VIDÉO. La chanteuse mauritanienne ne se contente pas de chants avec de belles mélodies. Elle leur ajoute une dimension sociale engagée.
En 2011, Malouma Mint Meïddah avait été élevée au rang de chevalier à l'ambassade de France à Nouakchott, en Mauritanie. Cette fois, en mai dernier, c'est après avoir fait vibrer le festival Arabesques qu'elle a été distinguée à Montpellier. Désormais, elle est citoyenne d'honneur du département français de l'Hérault. De bon augure sur son chemin du "partage" avec le public qu'elle ne voit pas seulement comme une source de revenus dans son art.
Chanter est un besoin
À 54 ans, née d'une famille griotte, iggiw, Malouma n'a jamais voulu être la griotte de... Si elle chante, c'est parce qu'elle en ressent le besoin. L'envie de nommer des choses. Ses cordes vocales, elle les sollicite dans les chants depuis qu'elle a 6 ans. Théâtre de ses premières poussées vocales : Charatt, près de Mederdra, dans le Trarza. Sous les conseils de son père Moktar Ould Meïddah, une des mémoires de la musique maure traditionnelle, elle façonne des strophes et mélodies à son image. Les armes faites, la voilà qui se lance pour tracer son sillon avec un timbre de voix qui lui est bien propre.
Chanter, une manière de faire bouger la société
Et elle sait se faire entendre, Malouma, même s'il faut en payer un prix parfois bien élevé. Par le biais d'une audace peu commune, elle fait entendre aux politiques les maux du peuple, à la société conservatrice, elle jette des défis. Censure et mise à l'écart ne manquent pas d'essayer de la bousculer, mais cette diva du désert n'en a cure et ne laisse rien entamer sa détermination. Ainsi du jour où elle a entonné dans les années 1990 la chanson "Habibi Habaytou". Ce chant, fredonné comme une berceuse sous les tentes, est un hymne à l'amour sans gant : "Mon ami, je l'aime. Oui, je l'ai aimé. Il m'a marquée", dit-elle dans cette chanson. Les critiques fusent. La chanteuse est traitée de folle. On veut la marginaliser. Loin d'abdiquer, elle récidive avec un chant condamnant le divorce. Explication : il s'agit là d'une pratique un peu trop répandue dans la société maure, et au seul profit de l'homme qui en abuse par des remariages.
Derrière la chanteuse, une citoyenne engagée
Aujourd'hui encore, dans Knou, son dernier album, elle parle encore des charmes et tares de ce qui l'entoure. Toujours pour les justes et nobles causes : l'égalité et l'État de droit pour tous, la place de la femme et l'éducation des jeunes qui risquent de tomber dans des mains destructrices de leur avenir... À ces plaidoiries, elle ajoute la défense de l'environnement. Autant de thématiques qui perlent l'album, plus que jamais à son image. Knou, dit Malouma, est la danse qui a marqué et accompagné son adolescence, l'a bercée. Elle a eu alors envie de rendre hommage à la beauté de la danse en même temps qu'aux femmes qui la pratiquent qu'elles trouvent sublimes. Un clin d'oeil aussi aux diversités de la Mauritanie, qu'elle défend, puisque knou est une esthétique de l'est du pays, alors qu'elle est de l'Ouest.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au-delà du social elle y flirte avec la politique. De quoi comprendre son incursion comme sénatrice du Rassemblement des forces démocratiques (opposition). "J'utilise ma présence et mon temps de parole dans cette chambre pour prolonger mes textes, mes chants. À chaque passage de ministres, ou d'une personnalité importante, je dis l'attente du peuple", confie-t-elle.
Knou, l'art sublimé côtoie la vie
Pour cet album, la chanteuse a travaillé avec le peintre Sidi Yahia. Celui-ci a installé son atelier dans la fondation de sa complice pour être auprès du souffle de la voix de cette diva, pinceau à la main. Chacune des 11 chansons a eu droit à une sublime illustration que surmonte l'ardin, instrument singulièrement mauritanien, qui dompte complaintes et murmures des nuits de douceur. Après "Goueyred", conçue sur un couplé avec son père et inspirée du poète Mohamed Ould Youra, Malouma nous tient par l'oreille pour "Mektoub", où elle fustige le chômage et le désespoir de la jeunesse. Un cri d'indignation, entre le luxe insolent des uns et la quête de survie des autres. Deux pistes après, on suit la pente glissante avec "Dahar", sur le Printemps arabe, les mouvements migratoires en Afrique et ailleurs, avec leurs lots d'incertitudes et de drames. Des paroles entre conseils et désespoirs. "L'islam est une belle religion", souligne l'auteur de "Zemendour". Malheureusement, aujourd'hui, celui-ci est instrumentalisé. Ce qui dénature son contenu d'amour et de paix et porte préjudice à ceux qui le pratiquent", explique-t-elle. Il y a aussi cette mise à l'index de l'insouciance et de la cruauté de l'homme.
Un souffle de modernité
Dans "Menn Mina", Malouma Mint Meïddah défend l'environnement. Suffisamment bien pour qu'une maison d'édition canadienne lui fasse part de sa volonté de la publier autant dans un livre et un guide scolaire que sous un format numérisé sur iPad. Il convient de rappeler qu'une autre chanson, "Nour", fait depuis quelques années le bonheur des écoliers marseillais. L'album se clôture par un bonus, rencontres de voix et d'instruments entre la diva et le pianiste hollandais Mike del Ferro, qui a joué avec la Libanaise Fairouz. Puis, puis Achikna et ses entraînantes chaloupées amoureuses dédiées à Mohamed Ould Taleb, qu'on surnomme l'émir des poètes. Modernité et tradition se côtoient de plus en plus dans le répertoire de Malouma, une diva qui se voit comme une citoyenne avant tout.
Par NOTRE CORRESPONDANT À NOUAKCHOTT, BIOS DIALLO
REGARDEZ Malouma en diva "rockeuse"