Monsieur le président,
Comme vous pouvez le voir en titre, je vous adresse aujourd’hui la troisième et dernière partie de ma ‘’Lettre au président Aziz’’.
Je le fais certes avec le sentiment d’avoir tourné le dos à un travail inachevé, mais dans l’art de correspondre et de communiquer, la concision chez le journaliste doit rester de rigueur, autant que faire se peut et tempérer les ardeurs et élans de ce qui le distingue des autres mammifères, la prolixité.
Mais rassurez-vous monsieur le président, on ne se quitte pas pour autant, car vous êtes en train de négocier un virage important pour l’avenir du pays et, par conséquent, toutes les forces vives de la nation doivent rester sur le qui-vive et qui vivra verra.
J’ai, en effet, décidé de faire un bout de chemin avec vous, non pas en tant que transfuge du RFD ou militant de l’UPR/UDP qui vous mènent en bateau par les montages et les intrigues de palais et des alcôves, mais plutôt en tant que citoyen curieux de savoir où va le pays et quelle finalité entendez-vous donner à votre magistère, calqué, dans son organisation, sur une banque suisse et, dans sa discipline, sur l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem avec l’esprit missionnaire en moins.
Qu’il soit dit en passant que, dans mon entendement, anesthésié par le climat de léthargie ambiante qui règne dans le pays et dont les tergiversations de l’UPR/UDP sont la manifestation inquiétante, la finalité de votre magistère ne peut trouver meilleure illustration que cette citation d’Henri Bergson : ‘’Plus un art est contestable, plus ceux qui s’y livrent tendent à se croire investis d’un sacerdoce et à exiger qu’on s’incline devant ses mystères.’’
Et puisque vous avez fait preuve d’intelligence, tout au long de votre parcours atypique, les mystères de cette finalité doivent vous préoccuper, car vous savez mieux que quiconque, que pour être crédible au niveau national et admis à faire valoir sa légitimité au niveau international, le président qui vous succèdera doit forcément être élu par l’opposition.
Ce postulat, qui vient comme un grain de sable, bloquer l’engrenage, que vous croyiez jusqu’à là bien huilé, de vos plans de succession, est la conséquence logique du manque d’imagination, de compétences et de fidélité au sein de votre gouvernement et de votre cabinet, même dans les domaines qui constituent votre chasse gardée ; le pétrole, les mines, les finances et la pêche, qui ont chacun son gourou attitré dans votre entourage immédiat, et ses rituels, dans les manuels de procédures.
Un postulat qui consacre donc une sorte d’inéligibilité des rares personnes pouvant bénéficier, à la fois de votre confiance et de votre soutien pour prolonger, dans le temps, votre régime et cette assurance dont ont besoin vos intérêts et ceux de votre système, sur le court et le moyen termes.
A ce titre, je pense que les applaudissements, les ovations et la liesse par lesquels l’UPR/UDP et autres comédiens de mauvais aloi, ont salué votre décision de ne pas briguer un troisième mandat, et qui peuvent être interprétés par : ‘’bon débarras’’, vous édifient maintenant sur l’attitude qui sera celle de vos ‘’amis’’ une fois que vous serez complètement sorti de l’équation du pouvoir et des rouages d’influence des centres de décision.
Si vous devez quitter la présidence, ce dont j’ai de sérieuses raisons de douter (pacifiquement s’entend) avec l’intention d’y revenir un jour en maitre des céans et non en simple visiteur, vous devez déjà commencer par chercher un ‘’remplaçant-intérimaire’’ qui obéit aux critères suivants : être opposant et reconnu comme tel, avoir des penchants très marqués pour les compromis (et la compromission) et une sensibilité particulière pour les arguments sonnants et trébuchants.
Un profil qui ne court pas les rues certes, mais qui existe et si d’aventure, vous peinez à le trouver, je suis disposé à vous en dresser le portrait robot ou à vous fournir plus de détails pour lui mettre la main dessus.
Je pense d’ailleurs que l’idée de trouver un président intérimaire, un peu plus réaliste que SIDIOCA et moins idéaliste qu’Ely Ould Mohamed Vall, a déjà germé dans votre esprit, d’où votre refus de permettre aux dialoguistes de toucher aux verrous de la limite d’âge des candidats à la présidence. Du coup, vous avez écarté de la route de votre poulain potentiel, les poids lourds politiques, dont l’entrée en compétition pouvait lui faire ombrage et anéantir ses chances de passer au premier tour, comme cela est nécessaire pour ne pas avoir sur le dos une coalition circonstancielle de mécontents.
Monsieur le président.
Il y’a un peu plus d’une année, ce que votre système appelle l’opposition radicale (nom donné à l’opposition sérieuse et patriotique) était disposée à vous aménager une porte de sortie honorable. Tellement honorable, qu’elle consistait en une entrée, par la grande porte de l’Histoire, qui vous conduisait vers le panthéon des hommes ayant marqué leur temps.
Un compromis qui arrangerait pourtant tout le monde et qui vous aurait fait le bénéfice d’un dialogue (monologue) inutile et coûteux, que vos ‘’amis’’ ont vite fait de transformer en procès de votre régime et, au-delà, de la Mauritanie toute entière, qui s’y est vu mise en cause à travers son hymne, son drapeau et sa loi fondamentale, que chacun voulait ajuster à ses propres ambitions.
Cette disponibilité est désormais compromise par les manœuvres de ceux parmi vos ‘’amis’’ à qui vous avez donné entière procuration pour dialoguer en votre lieu et place. En fins manœuvriers et calculateurs qui, contrairement à vous, ne veulent pas s’aliéner les forces du futur, ces mandataires ont tout simplement inversé les règles politiques traditionnelles, en faisant de vous le fusible qui protège leurs propres intérêts. Un fusible qu’ils ont court-circuité au palais des congrès.
Ils s’y sont pris en orientant contre vous la colère du peuple et les reproches de la communauté internationale, au moment où tout le monde sait que ce sont eux qui vous ont isolé et manipulé, pour aboutir à la situation qui prévaut actuellement et qui se présente ainsi : des politiciens véreux, qui tiennent le pays par l’argent public et des officiers retraités, qui caracolent en tête des fortunes, évaluées en Milliards engrangés sur la seule période de leur service sous le drapeau.
Si donc, tout se passe bien, en 2019, vous serez amené à faire face en solitaire à votre destin et ceux auxquels vous avez tout donné, vous sacrifieront sur l’autel de l’absolution d’avoir été vos amis, ils n’auront même pas une pensée pour vous, trop occupés qu’ils seront à faire des alliances avec vos successeurs pour sauver leurs peaux et ‘’leur’’…argent.
L’erreur monumentale que vous avez commise est celle qui découle de votre volonté de créer, à tout prix, un système homogène et compact, qui bouleverserait l’ordre établi en Mauritanie. Un système qui consiste en la marginalisation, voire la mise à l’écart systématique des acteurs politiques, des hommes d’affaires et des intellectuels, qui ne montrent pas suffisamment de prédispositions à l’embrigadement, dont l’UPR et ses tendances à Bengou et à Djiguenni, sont les modèles les plus réussis.
Si vos ‘’amis’’ et conseillers étaient aussi compétents et fidèles qu’ils veulent bien vous en convaincre, ils vous auraient dit qu’un système ne se crée jamais à partir de rien.
Ils vous auraient dit aussi, qu’un système, a de particulier, qu’il est toujours le prolongement de quelque chose. Quelque chose dont on ne peut se passer qu’après en avoir tiré le potentiel permettant d’assurer la survie des centres d’intérêt, qu’on en hérite et qui, eux, n’obéissent pas aux changements, mais plutôt aux mutations qui se mesurent en termes de temps et persévérance.
Ils vous auraient dit également que les systèmes, comme les partitions, ne s’improvisent pas, mais se construisent avec la patience, loin des précipitations et des préjugés et que pour être bons, chacun dans la fonction qui est sienne, ils doivent être conçus par un esprit éclairé et mis en œuvre par des équipes performantes, solidaires et dévouées.
Ils vous auraient dit enfin, que le statut d’homme politique, d’homme d’affaires et d’intellectuel, découle d’un processus très long et très coûteux en temps et en subsides et que la plus grande erreur qu’un régime peut commettre est celle de vouloir les créer sur mesure. Dans le schéma de cette perspective diabolique, les hommes politiques deviennent des courtisans cyniques, les hommes d’affaires, des usuriers dangereux et insatiables et les intellectuels, des démagogues pédants et conspirateurs.
Les Khmers rouges et la bande des quatre ont appris cette leçon à leurs dépens quoiqu’ils n’ont pu en profiter, puisque quand elle a été écrite, ils étaient tous décimés et les rares survivants croupissaient dans les geôles de l’opposition, venue entre temps au pouvoir.
Monsieur le président.
En Mauritanie, la seule institution fiable, organisée et disciplinée, reste l’armée nationale. Les mauritaniens honnêtes et réalistes doivent partir du fait, qu’en raison des séquelles de 1978, aucune solution durable à la crise démocratique récurrente, n’est envisageable sans son implication et sa participation entière et effective. Pour la Mauritanie, l’armée est rien de moins, que le régulateur de tout processus démocratique, que l’on veut durable et mettant en synergie les dynamiques de toutes les forces en présence pour assurer la stabilité des institutions.
Pour faire la part des choses et au risque de subir les foudres de vos opposants, je dirais que cette armée, qui avait été sabotée par ‘’les colonels Mitsubishi et les colonels Toyota’’, vous doit de l’avoir modernisée, formée, équipée et recadrée dans ses mission et vocation initiales. En un mot, en confiant ses destinées à des officiers responsables, pondérés et très portés sur l’ordre et la discrétion, vous l’avez élevée au rang d’armée républicaine, respectueuse des institutions et qui a donné la preuve, lors de votre blessure en 2013, de ses intentions de ne plus se mêler à la vie politique, malgré les pressions qui auraient été exercées sur ses chefs pour les amener à vous destituer.
Je pense que ceux qui continuent de reprocher à l’armée d’avoir entrainé le pays, à partir de 1978, dans une spirale de coups d’Etats les uns plus stupides que les autres, doivent faire preuve de modération et comprendre que, seule cette armée, héritière malgré elle et à son corps défendant, des griefs retenus contre le CMRN et le CMSN, peut aujourd’hui sauver le pays et y instaurer la démocratie, par le simple fait d’accepter de retourner définitivement dans ses casernes.
Vous et vos amis du commandement êtes capables de l’en convaincre, aidés en cela par le sentiment de ras-le-bol, que les officiers intègres et patriotes manifestent de plus en plus, de s’entendre taxés de putschistes potentiels et d’eternels comploteurs, coupables d’avoir pris le pays en otage depuis 1978 à nos jours.
Vous y arriverez puisque, quoiqu’on en dise, notre armée est actuellement l’une des plus performante de la région. C’est une armée mûre, éveillée et consciente des enjeux qui déterminent et influencent les rapports internationaux, les déplacements du centre de gravité de la géopolitique, les transferts des connaissances et des technologies et les mobiles qui se cachent derrière la création, par les grandes puissances, des foyers de tension à travers le monde.
A ce titre, le G5 Sahel, dont nous abritons le siège et les structures de commandement et de coopération, témoigne de la place stratégique, qu’occupe notre armée nationale sur l’échiquier sécuritaire africain et le rôle, de plus en plus important, qu’elle joue dans les perspectives du maintien de la paix dans le monde.
C’est une armée professionnelle et de métier, qui s’est émancipé de l’emprise des mouvements et courants de pensées sectaires qui en faisaient juste un moyen comme un autre pour accéder au pouvoir. Le temps où elle obéissait aux mots d’ordre, venant des ailes civiles des mouvements qui l’infiltrent est désormais loin, très loin.
Sur un tout autre plan, vous devez savoir, monsieur le président, que les temps ont changé et que la période où on pouvait se vanter d’avoir fait un ou plusieurs coups d’Etat, est bel et bien révolu et que le fait de le dire, même à titre d’exemple, constitue une provocation et est perçu par l’opinion publique comme une sorte d’épée de Damoclès suspendue au dessus de la démocratie.
Vous devez aussi savoir que le Burundi et le Burkina Faso, chacun dans son contexte, sont devenus des cas d’école, que les révolutions pacifiques ont montré leurs limites en Syrie et en Irak et que la communauté internationale entend faire usage du droit d’ingérence pour libérer les peuples, chaque fois que la conduite des régimes qui les tiennent est assimilée à une prise d’otage.
Mohamed Saleck Beheite