Le Calame : Dans son discours d’investiture, le président de la République, tout en se déclarant président de tous les Mauritaniens, a choisi d’ignorer le FNDU qui avait décidé, lui aussi, de boycotter la cérémonie. Pour votre part, y avez-vous été convié officiellement ?
Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine : La récente cérémonie d’investiture de Mohamed Ould Abdel Aziz est, pour moi, comme je l’ai déjà dit dans une autre tribune, une insulte à l’intelligence collective et à celle des Mauritaniens, en particulier, dans la mesure où elle constitue le couronnement indécent d’une campagne de propagande, destinée à affubler, d’une impossible légitimité, le résultat du scrutin présidentiel du 21 juin 2014.
Car, nul ne l’ignore , ce scrutin a été organisé en vase clos et sur mesure du Président sortant qui a refusé toute garantie de transparence qui aurait permis, aux partis de l‘opposition, d’y participer. Faire dans le triomphalisme pour célébrer un tel hold up électoral, il n’y a que chez nous, par les temps qui courent, qu’on peut rencontrer ce genre de bravades. Inviter des responsables du FNDU à assister à une semblable parodie de couronnement procède, déjà, d’une totale incongruité. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nous nous soyons abstenus d’y assister.
S’agissant de l’attitude désinvolte ayant consisté, pour le président MOAA, à ignorer le Forum, à l’occasion de son discours d’investiture, je n’y trouve rien de choquant, en comparaison du mépris affiché, par celui qui se prévaut d’être le Président de tous, à l’égard des trois quarts des électeurs mauritaniens dont le boycott de cette élection, tant au niveau de l’inscription, sur le fichier électoral, que de l’abstention, le jour du vote, ne semble nullement avoir gêné.
Comment voulez-vous donc, quand on n’éprouve aucun scrupule à priver tous les partis d’opposition de son pays de participer à une élection présidentielle, qu’on ressente le besoin de s’adresser à eux, à l’occasion d’une cérémonie qui consacre ce forcing électoral ?
- Qu’avez-vous retenu du discours d’investiture ?
- Il ressemble beaucoup à celui de 2009 ; mêmes remerciements et mêmes engagements vis-à-vis du grand peuple mauritanien qui aurait, encore une fois, « fait preuve de maturité et d’attachement à la démocratie en lui renouvelant sa confiance », selon le Président. Les mêmes promesses sont renouvelées : réformes de la justice et de l’administration pour les rendre encore plus proches des citoyens, lutte contre la gabegie, etc.
Mais, là où j’avoue n’avoir plus compris ni de quoi ni de qui parlait-il, c’est quand monsieur le Président évoqua le chemin parcouru dans les réformes institutionnelles et l’approfondissement de la démocratie dans notre pays, notamment quand il cita « l’organisation des dernières élections », pour illustrer ses propos.
- Le président de la République ne semble pas pressé de former un nouveau gouvernement, même si rien ne l’y oblige. Que vous inspire cette situation ? Pensez-vous que le gouvernement actuel est apte à résoudre les difficultés auxquelles les Mauritaniens sont confrontés ?
- La situation est, effectivement, très préoccupante. La formation d’un nouveau gouvernement ou le rafistolage, prévisible, de celui qui existe déjà, avec, éventuellement, quelques femmes et quelques jeunes (ou adolescents) en plus, n’est pas une fin en soi. En réalité, au-delà des problèmes de pauvreté et de précarité dont le cercle s’amplifie tous les jours, au-delà des difficultés d’ordre économique et social en tous genres, notre pays est, aujourd’hui, en panne mortelle de convivialité et de communication. Le pouvoir et ceux qui gravitent autour, d’une part, et, d’autre part, l’ensemble des partis de l’opposition ne cessent de se regarder en chiens de faïence, depuis quelques années. Cette situation s’est doublée, ces derniers temps, d’une dangereuse recrudescence des particularismes régionaux, tribaux, claniques, ethniques, etc. La campagne électorale du dernier scrutin présidentiel organisé sans les partis de l’opposition aura été le terreau le plus fertile pour l’expression débridée de ces particularismes et de toutes sortes de délires démagogiques et populistes.
La priorité des priorités d’un gouvernement responsable serait, donc, de prendre des initiatives courageuses (et, pour beaucoup, improbables) permettant de renouer, rapidement, les contacts rompus et de remettre les Mauritaniens, ensemble, autour d’une table, pour sauver le pays d’un délitement dont tous les ingrédients sont, aujourd’hui, réunis. Cela suppose une réelle prise de conscience de ces dangers, par celui qui gouverne le pays sans partage, qui a toutes les cartes en main et doit être disposé à accepter de tout remettre en question, dans l’intérêt de l’unité et de la stabilité de la Mauritanie.
- Quelles concessions le Forum pourrait-il faire, pour restaurer la confiance avec le pouvoir ?
- Malheureusement et comme tout le monde doit s’en souvenir, la confiance, entre les deux, n’a jamais eu le temps de s’installer, du fait du pouvoir, pour qu’on envisage, éventuellement, de la restaurer. Ceci étant, le Forum demeure convaincu que seul un dialogue responsable et mutuellement respectueux, entre le pouvoir et l’opposition dans sa totalité, peut conduire à une sortie de crise. C’est à ce dialogue que nous continuons d’appeler.
- Même si l’on n’a pas assisté à la ruée vers Nouakchott, pour l’investiture du Président, la Communauté internationale semble avoir pris fait et cause pour sa réélection. Ni les USA ni la France n’ont levé le petit doigt, pour dénoncer le manque de transparence di scrutin. N’est-ce pas là une caution, tacite, au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz ?
- Vous savez, en dépit de certains silences qu’on peut leur reprocher, face à certains agissements contraires aux valeurs de démocratie et de justice qu’ils font bien de prôner, chez nous, mais sur lesquelles ils sont surtout intransigeants, chez eux, les deux grands pays que vous citez ne s’en sont pas moins tenus, en l’occurrence, au respect de certaines limites. Ce sont certainement ces scrupules qui leur ont dicté de ne pas envoyer de délégations de haut niveau, alors qu’ils l’avaient fait, en 2007, à l’occasion de l’investiture d’un président démocratiquement élu, en toute transparence. Ils se sont, cette fois, suffis d’une représentation minimale, via des chargés d’affaires dont, par ailleurs, la tenue décontractée de l’un, à cette cérémonie, jurait avec le caractère particulièrement solennel et fastueux de l’événement. Au point que, venant d’un pays aux traditions diplomatiques et protocolaires solidement établies, cette tenue casuelle n’est pas passée inaperçue, parmi les costumes sombres et autres grands boubous des invités présents.
S’agissant des Africains et des Arabes dont un grand nombre de chefs d’Etat avaient été invités officiellement, par lettres portées par des émissaires officiels, vous aurez remarqué qu’en dehors d’un nombre restreint de voisins immédiats dont l’absence aurait transgressé les règles de courtoisie coutumière, tous les autres se sont excusés ou fait représenter. Y compris certains chez qui notre Président s’était déplacé, pour assister à leur récente installation, suite à une élection parfois plus contestable que la sienne. En un mot, on ne peut pas dire que la cérémonie, aussi haute en couleurs fût-elle, ait qualitativement drainé plus de monde que le scrutin lui-même.
- Pour certains observateurs, cette « reconnaissance » est le fruit du service sécuritaire que le président mauritanien rend à nos partenaires au Sahel, mais, aussi, de sa diplomatie active – il est présent à tous les forums africains et mêmes internationaux – partagez-vous cet avis ?
- Ecoutez- moi, je ne suis pas – et pour cause ! – de ceux qui seraient enclins à minimiser le rôle que peuvent jouer ces deux grandes et importantes institutions que sont l’Armée et la Diplomatie de notre pays. L’une et l’autre renferment des potentiels humains capables d’en faire des outils de souveraineté efficaces. Il suffit, pour cela, de les doter de moyens nécessaires. En attendant, je ne suis pas, non plus, de ceux qui accepteraient de pavoiser, pour donner l’impression que notre pays, ses forces armées et de sécurité comme sa diplomatie, deux secteurs qui me sont chers et familiers, soient, subitement, parvenus à un niveau de performance qui nous obligerait à jouer un rôle de puissance sous-régionale incontournable. Je souhaite, ardemment, qu’il en soit ainsi, un jour, mais dans le contexte géopolitique actuel, il faut savoir raison garder, être capable de renforcer sa propre sécurité et balayer suffisamment devant sa porte, avant de proposer ses services aux autres. C’est vous dire combien le mythe que vous évoquez, rendre service en matière de sécurité au Sahel, me parait surfait, sinon incongru.
- En dépit des efforts que la CUN fournit pour l’en débarrasser, la ville de Nouakchott croupit sous les ordures, depuis la rupture unilatérale du contrant la liant à Dragui Tansport (Pizzorno). Si cette situation perdure et que les pluies tombent, la capitale court un risque écologique dangereux. Partagez-vous l’inquiétude des populations ?
- Je ne sais pas dans quelles conditions il a été mis fin au contrat qui liait l’Etat à la société Pizzorno mais, comme tout le monde, je constate et m’inquiète de l’accumulation des ordures ménagères dans la capitale, en dépit des efforts, louables, déployés par la CUN en ce domaine. Quant à la menace écologique que cette situation fait planer sur la ville, elle est d’autant plus patente, en cas de fortes pluies et d’infiltration des eaux souillées, que le réseau d’assainissement reste absent.
Propos recueillis par Dalay Lam