La constitution d’un gouvernement est, de l’avis des experts, un parcours du combattant. Le premier des ministres chargé de le constituer fait la course contre la montre pour être au rendez-vous que le président lui a fixé. Il doit consulter les personnes ciblées et/ou désignées par le même président ou d’autres bouche-trous. Pourtant la Mauritanie se veut un Etat moderne, un pays sur la voie d’émergence. Résultat de cette situation: des gouvernements à l’emporte-pièce, composé parfois de gens venus de nulle part. Et dans le meilleur des cas, des profils qui n’ont rien à avoir avec les départements qu’ils occupent. On n’a jamais vu un mauritanien refuser un département ministériel parce qu’il n’a pas de compétences requises ou renvoyé, comme au Sénégal parce qu’il n’a pas de qualification. C’est dire dans la majorité des cas, les cadres sollicités ne se soucient que du profit qu’ils peuvent, ou que leurs proches peuvent tirer des postes qui leur sont confiés. C’est la raison pour laquelle la Mauritanie, avec près de 3 millions d’habitants et d’énormes ressources, peine à sortir de la pauvreté, en dépit des milliards injectés, on ne sait comment dans le monde rural. Et cette situation ne fait que perdurer.
Pourquoi cette situation ? Parce que tout simplement nos partis politiques et nos gouvernants ne se sont pas acquittés de leurs missions, dans le domaine crucial de la gestion des ressources humaines. En effet, un Etat moderne doit s’offrir les moyens pour opérer des choix stratégiques. Les partis politiques, qui doivent servir de viviers et donc fournir les hommes pour assumer de hautes fonctions, ne disposent d’aucune banque des données sur leurs ressources humaines, sur le profil de leurs militants. C’est d’ailleurs pourquoi, quand on leur demande de proposer des hommes pour un poste de responsabilités, ils peinent à dénicher la bonne graine et ce sont les facteurs subjectifs qui dictent le choix. Parce que les partis politiques sont plus soucieux, hélas, des voix lors des élections que des compétences et des bons profils de leurs militants.
Mais parce qu’aussi l’Etat n’accorde presque pas d’importance à la gestion des ressources humaines (Personnel). Selon un ancien ministre, la présidence ne dispose d’aucune banque de données pour les hautes charges qu’il doit pourvoir. Or, pour un État moderne ou qui se voudrait comme tel, cette banque des données doit être le kit essentiel de son président de la République et donc de l’ensemble de son gouvernement et des décideurs. C’est dire que nos partis politiques et nos gouvernants seraient bien inspirés de connaître les hommes qu’ils peuvent proposer ou choisir pour de hautes responsabilités. L’avenir du pays en dépend fortement.
Vers la fin de son règne, le président Ould Taya avait commandité auprès d’un ancien directeur du budget le recensement des hauts cadres de ce pays. L’intéressé avait concocté une liste de 52 hauts cadres, ceci au bout de plusieurs semaines d’enquête et parfois d’entrevues. Un premier ministre et un gouverneur de la BCM sont sortis de cette liste. Cette banque des données, qui devrait être actualisée régulièrement et objectivement, sert de tableau de bord pour les présidents de la République et leurs gouvernements. Aujourd’hui, cela ne semble pas être le cas, les nominations sont plus surprenantes les unes que les autres. Celle du nouveau premier ministre pourrait être classée dans cette logique. L’homme se contentera très certainement de « consulter » des hommes que le Palais aura tout bonnement désignés, dans une moindre mesure, il se souviendra peut-être d’un cadre qu’il aura rencontré à l’ATTM, à la SAFA ou au ministère qu’il vient de quitter.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».