Selon le dictionnaire, la confiance, c’est ce sentiment de sécurité et d’assurance qu’on éprouve vis-à-vis de quelqu’un, de quelque chose, d’une situation ou d’une opération. Au sens strict du terme, elle renvoie à l’idée qu’on peut se fier à quelqu’un ou à quelque chose. Substantif du verbe confier (du latin confidere : cum, « avec » et fidere « se fier »), la confiance signifie, en effet, qu’on remet, sans arrière-pensée, quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant, ainsi, à sa bienveillance et à sa bonne foi. On dit souvent qu’on n’est déçu que par quelqu’un ou quelque chose qui nous a inspiré confiance, donc en qui l’on a placé celle-ci. Tout comme l’assurance, dont il est prouvé qu’elle augmente le risque contre lequel on l’a contractée, la confiance place, d’emblée, l’individu qui l’accorde, dans un état de vulnérabilité et de dépendance coupable. Certes, l’adage dit qu’elle n’exclut pas le contrôle, pour signifier qu’il ne saurait s’agir de croire, qu’une fois accordée, la confiance doit être absolue et aveugle, ou que les autres soient toujours fiables et dignes de confiance, mais ce contrôle n’assure aucune garantie. Son unique mérite sera juste d’en constater les défaillances éventuelles. Toutefois, pour certains penseurs, la confiance peut être conçue comme un mécanisme de réduction des risques, si elle est l’usufruit d’un calcul rationnel, l’aboutissement d’un raisonnement hypothético-déductif rigoureux.
Dans les relations entre les individus, la confiance est un passage obligé pour établir les mécanismes d’une collaboration, malgré les risques qu’elle présente. Elle est une donne indispensable car, sans elle, il serait difficile d’envisager l’existence même des relations commerciales, des rapports de travail ; plus généralement, des relations humaines ; allant jusqu’à être déterminante, dans l’amitié ou l’amour. Sans confiance, on ne pourrait même pas envisager l’avenir et chercher à bâtir un projet qui se développe dans le temps. Comme l’expliquent les spécialistes en sciences sociales, « c’est la confiance qui rend possible le développement de la socialité (1) et le fonctionnement de la démocratie ». Mais la confiance est aussi dangereuse car elle implique, toujours, le risque que le dépositaire ne soit pas à la hauteur des attentes ou, pire encore, qu’il trahisse, délibérément, l’espoir en lui placé. Elle n’est, ni plus ni moins, qu’un pari crédule sur le comportement coopératif de celui qui en est dépositaire.
Il s'agit donc d'une relation très souvent (pour ne pas dire toujours) binaire qui, même si elle peut être réflexive (confiance en soi), n’est ni symétrique (réciprocité automatique), ni transitive (confiance triangulaire, une sorte d’héritage). Elle s’accorde naïvement, de manière émotionnelle (confiance aveugle) ou de manière un peu plus « objective », sur la base de l’analyse d’un certain nombre de faits constatés, de circonstances observées, d’informations détenues, etc. Dans tous les cas, elle ne peut être sans risque. Mais, au niveau des relations humaines, s’il nous arrive de ne pas pouvoir savoir, lorsque notre confiance est placée en quelqu’un, pourquoi ni expliquer les raisons exactes pour lesquelles nous avons accordé notre confiance, notre attitude doit être plus objective et moins émotionnelle, dans les relations commerciales, surtout à l’heure du numérique. Un comportement assimilable à un saut dans le vide, véritable glissement dangereux vers la crédulité ou la naïveté, ne saurait être en effet de mise ou prospérer dans les relations d’affaires. Celles-ci doivent reposer sur une confiance calculée, réfléchie, assise sur des bases « objectives » et même couverte, à l’ordinaire, par une assurance.
Le champ de la confiance sociale
La confiance sociale dont nous allons parler ici procède des interactions individuelles, elle n’est donc pas de l’ordre du transcendant. Elle est inscrite dans l’histoire de chaque société et une étude complète nécessiterait qu’on distingue comment se définit, et s’exerce, la confiance sociale, selon les différentes cultures individualistes, qu’il s’agisse de l’individualisme français, allemand, anglais, italien, américain ou africain... Dans la mesure où la confiance est un lien entre des états de pensée, qu’elle s’établit à travers des signes, ceux-ci s’organisent selon une conception du monde immergée dans la société qui habite chaque individu, avec toutes les nuances et les différences qu’on voudra mais avec des dominantes discernables. Notre tactique fondamentale d'autoprotection, d'autocontrôle, n'est pas de tisser des toiles ou de construire des barrages mais de raconter des histoires et, plus particulièrement, de concocter et de contrôler l'histoire que nous racontons aux autres et à nous-mêmes sur ce que nous sommes.
Les relations entre les hommes reposent sur le fait que leurs contenus de représentations ont certains éléments en commun. Ces contenus intellectuels, objectifs parce que généraux, constituent la matière que leurs relations transforment en vie subjective, en réalisation de la personnalité. Pour de nombreux auteurs et, surtout, les premières recherches académiques, l’incertitude est le déterminant principal de la confiance dans l’échange. Agir dans un contexte incertain suppose qu’un individu s’engage, volontairement, dans une situation de vulnérabilité, en accordant sa confiance à un autre (Deutsch, 1962 ; Kee et Knox, 1970 ; Zand, 1972 ; Mayer et al., 1995 ; Bidault et Jarillo, 1995 ; Bernoux et Servet, 1997). Initialement, l’engagement dans la confiance est une décision volontaire, il est entendu qu’il n’est guère possible de contraindre formellement un individu à s’y investir. Durablement, l’engagement dans la confiance est solidifié par la construction d’une relation davantage personnalisée et efficace (Breton et Wintrobe, 1986) qui, le plus souvent, est soutenue par les effets positifs de la répétition des échanges, l’ouverture à une meilleure compréhension du rôle et des attentes des partenaires notamment (Ring et Van de Ven, 1994). L’efficacité de ce mécanisme dépend de la qualité des relations de confiance qui unissent les acteurs de l’échange : plus le niveau d’interdépendance est élevé, plus la confiance a un rôle central, pour soutenir les ajustements mutuels.
Le vecteur principal de ces relations est le langage commun à tous
Si nous acceptons de considérer que, dans les sociétés individualistes, chacun poursuit l’objectif de pleine réalisation de sa personnalité, alors les conduites que nous décrivons doivent être considérées comme raisonnables et rationnelles en ce sens. Sens qui n’a rien à voir avec celui que revêt la rationalité, comme logique de l'intérêt, chez les économistes, ou comme rationalité fonctionnelle, comme adaptation à des situations. La pleine réalisation de la personnalité implique le temps et l’action. C’est par rapport à cette question de l’action que la confiance émerge. Les individus se caractérisent, les uns par rapport aux autres, du point de vue de leurs contenus dépensé, par un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir.
Confiance et sécurité numériques de développement
Le développement de l’économie dite numérique ne saurait faire abstraction d’une confiance des acteurs qui y interagissent dans la virtualité la plus totale, sans jamais avoir l’opportunité de se rencontrer. La base de leurs relations d’affaires est la confiance qui s’érige, ainsi, en un gage, un facteur-clé de croissance et son absence en constitue un frein. La confiance est un élément déterminant, dans le développement de tous les aspects et formes de cette nouvelle économie.
Peut-on parler de confiance sans sécurité ?
Le Robert définit la sécurité comme « l’état d’esprit confiant et tranquille d’une personne qui se croit à l’abri ». Par exemple, dans les transactions électroniques (orienté consommateur), la sécurité est, de manière triviale, considérée comme une condition sine qua none de l’établissement de la confiance. Mais, tout comme dans la programmation informatique, il est avéré qu’il est scientifiquement impossible de prouver, de manière formelle, le fonctionnement à 100% d’un algorithme, sécuriser, de manière absolue, une transaction électronique est une tâche sans fin.
Les spécialistes de la sécurité considèrent, à juste raison, que le nombre de failles techniques potentielles dans un système n’est pas une valeur finie : la sécurité relève plus d’une affaire d’organisation, impliquant un ensemble de ressources (humaines, matérielles, financières, etc.), de procédures, de comportements, que de techniques. Sa relation avec la confiance ne saurait être à sens unique, les sentiments qui les lient se nourrissent mutuellement et toute faille ou dysfonctionnement ressenti chez l’un se répercute forcément chez l’autre.
Les transactions électroniques, champ d’application de ces deux notions, exigent des technologies et des systèmes qui répondent aux attentes réelles des acteurs et des utilisateurs. La complexité de la question fait intervenir souvent, dans les opérations, ce qu’on appelle un « tiers de confiance », « acteur agissant », selon Alain Borghesi (2) et Arnaud Belleil (3), « dans l’univers des nouvelles technologies, se portant garant dans une transaction ou un échange impliquant deux parties entre lesquelles la confiance réciproque ne va pas forcément de soi ». Pour eux, il s’agit d’un dispositif complexe pouvant associer plusieurs facteurs : un cadre juridique, des technologies de cryptage, un statut, une image de marque, une bonne assurance en responsabilité civile professionnelle et, enfin, une capacité à coopérer avec d’autres tiers de confiance complémentaires.
Il se pose alors, de manière récursive, la question de la confiance accordable au tiers de confiance. Dans la vie de tous les jours, nous fournissons, toujours spontanément, en l’absence de toute sécurité et sans nous poser de questions, nos données personnelles hautement importantes et, à la limite même, vitales à des organisations (banques, administrations diverses, aéroports, structures privées, etc.), sans aucune maitrise sur leurs destinations finales, leurs lieux et conditions de stockage ni même l’exploitation qui pourrait en être faite contre nous. Avec le numérique, on peut affirmer que pratiquement aucun paradigme nouveau n’est introduit, il s’agit juste d’une transposition des transactions habituelles, entre des humains, vers des relations homme-machine ou machine-machine où tout est codifié : les informations cryptées, les processus standardisés et automatisés, les données personnelles protégées par des lois, les obligations de moyens souvent transformées en obligations de résultats dans les contrats, les systèmes devenus redondants, la continuité de service garantie, etc.
Notes
(1) : Ensemble des liens sociaux découlant de la capacité de l'homme à vivre en société.
(2) : Fondateur de Cecurity.com, éditeur de logiciels Tiers de confiance, pour l'échange sécurisé et l'archivage électronique des originaux
(3) : Arnaud Belleil est spécialiste des questions relatives à la protection des données personnelles. Co-fondateur et vice-président de l’AFCDP (Association Française des Correspondants à la protection des Données à caractère ¨Personnel).
Sources
- Deutsch M., “Cooperation and trust: some theoretical notes”, Marshall R. Jones (ed.), University of Nebraska Press, 1962, p. 275-319.
- Kee H., Knox R., “Conceptual and methodological considerations in the study of trust and suspicion”, Journal of Conflict Resolution, vol. 14, 1970, p. 357-366
- Zand D., “Trust and Managerial Problem Solving”, Administrative Science Quaterly, vol. 17, n° 2, 1972, p. 229-239.
- Mayer R., Davis J., Schoorman D., “An Integrative Model of Organizational Trust”, Academy of Management Review, vol. 20, n° 3,1995, p. 709-734.
- Bidault F., Jarillo J.-C., « La confiance dans les transactions économiques », Confiance, entreprise et société. Mélanges en l’honneur de Roger Delay Termoz, (dir.) Bidault F., Gomez Py et Marion G., Eska, coll. « Essais », 1995.
- Bernoux P., Servet J.M., « La construction sociale de la confiance », Montchrestien, coll. « Finance et société », 1997.
Breton A., Wintrobe R., “Organizational Structure and Productivity”, The American Economic Review, vol. 76, n° 3,1986, p. 530-538
Ring P., Van de Ven A., “Developmental Processes of Cooperative Interorganizational Relationships”, Academy of Management Review, vol. 19, n° 1,1994, p. 90-118.