder, dans un délai de moins 24 heures, à la demande de libération du sénateur Ghadda, le pouvoir a montré patte blanche et s’est montré, pour une fois, respectueux de la loi.
Evidemment, la loi fondamentale dispose au dernier alinéa de son article 50 que : «la détention ou la poursuite d'un membre du Parlement est suspendue si l'assemblée dont il fait partie le requiert. » Mais, évidemment aussi, le pouvoir pouvait se prévaloir de « ses » propres arguments pour justifier le prolongement de la détention de Ghadda, voire de son emprisonnement. Celui qui a déjà justifié le recours à l’article 38 pour organiser un référendum constitutionnel peut ne pas se priver de faire ce qu’il veut. Donc, le pouvoir ici a bel et bien lâché du lest, il faut bien le lui reconnaître ! Moi, je me suis toujours demandé pourquoi le pouvoir a reculé de la sorte devant des sénateurs en fin de mandat. Est-ce à cause de l’élan de solidarité dont a joui le sénateur suite au traitement rigoureux qui lui a été infligé ? Est ce à cause des voix qui ont commencé à s’élever pour dénoncer l’excès de zèle dont les gendarmes ont fait preuve pour sévir contre ce sénateur qui a été allègrement dépouillé de ses téléphones portables et interdit de visite durant ses premiers jours de garde à vue ? Est-ce à cause ou grâce aux ayants droit des victimes qui ont déclaré ne pas porter plainte contre l’auteur de cet homicide involontaire ? Est-ce à cause de pressions d’ordre tribal ayant exigé que Ghadda retrouve sa liberté ?
Toujours est-il que Ghadda, qui a retrouvé sa liberté, a exprimé de façon très amère son indignation face au traitement peu amène qui lui a été infligé. Il a précisé, dans une conférence de presse conjointe, qu’il a tenue avec son avocat, Me Ahmed Salem Bouhoubeyni, qu’au départ, les gendarmes avaient commencé à le traiter avec tous les égards avant qu’ils ne reçoivent des ordres d’en haut leur disant de sévir rigoureusement contre lui. C’est là, a-t-il dit que j’ai été dépouillé de mes téléphones, que mes effets personnels et le coffre de mon véhicule ont été systématiquement fouillés. Monsieur Ghadda devait dire que les gendarmes avaient ouvert ses téléphones à son insu et les avaient espionnés, déclinant sa ferme intention de porter plainte contre eux.
Dans cette conférence de presse, l’avocat conseil de Ghadda, Me Ahmed Salem Bouhoubeyni, avait précisé que «dans sa carrière d’avocat, c’est pour la première fois qu’il a été privé de disposer du dossier de la personne qu’il défend. «En tant qu’avocat de Mohamed Ould Ghadda, je n’ai pas, jusqu’à maintenant, pu disposer du dossier de mon client», a-t-il martelé. Il a en outre ajouté qu’en dépit des demandes formulées en ce sens , il ne lui a guère été permis de rencontrer son client. Me Bouhoubeyni a pourtant déclaré que l’intérêt accordé aux avocats est l’aune à laquelle se mesure le respect de la loi par les Etats. Il a indiqué que, s’agissant de ce dossier, il n’a pas pu jouir des faveurs qui lui sont dues de par sa qualité d’avocat. Il a souligné ce déficit avec force, disant que l’intérêt bien compris de tous suppose que les avocats continuent de jouir de toutes les facilités parce que, a-t-il, nul ne peut être sûr qu’il n’aura pas, un jour, besoin des services d’un avocat.
Me Bouhoubeyni a poursuivi en disant que, pour ce cas précis, l’immunité du sénateur Ghadda a vraisemblablement joué contre lui. Ainsi, a-t-il précisé, ce sénateur a été arrêté alors que, dans les mêmes circonstances, même une personne sans immunité n’aurait pas été gardée à vue. Il a conclu que, dans ce dossier, lui-même a été traité, non pas en tant qu’avocat, mais en tant qu’opposant et que M. Ghadda a été traité, non pas en tant que sénateur jouissant de l’immunité parlementaire mais en tant qu’opposant ayant joué un rôle majeur dans le rejet des amendements constitutionnels par la chambre haute.
Aujourd’hui, la sortie de prison du sénateur Ghadda intervient alors que le pays est toujours plongé dans un climat d’incertitudes du fait de ces amendements constitutionnels si chers au président de la République. Y aura-t-il référendum ou pas ? Y aura-t-il référendum le 15 Juillet 2017 ou bien sera-t-il reporté, comme sait bien le faire sous ces latitudes ? Y aura-t-il un nouveau dialogue où participera, cette fois l’opposition, la vraie ou continuera-t-on à se regarder en chiens de faïence ?
Nul ne sait, mais ce qui est sûr, c’est que les préparatifs du référendum n’ont pas vraiment commencé. Les missions qui devaient être dépêchées par le pouvoir pour glaner davantage de soutiens à l’intérieur du pays ne sont pas encore parties et on dit que les financements devant être mobilisés pour le référendum n’ont pu être bouclés. On ne sait donc pas vraiment là où on va. Mais, en attendant, gare à celui qui ose sortir du rang, Quelqu’un sera toujours là pour le rappeler à l’ordre. Comme le sénateur a eu à le vérifier.
Ely Abdellah