Le bouillant sénateur Mohamed Ould Ghadda s’est retrouvé derrière les barreaux en fin de semaine à Rosso. La gendarmerie nationale a gardé cet élu du peuple à vue suite à un grave accident de la circulation où sa voiture a causé la mort de 2 personnes.
Pourtant, Ghadda jouit de l’immunité parlementaire que lui confère l’article 50 de la Constitution du 20 Juillet 1991 qui dispose : «Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.
Aucun membre du Parlement, ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'assemblée dont il fait partie, sauf cas de flagrant délit.
Aucun membre du Parlement, ne peut, hors sessions, être arrêté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont il fait partie, sauf dans le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
La détention ou la poursuite d'un membre du Parlement est suspendue si l'assemblée dont il fait partie le requiert.»
Pourtant, Ghadda, connu pour sa fierté et son courage, ne risque pas de fuir.
Pourtant, les familles des victimes ont déclaré ne pas porter aucune plainte contre le sénateur. Pourtant, un accident de la circulation ne saurait –si je ne m’abuse, moi qui ne suis pas juriste- être assimilé à un flagrant délit !
Mais taisons tout ça et admettons qu’un accident puisse être classé ‘’flagrant délit’’ et que, de par la loi, le sénateur doive être bel et bien gardé à vue, qu’est ce qui peut justifier que Ghadda soit interdit de visite ? Qu’est ce qui peut justifier qu’on lui retire son téléphone portable ? Qu’est ce qui peut justifier qu’on empêche son avocat de le rencontrer ? Quels risques fait-on courir au dossier, aux ayants droit des victimes, à la République ou même au référendum si on ne garde pas ce sénateur dans l’isolement le plus complet ? Est-ce que cet élu n’a pas, quelque part subi l’acharnement de l’autorité chargée de l’enquête ? Je le concède, la gendarmerie doit sûrement savoir ce qu’elle fait et pour quelle raison elle le fait, mais moi, à mon petit, infiniment petit niveau, je ne vois pas à quels risques pareilles largesses pourraient exposer l’enquête. Mieux ou pis, je doute même qu’il y ait le moindre risque dans tout ça.
Justice (im)personnelle
C’est pourquoi, en revoyant qui est monsieur Ghadda et en revoyant surtout le rôle sans doute majeur qui a été le sien dans le rejet des amendements constitutionnels par la chambre haute, j’en arrive à redouter que ce sénateur ne soit tombé victime de sa propre personne...tout simplement, parce que je m’imagine mal que, dans les mêmes conditions, un traitement similaire puisse être infligé à l’un des élus du camp opposé.
Oui, à l’heure où tous les moyens sont mobilisés en faveur du OUI au référendum, où tout semble s’arrêter en attendant le passage au forceps des amendements proposés par le général Abdelaziz, on voit mal la gendarmerie enfreindre les mouvements du moindre des militants de quartier de l’UPR ou de ses partis satellites. Parce que, dans ce pays, on n’arrête pas si facilement l’un des soutiens du président, surtout pas en période de consultation électorale pour un projet que le chef met un point d’honneur à appliquer et à n’importe quel prix.
Je ne souhaite guère qu’un élu du camp présidentiel fasse un accident de la circulation et commette un homicide involontaire mais je suis sûr que si cela arrivait, un traitement aussi rigoureux que celui infligé au sénateur Ghadda ne sera jamais appliqué à qui que ce soit parmi les soutiens présidentiels.
Or, dans la République, dans toute République qui se respecte, la loi est impersonnelle et doit être, sans états d’âme, appliquée à tout le monde, sans distinctions.
Une ligne de conduite pareille est celle-là même qui fait défaut chez nous où tout se fait à la tête du client. S’il s’agit d’accorder un privilège quelconque, on sélectionne le ou les bénéficiaires suivant des critères tout subjectifs, s’il s’agit de sévir contre quelqu’un, on prend soin de savoir qui il est pour ne pas avoir à souffrir de retour éventuel de manivelle. Bien des gens ici qui ont commis de graves crimes avec préméditation, ayant abouti à l’invalidation de tierces personnes, sont passés allègrement entre les mailles du filet et n’ont pas été inquiétés, juste parce que, à la différence du sénateur Ghadda, ils appartiennent au camp des soutiens présidentiels.
Et, ainsi, en Mauritanie, la loi perd, de nos jours, son caractère impersonnel et la République perd de son caractère républicain.
Là et maintenant, c’est le sénateur Ghadda qui en a souffert mais ailleurs et partout et tous les jours, d’autres citoyens anonymes, des laissés pour compte, peu connus à grande échelle, font continuellement les frais de ce genre d’intolérables forfaitures.
Et, comme si de rien n’était, on continue de fauter et de recommencer.
En attendant que soit instauré un système basé sur plus de justice et d’équité.
Ely Abdellah