Et, finalement, qu’est-il advenu du code des transports ? A-t-on remis son application à plus tard ou a-t-on tout simplement abandonné ce texte dont l’application controversée a failli mettre le pays à feu et à sang? La voix des syndicats des transporteurs a-t-elle enfin été entendue ? Les autorités se sont-elles rendues compte qu’elles avaient commis une faute en manquant d’impliquer les syndicats et les usagers dans la conception de ce nouveau code qui a des répercussions sur la conduite et le revenu des uns et des autres ? Que faut-il retenir, à ce propos, de l’interview radiotélévisée des ministres de l’Equipement et des Transports et de l’Intérieur ? Quelles sont les leçons que nous devons tirer de la terrible jacquerie du 30 Avril 2017 qui a secoué tout Nouakchott et plongé ses habitants dans le désarroi et l’anxiété? Nul ne sait jusqu’ici avec précision.
Par contre, ce que tout le monde sait, c’est que la journée du dimanche 30 avril était chaude, très chaude. Partout, du moins dans la majeure partie des quartiers, il y avait des barricades, des jeunes gens qui tenaient la rue, arrêtant les véhicules, sommant les usagers de descendre, brisant des fois les vitres et molestant même tout automobiliste qui proteste ou se fait prier pour obtempérer. Des échoppes ont été pillées, des personnes ont subi de graves blessures, leurs photos ont circulé sur les réseaux sociaux, ajoutant à la panique et au climat délétère qui ont dominé la vie du plus grand nombre. Il y avait un désordre terrible, il y avait la chienlit dans un grand nombre de quartiers de la ville dont certains ont vu des délinquants semer la terreur parmi les populations. Ces manifestants avaient envahi les rues à la faveur du mouvement de grève des transporteurs qui avaient exprimé leur rejet du code des transports qui devait entrer en vigueur à partir du 1er mai 2017.
Situation déjà délicate
La grogne des transporteurs a été amplifiée par de nombreux manifestants, sortis de je ne sais où, érigeant des barricades, de part en part sur la voie publique, mettant à feu des pneus un peu partout, agressant les automobilistes et affrontant les forces de police anti-émeutes dont l’intervention a été jugée, des fois, quelque peu tardive. Mais une fois arrivées sur les lieux, les forces de police avaient toujours pu – et heureusement- renverser la tendance. Il y a eu naturellement des arrestations parmi ceux qui troublaient l’ordre public et qui visiblement avaient exploité l’opportunité offerte par la grève des transporteurs pour s’attaquer aux personnes et à leurs biens. Ce ne sera que vers le milieu de la journée que l’ampleur de la révolte va baisser mais le mouvement allait se poursuivre, surtout dans les moughataas de la périphérie où des magasins ont été pillés et des citoyens innocents agressés. Toutefois, en gros, la situation était sous contrôle même si les réseaux sociaux avaient alimenté les rumeurs les plus folles. L’absence totale de taxis ajoutait à la complexité d’une situation déjà très délicate pour tout le monde.
Pour certains, il s’agissait d’une réédition des événements de 1989, pour d’autres, ce sont les militants de l’IRA qui viennent prendre leur revanche sur ceux qu’ils appellent «les milieux esclavagistes». Des informations de ce genre ont même été relayées par des médias étrangers, en particulier par Kewoulo, ce journal sénégalais qui a publié des témoignages audio vidéo de personnes faisant carrément part d’affrontements inter- raciaux à Nouakchott. Mais au-delà de tout ce qui a été dit et en dépit des agressions signalées ici ou là, il était évident que ces dérapages n’étaient imputables qu’à une minorité d’aigris, la majorité des acteurs rejetant la violence et militant pour l’unité et la solidarité des différentes composantes de notre peuple.
Il reste, néanmoins, que ce qui s’est passé doit interpeller tout le monde, et personne ne doit rester les bras croisés face à tous ceux qui cultivent la violence et la haine des races. Evidemment, la classe politique, dans son ensemble, s’est démarquée de la violence mais est-ce suffisant ? Nous devons tous prendre conscience de la gravité de la situation et tout faire dès à présent pour barrer le chemin à tous ceux qui, ici ou là et pour une raison ou une autre, seraient tentés de porter atteinte à la paix sociale et à l’entente entre tous les Mauritaniens.
C’est vrai que la disparition brutale du regretté président Ely Ould Mohamed Vall a éclipsé ces émeutes mais il faut, un jour, que l’on revienne sur ce qui s’est passé, que l’on situe les responsabilités pour voir qui a fauté et, le cas échéant, éviter à l’avenir de commettre des bourdes pouvant avoir de graves conséquences pour la quiétude publique et la paix sociale.
En l’occurrence, il y a lieu d’éviter de sombrer dans les travers de la mal gouvernance. Dans ce cas précis, le ministère des transports devait associer les syndicats et même les autres usagers à l’élaboration du code des Transports et leur expliquer qu’il ne s’agit pas d’un moyen de renflouer les caisses de l’Etat en multipliant les amendes forfaitaires, comme ont eu à le penser certains manifestants.
Dans sa conférence de presse commune avec son homologue de l’Intérieur, le ministre de l’Equipement et des Transports s’était montré ouvert à toutes les propositions et suggestions des transporteurs et des syndicats mais c’était un peu tard, le mal était déjà là. Peut-être que s’il l’avait fait plus tôt, on aurait fait l’économie de tant de frayeur et tant d’anarchie. Maintenant que tout en est là, la leçon à retenir, c’est qu’il faut toujours comprendre les usagers et les associer autant que faire se peut à la prise de décisions les concernant. C’est aussi que si la majeure partie des Mauritaniens rejette la violence, il y a également fort malheureusement certains milieux qui guettent la moindre occasion pour semer le désordre.
Il restera aux pouvoirs publics d’identifier les auteurs des agressions perpétrées le 30 Avril contre des citoyens innocents, de les remettre à la justice pour qu’ils répondent de leurs actes. Il restera à eux aussi d’éviter tout ce qui peut conduire à des dérapages comme ceux que nous avons vécus le 30 Avril.
Ely Abdellah