Le Sénat a donc rejeté la proposition de loi tendant à modifier la constitution. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un séisme politique. D’autres, plus sceptiques, n’en croient pas leurs yeux et se demandent s’il ne s’agit pas d’un subterfuge, d’une manœuvre destinée à préparer on ne sait quoi encore. Quoiqu’il en soit, les faits parlent d’eux-mêmes. Les sénateurs par une très large majorité de 33 sur 54 (plus de 61%) ont rejeté la loi constitutionnelle.
Au-delà du débat de fond sur la pertinence ou non du contenu de la loi, ce scrutin implique un certain nombre de conclusions. Tout d’abord, d’un point de vue juridique, on peut considérer le projet de loi constitutionnelle comme définitivement mort et enterré. Certains continuent à me poser la question suivante : « maintenant, le gouvernement ne sera-t-il pas obligé d’aller directement au référendum ?», certains médias aussi l’affirment comme une évidence sans même se poser la question.
Il convient de rappeler que les dispositions de la constitution sont claires à ce sujet et ne prêtent à aucune confusion. L’article 99 alinéa 3 dispose ce qui suit : « Tout projet de révision doit être voté à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale et des deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au référendum ».
N’ayant pas recueilli cette majorité qualifiée des 2/3 des sénateurs, le projet de révision ne peut plus être soumis au référendum.
Certains juristes sont tentés, sans grande conviction il est vrai, de mettre en avant l’article 38 de la constitution (« Le président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de référendum »). Ils se posent ainsi la question, l’air de rien. Si le président de République juge qu’il s’agit d’une question d’importance, ne peut-il pas saisir directement le peuple par référendum, en application de cet article 38 ?
La réponse est évidemment NON, puisque ces « questions d’importance nationale » prévues par l’article 38 ne peuvent en aucun cas concerner la révision de la constitution qui est prévue explicitement et exclusivement par les articles 99 et suivants, au sein du Titre XI qui lui est spécialement consacré (TITRE XI - DE LA REVISION DE LA CONSTITUTION). Au plan juridique pur, ce chapitre de la révision constitutionnelle est définitivement clos.
Peut-on toujours parler de majorité ?
Mais au plan politique ? Jusqu’à présent, le pays comptait une majorité et une opposition. A partir de ce scrutin, même si l’opposition est toujours là, on peut se demander s’il existe toujours une majorité. En effet, sur les 54 sénateurs, la plupart (plus de 40) provenaient de la majorité. Cela ne les a pas empêchés de rejeter un projet de loi proposé par le gouvernement, reflétant les décisions personnelles du Chef de l’Etat, défendu par le gouvernement et par l’UPR et déjà approuvé à une très large majorité par l’Assemblée nationale. L'ont-ils fait par patriotisme, pour défendre la constitution, comme les encensent depuis quelques jours les réseaux sociaux ?
Ou ne s'agit-il en réalité que d'une corporation qui, dans un élan strictement matériel, veut défendre bec et ongles son statut, comme beaucoup le pensent ? On serait tenté de le penser ; il est facile en effet d’accuser l’autre, surtout quand l’autre, effectivement, n’est pas innocent.
Nous n’irons pas jusque là. Anges ou démons, nos sénateurs nous auront en tous cas sortis de la torpeur dans laquelle cette révision programmée nous avait installés. Et dès lors, nous ne pouvons que nous poser la question de fond à savoir s’il existe toujours une majorité politique dans notre pays.
Les récriminations indignées et les accusations de trahison que les militants de la majorité lancent à l’encontre des sénateurs, et que Radio-Mauritanie diffuse en boucle à longueur de journée, dévoilent aux au grand jour l’ampleur de la déception née de ce vote du Sénat.
Il apparaît ainsi que la majorité n’était pas liée par un projet commun, ni même par un consensus politique général, mais simplement par des intérêts partagés. Dès qu’on touche aux intérêts, l’union vole en éclats.
A revers, se pose aussi la question de savoir pourquoi le Chef de l’Etat a quasiment imposé l’examen de cette révision constitutionnelle et en a fait une question de principe ? Au risque de se voir désavoué par toute une chambre du Parlement.
Qu’y avait-il à gagner, au fond, avec les révisions proposées ? L’opposition a toujours dénoncé le caractère unilatéral et non consensuel de cette révision constitutionnelle soulignant son inadéquation avec les problèmes réels du pays.
Sénat=danger
Avec le rejet par le Sénat, il apparaît qu’au sein même de la majorité, cette révision n’était pas jugée opportune, ce qui discrédite d’autant, à titre rétroactif, le grand « dialogue national » mené tambours battants en octobre 2016 et dont cette révision avait été présentée alors comme l’aboutissement. Il est vrai qu’on oublie trop souvent qu’un texte fondateur comme la constitution ne doit pas être traité avec autant de légèreté. A trop le manipuler, on court le risque inhérent aux apprentis sorciers qui voient leurs mélanges et leurs fioles leur exploser entre les mains.
Malheureusement, les révisions constitutionnelles continuent à être le sport favori des dirigeants en Afrique où le respect de la constitution et le pouvoir personnel n'ont jamais fait bon ménage.
Napoléon, qui n'était pas le plus mauvais des dictateurs, et qui avait son avis sur le sujet, disait qu'une bonne constitution doit être courte et obscure. Mais Napoléon n’a jamais touché aux sénateurs ; il les désignait même à vie. Notre Exécutif a peut-être oublié que le Sénat est toujours au centre de tous les dangers.
Déjà, dans la Rome antique, les sénateurs avaient assassiné César à qui on prêtait des velléités de se proclamer roi. L’histoire a retenu qu’ils l'avaient fait pour défendre la République.
Plus près de nous, c'est une banale réforme du Sénat (non sa suppression) qui avait été rejetée en 1969 par les français par référendum, ce qui avait obligé de Gaulle à démissionner.
Notons que de Gaulle avait eu recours directement au référendum en vertu de l’article 11 de la constitution française (l’équivalent de notre article 38 cité plus haut). Mal lui en avait pris, puisqu’il avait été fortement critiqué au niveau des principes, en référence à l’orthodoxie constitutionnelle, sans compter que les électeurs français avaient par la suite refusé de ratifier par référendum la révision constitutionnelle que de Gaulle avait présentée.
Outré par ce rejet qu’il a pris comme un désaveu personnel (ce qui était vrai puisqu’il avait lié sa démission à la victoire du « non »), le grand homme avait démissionné de ses fonctions de Président de la République et tiré un trait définitif sur sa vie politique.
Qu’en sera-t-il chez nous ?