Ould Abdel Aziz a parlé. Sur la TVM, Al Wataniya ou Sahel TV ? Non. Sur France 24, une chaîne publique française. Pourtant, il pouvait bien dire ce qu’il avait sur le cœur sur une des nôtres qui aurait ainsi servi, pour une fois, à quelque chose. Si l’on peut appeler cela servir à quelque chose. D’où la question récurrente : Ould Abdel Aziz s’adresse à qui ? Pourquoi, à chaque fois, qu’un de nos dirigeants veut parler, son choix se porte, immanquablement, sur des media étrangers ? Notre guide éclairé a, certes et plusieurs fois, tenté l’aventure locale mais, à chaque fois, ce fut un fiasco. Il aurait certes pu trouver un journaliste local aussi docile que celui de France 24, pas très regardant sur les questions, qui ne le titillera pas outre mesure et évitera de rebondir, quand la réponse tarde à venir ou que le Président a du mal à choisir ses mots. Une option judicieuse puisque, devant un journaliste normal, c‘est à dire non « briefé » et un brin professionnel, l’interview allait tourner à la foire d’empoigne. Aziz n’apprécie que modérément qu’on le coupe ou contredise. Réminiscences des étoiles à ses galons, probablement.
Le décor était donc bien planté. Malgré cela, l’ex-général est apparu hésitant, très peu sûr de lui, pas du tout convaincant, sans aucune profondeur dans les analyses et le choix de ses mots. Il avait, certes, un message à faire passer et l’a fait passer. Maladroitement. En assénant, par exemple, qu’après à peine six heures passées à convaincre son ami Yaya Jammeh de quitter le pouvoir en Gambie, il était bien normal que celui-ci demandât des garanties pour sa sécurité, celle de sa famille, de ses proches et de… ses biens. Deux mots lâchés, comme ça, sans prendre garde. Ould Abdel Aziz s’est-il jamais posé la question : comment Jammeh a-t-il pu amasser, en vingt-deux ans de pouvoir, tant de « biens », une fortune aussi considérable, sur le dos d’un pays parmi les plus pauvres du monde ? Pouvait-il, Ould Abdel Aziz, aider un tyran à piller son pays, à se soustraire à la justice et se vanter, par la suite, d’une telle « heureuse » solution ? D’autant moins heureuse, d’ailleurs, que la vérité est bel et bien ailleurs, comme le journaliste a soigneusement évité de le souligner. Au moment de la médiation mauritano-guinéenne, les troupes de la Cedeao étaient déjà entrées en Gambie, les avions nigérians survolaient la capitale et Jammeh n’allait pas tarder à être pris comme un rat, ses propres soldats ayant annoncé qu’ils ne tireraient pas une balle. Une situation qu’a bien résumée le nouveau président gambien, pour qui « le Sénégal a sauvé la démocratie et le président mauritanien, son ami ». « Heureuse » médiation dont les deux pays frères n’ont pas fini de subir les séquelles…
Autre sujet abordé par notre guide éclairé : le congrès du Parlement pour approuver les amendements constitutionnels. « C’est aux parlementaires de décider », pérorait ainsi notre savant du jour, « s’il faut passer par le congrès ou le referendum, pour les réformes constitutionnelles ». Bel effort de démocratie, dans l’absolu. Mais déjà plus relatif, trois jours plus tard, lorsque notre nouvel expert en droit constitutionnel, déclare, aux parlementaires de sa majorité qu’il a, « fortuitement », invités à dîner, « pas question d’organiser un referendum coûteux ». Lequel des Aziz croire ? Et laquelle des majorités croire, celle qui applaudit, en présence du Président ou celle qui exprime son mécontentement, à la première occasion ?
Pour la prochaine présidentielle, Aziz s’est fendu d’un « je ne serai pas candidat » (à contrecœur, s’est-il retenu d’ajouter) mais je soutiendrai quelqu’un ». Le mot est lâché. Certes il en a le droit mais, de grâce, qu’on ne nous réédite pas le coup de 2007, lorsque tous les militaires, toutes les girouettes politiques, chefferies traditionnelles, administration et autres biens de l’Etat furent mobilisés, pour barrer la route au candidat de l’Opposition ! Le pays ne peut plus se permettre une nouvelle crise, après onze ans de dérives, laisser-aller et laxisme. Il est temps, grand, grand temps de lui laisser la chance de se rénover, de fond en comble. Incapable – c’est ce qu’aura surtout prouvé cette interview – d’ouvrir les yeux sur l’étendue des dégâts cumulés par un Système injuste et moribond, le Président ne semble pas conscient de l’impérieuse nécessité de laisser, enfin, notre pays vivre sa démocratie. Sur le chemin de la sagesse du vieux singe, Aziz a déjà appris à fermer les yeux et les oreilles : espérons qu’il apprenne, à temps, à fermer sa bouche. La Mauritanie ne s’en portera que mieux.
Ahmed ould Cheikh