Si j’avais à parler aux parlementaires européens en visite chez nous voilà ce que je leur dirais :
‘’ La Mauritanie fait face à plusieurs défis. Le défi de la pauvreté, celui de la bonne gouvernance, de la montée de l’islamisme radical-extrémisme religieux-, de la sécurité. Mais le plus crucial et le plus explosif défi entre tous demeure celui de l’Unité nationale -ou de la cohabitation- résultat de l’exacerbation de la discrimination qui frappe les populations non arabes, doublée de la question haratine ( l’esclavage) .
Derrière le calme apparent des populations noires victimes de toute sorte de discriminations, couve une explosion ; il suffit d’une étincelle! comme pour le mal, ‘’ dans une période d’incubation avant l’éclatement de la fièvre’’. Ces populations supportent de plus en plus mal l’exclusion systématique qu’elles vivent au quotidien dans tous les secteurs de la vie publique. Une Armée nationale mono-ethnique, une Police nationale mono-ethnique pour sécuriser l’ordre inique existant. Des grandes Ecoles spéciales telle l’école de médecine, l’école polytechnique, l’école des mines, l’école de la magistrature et de la haute Administration, l’école des officiers, l’école aéronavale, le Prytanée militaire, quasiment mono-ethniques. Exclues de l’Administration, des médias, de la justice, totalement effacées du secteur économique, voilà que ces populations voient leurs terres de culture actuellement menacées. Un enrôlement biométrique vexatoire, conçu pour les déposséder de leur nationalité, fait beaucoup de victimes, dont maintenant des élèves et étudiants négro-africains contraints par l’Administration scolaire d’abandonner l’école, empêchés de passer examens et concours parce qu’ils n’ont pu se faire enrôler ; des mères, fraîchement accouchées, sont tenues de faire le rang sous le soleil pour enrôler le nouveau-né dans les bras !
Enrôlement exécuté par des commissions, techniques et de supervision, mono-ethniques chargées de recenser une population pluriethnique !!! Présentement plus des 8o centres d’enrôlement dans la vallée du fleuve sont fermés sous de faux prétextes et ceux qui restent ouverts rivalisent d’ardeur en tracasseries …
Les populations qui avaient été déportées au Sénégal en 1989 (120.000 dont 12.000 encore au Mali ) ont été, en partie, rapatriées mais sans pouvoir recouvrer leur nationalité, ni retrouver leurs terres de culture ou leurs villages d’origine, pour la majorité. S’y ajoute un passif humanitaire que le gouvernement refuse de solder correctement, que résument et la question des refugiés rentrés et celle des purges ethniques opérées au sein des forces armées et de sécurité, à travers des centaines d’exécutions extrajudiciaires dont le point culminant fut la pendaison de 28 soldats et officiers négro-africains un 28 novembre 1990 , en guise de célébration de notre accès à la souveraineté interne en 1960 . Aussi nos gouvernants et certains de nos compatriotes veulent-ils que nous célébrions ensemble dans la joie cette date devenue pour nous autres une date-symbole du jour de deuil…
Le colonialisme français, pour constituer la Mauritanie, a assemblé deux aires culturelles distinctes, deux peuples aux traditions et habitudes mentales différentes, deux entités politiques historiques avec chacune son organisation politique et sociale propre. Mais les régimes arabo-berbères, presque sans exception, et celui du Président ould Abdel Aziz en particulier, semblent oublier ou veulent méconnaître cette réalité historique en s’évertuant à gommer l’autre personnalité du pays pour en faire, à marche forcée, un pays exclusivement ‘’arabe’’…au mépris de l’identité factuelle de sa diversité. Cette situation, grave, interpelle la classe politique et intellectuelle arabo-berbère, l’élite en somme- qui doit sentir, si elle est capable de prendre le pouls du pays, cette tension maximale perceptible actuelle. Voilà pourquoi , en son sein, un débat interne sur la question du vivre-ensemble s’impose. Oui ou non voulons-nous vivre ensemble, partager un même devenir dans l’égale dignité ? Cette question lancinante doit être tranchée ! Ce débat interne constitue l’urgence du moment.
-La montée de l’Islamisme radical, autre défi …
Depuis l’avènement du régime actuel, on observe dans les médias des discours à tonalité religieuse de caractère violent, intolérant ; dans les mosquées qui poussent tous les cent (100) mètres on entend des prêches faisant le lit du salafisme. Des associations ‘’d’amis du Prophète’’ surgissent , des marches appelant à l’exécution de ould Mkheitir- le blogueur- se multiplient, des menaces ouvertes de l’assassiner sont proférées, proférées également à l’endroit de son avocat … Le port du niqab se répand à toute vitesse dans un territoire devenu un refuge pour les éléments du Mujao, Ansardine et consorts. Une sorte de terrorisme intellectuel de ces islamistes s’installe, les penseurs libres sont harcelés, pris de peur. En exemple, Mint El Moctar et plus récemment l’activiste mint Brahim sont attaquées ouvertement, tout cela au su et au vu des pouvoirs publics qui laissent faire …Tout comme ces intellectuels qui observent sans rien dire et qui finiront sûrement par s’y brûler pourtant !
En fait la lutte contre le terrorisme est plus proche du faire-semblant que de la réalité . Si en surface ce régime déclare lutter contre le terrorisme, dans les faits il semble plutôt flirter avec ceux qui le nourrissent ....
- Le 3e mandat - autre point explosif -
Le Président Abdel Aziz malgré ses déclarations publiques ne donne pas l’impression d’avoir totalement renoncé à briguer le 3e mandat. Il avait procédé par ballons d’essai, puis tenté d’y pousser à travers le dialogue national de septembre 2017 dont les résolutions essentielles ont été dévoyées, entre autres l’officialisation des langues nationales - point de consensus avéré -. Il chercherait actuellement à négocier ce 3e mandat par l’achat de consciences de certains élus et de quelques leaders de partis politiques . Or le 3e mandat constitue pour l’opposition arabo-berbère une ligne rouge à ne pas franchir. Ce serait donc, après la question négro–africaine, le point de rupture dominant, la source potentielle de turbulences et d’instabilité certaine …
- Diplomatie ambigüe, tâtonnante …
Une diplomatie ambivalente, suffisante et pleine de maladresses, qui se veut participative aux missions de maintien de la paix (Centrafique , Côte d’Ivoire ) mais entretient un climat de suspicion et de tension avec ses voisins immédiats . Avec le Mali, il y a un déficit de confiance –à juste raison ; déficit de confiance également avec le Maroc , tension larvée permanente avec le Sénégal, sciemment entretenue, problème de leadership avec l’Algérie que traduit une relation du ‘’je t’aime moi non plus’’ …
-Obstacles à l’érection d’un Etat de droit
Ce régime ne respecte pas les libertés fondamentales. Le Président Ould Abdel Aziz n’arrive pas à se départir des réflexes du général qui éprouve un mépris souverain pour le Droit et la loi qu’il tourne en dérision. Avec une posture du genre ‘’la loi c’est moi et seulement moi’’ , il ne peut émerger un Etat de droit! Les généraux et les libertés font rarement bon ménage, c’est connu. Chaque jour nous assistons à une restriction croissante des libertés. Les libertés d’association , de manifestation et même de réunion dans des hôtels et domiciles privés sont empêchées ; une des premières victimes a été le parti FPC. Les récentes lois sur la cyber-criminalité s’inscrivent dans ce sillage . Des associations monoethniques de tir à la cible - milices déguisées- prolifèrent sous la bénédiction du pouvoir …Des opposants sont embastillés sans raison objective, comme les militants de l’IRA, dernièrement . Pour jouir de ces droits - pourtant garantis par la constitution- il faut faire allégeance au régime, tout comme pour être reconnu officiellement en tant que parti politique.
Mon parti politique- les Fpc - paie pour son indépendance. Après 23 ans d’exil , nous avons décidé de renoncer à la lutte illégale pour inscrire notre action dans la légalité, et dans le jeu démocratique ; voilà qu’on nous empêche de nous exprimer… Nous avons rempli toutes les conditions légales pour obtenir un récépissé de reconnaissance légale, voilà qu’on nous le refuse . Des pressions sont exercées sur des Associations reconnues et des médias privés pour nous empêcher de nous exprimer sur leurs plateaux.
-Perspectives anticipées (rencontres de groupes / commissions /ateliers /séminaires /colloques)
Dans les rencontres où vous serez invités, à titre d’hôtes, vous entendrez de la bouche de vos interlocuteurs que tout va bien dans notre pays. Que l’enrôlement des populations se déroule sans accroc, que la diversité culturelle est reconnue , respectée et observable… tant qu’on voit Négro-africains et haratines danser et chanter …comme des troubadours pendant nos festivals et cérémonials .
On vous dira que la torture est bannie, que la corruption est combattue avec force tout comme l’esclavage à travers structures et tribunaux, nouvellement créés…Qu’il y a des marches, des carnavals organisés en guise de célébration de la lutte contre la corruption. Ne vous y fiez pas ! Tout cela n’est qu’un écran de fumée, destiné à abuser les visiteurs et partenaires mauritaniens . Rien de sérieux, on fait semblant, comme toujours... La réalité est que la corruption gangrène l’administration, la Justice, l’ état civil , les contrôles aux frontières où se produit un véritable racket ; bref elle infeste tous les secteurs publics…On ne prend aucune mesure élémentaire adéquate sérieuse pour lutter contre le fléau, telle la déclaration de revenu pour les hauts responsables, telle la liberté et l’indépendance réelle de l’Inspection Générale d’Etat ( IGE), la mise en place de commissions secrètes chargées du contrôle et du suivi. Dans les opérations de contrôle menées jusqu’ici, les amis du Président sont épargnés, les opposants au régime ciblés et épinglés. On emprisonne ceux-ci , mais on libère ceux-là pourtant coupables avérés . Les mauritaniens et surtout nos gouvernants excellent dans l’art du faire- semblant et de la mystification de l’opinion extérieure .
Enfin, vous verrez, à travers groupes d’individus , ateliers , séminaires, colloques, invariablement , la même image, celle d’une Mauritanie ‘’blanche’’ qu’on veut faire naître au forceps; comme si les autres composantes nationales – perçues comme des appendices - n’avaient pas été à l’école... Vous verrez aussi une ombre entrer vous servir le thé, puis sortir comme elle était venue , toujours la même… ou l’autre facette cachée et atténuée de la réalité de l’esclavage .
Dernier défi, peut- être pas tant explosif que ça, mais non moins destructeur : le désordre général - ce désordre fou, partout présent .- dans lequel ne peut se construire ni progrès ni développement . Sans l’Ordre, il n’y a pas d’Etat tout court …
Tel est le visage de notre ‘’ bonne gouvernance’’ et de notre République…
JOYEUX SEJOUR CHEZ NOUS.
Nouakchott 20-02-2017