Jamais, de mémoire de mauritanien, le pays n’a passé par d’aussi obscurs moments où chacun dit et fait publiquement ce qu’il veut. De tout temps, les Etats (au sens régalien du terme) qui se respectent font dans la mesure, au point que ni le veau ne meurt ni la « Tadit » ne s’assèche. L’expression selon laquelle, fort, l’Etat nous écrase ; faible, nous périssons ; n’a jamais été si à propos. Logiquement, il est impossible d’être une chose et son contraire. Pourtant, cela semble bien le cas, aujourd’hui, en Mauritanie. L’Etat est parfois très fort et parfois très faible. Fort dans la répression de tous ceux qui ne bénissent pas ses politiques et ses choix. Hommes politiques ou hommes d’affaires. Fort dans la manipulation de ses institutions, en vue de leur faire réajuster des décisions contre lesquelles les pressions internationales se sont abattues. Fort à faire passer des messages démagogiques et des discours fantaisistes, via des interviews commandées, destinées à faire valoir des réalisations factices et des stratégies sécuritaires, prétendument de référence pour toute la sous-région. Fort dans l’entretien des illusions de populations miséreuses éternellement tenues en laisse, par des politicards calculateurs et bouffons. Fort dans la sourde oreille envers les revendications d’une opposition qui ne finit pas de se composer et recomposer, dans la perspective d’un véritable dialogue qui ne vient pas. Fort dans le débauchage et la fabrication de « personnalités » bidons, aux discours ridicules et complètement grotesques. Fort dans la promotion des médiocres et des parvenus cooptés sur on ne sait quelle considération, par l’entregent d’une influence civile ou militaire. Fort dans les mensonges et les contradictions désormais plus ordinaires que jamais.
Mais il est faible. Dans la gestion des risques que font planer les communautaristes et les sectaires, sur la pérennité de l’Etat. Faible dans la mise hors d’état de nuire de groupes de nuisance impeccablement organisés de circuits dans l’escarcelle desquels tombent quasiment tous les contrats des marchés juteux, nationaux et internationaux. Faible dans la canalisation et l’usage à bon escient des dizaines voire centaines de milliards de financements que génèrent les dons, les dettes et autres « opportunités ». Les investigations des contrôleurs de l’Etat viennent de se rendre compte que l’administration des garde-côtes est incapable de justifier la dépense d’une bagatelle de plus de trois milliards d’ouguiyas. C’est quoi de ne pas ouvrir une enquête pour situer les responsabilités dans une affaire qui ressemble à de la gabegie ? Faiblesse de l’Etat ou promotion de l’impunité ? Aujourd’hui plus que jamais, la tribu est redescendue sur terre. Avec force. Jamais, avant ce régime, aucun homme ni aucune femme n’a eu l’intrépidité de se présenter, publiquement, devant le Président, en évoquant, « fièrement », son appartenance tribale. « Je suis des tels. Nos palmeraies. Nos terres ». Et, peut-être, sait-on jamais : « Nos esclaves ». Ce n’est certainement pas dans un Etat fort et moderne que des propos comme ceux du président du parti « Nida Al Watan » sont tolérés. Que des insanités et des grossièretés peuvent passer comme si de rien n’était, dans un pays aussi fragile que la Mauritanie. C’est quoi, déclarer que puisqu’il ya un parti pour les Harratines (IRA) et un parti pour les Négro-mauritaniens (FLAM), pourquoi pas un parti pour les Maures blancs ? Mais, à voir l’affluence, au Palais des congrès, pour le lancement des activités de cette terrible formation politique, il est clair, comme le pensent beaucoup de gens, que le président de « Nida Al Watan » ne fait que dire tout haut ce que, malheureusement, beaucoup de ces Maures blancs habituellement mesurés et tolérants pensent tout bas. Tous les discours du monde et toutes les approches communautaristes possibles et imaginables ne peuvent justifier les dérapages langagiers de quiconque ni tolérer le silence assourdissant des autorités envers leurs promoteurs. La Mauritanie n’a besoin ni d’un Birame harratine ni d’un Birame beydane ni d’un Birame africain. La Mauritanie a besoin d’une politique de rassemblement qui permette une cohabitation harmonieuse de toutes ses composantes, sur la base d’une justice sociale qui profite à tous les citoyens. C’est une œuvre laborieuse qui ne se suffit pas de vœux pieux, déclarations d’intention et bonne foi. Un Etat très fort, capable de cristalliser toutes les attentes, de contenir toutes les ardeurs et de gérer toutes les différences, est un préalable à l’élaboration de ce travail particulièrement fastidieux. Il est incontestable que la Mauritanie est à la croisée des chemins, dans une conjoncture nationale, sous-régionale et internationale compliquée. Les petites considérations raciales, communautaires ou sectaires ne sont plus d’actualité. Instaurer la psychose, entre les composantes d’un même peuple, via la fabrication d’artifices humains prônant la haine et l’intolérance, ne fait qu’accélérer les instabilités et ne prémunit pas contre le revirement intempestif de l’histoire.
El Kory Sneïba