Le Calame : Les lampions se sont éteints, le 20 octobre dernier sur le dialogue national inclusif. Un accord a été paraphé entre le pouvoir et une partie de l’opposition. Quelles appréciations vous faites aussi bien des débats que les conclusions des participants ?
Abderrahmane Marrackchy : Effectivement, nous venons de vivre un dialogue que nous autres de la majorité aurions voulu inclusif, mais par le fait de l'absence d'une frange importante de l'opposition, il a été parcellaire comme celui de 2011. Toutefois, et, contrairement à ce que presque tout le monde envisageait, il n'a pas échoué, loin de là. Sa conclusion a connu l'apothéose avec le discours du Président de la République. Pour en venir aux résultats de ces assises, il faut reconnaître que par rapport à ce qui pouvait constituer une amélioration de notre système démocratique, peu de choses restaient à discuter après les réformes constitutionnelles objet d'un consensus général en 2006 et le dialogue de 2011. Ce qui a été consigné dans le rapport final représente le maximum de ce qui pouvait se faire pour satisfaire tout le monde sans toucher à ce qui fâche dans le domaine constitutionnel et qui constituerait un casus belli (articles 26, 28 et 99).
Quant à la forme qu'a prise le dialogue avec des joutes verbales violentes parfois, souvent déplacées, des interventions abracadabrantes, quelques interventions de qualité occultées par la clameur et la rumeur sur le troisième mandat. C'est tout simplement ce que nous pouvons produire aujourd'hui avec notre classe politique incapable de résister aux partis et société civile- cartables et autres journaleux et sites électroniques sans autre but que faire la manche ou attaquer ceux qui rechignent à se faire déposséder . La" peshmerguisation" rampante risque à tout moment de faire dévier notre démocratie et notre société avec, si l'on n'y prend garde. C'est pourquoi, à mon avis, tous les partis qui n'ont pu participer doivent prendre leur responsabilité et se préparer aux échéances futures. L'opposition ne peut, de crainte de disparaître, continuer à se tenir en marge de la vie politique, l’argument du troisième mandat n'existant plus désormais. Sans m'ériger en donneur de leçons, je pense que le caractère républicain de notre opposition doit primer sur les autres considérations. Nous avons besoin qu'elle s'implique dans le processus, son apport sera certainement qualitatif et renforcera en crédibilité notre démocratie.
-Dans son discours de clôture, le 20 octobre au palais des Congrès, le président de la République a surpris plus d’un : d’abord tous ceux qui le suspectaient de vouloir modifier la Constitution pour s’octroyer un 3e mandat, ensuite ceux qui dans son propre camp plaidaient en faveur du déverrouillage de l’article 28 de ladite constitution qui limite les mandats présidentiels à deux. Quelle signification peut-on donner à ce geste présidentiel ?
- En toute franchise, en venant au palais à l'invitation des organisateurs, je ne me faisais pas d'illusions: le dialogue était chaotique et ses conclusions, à part la suppression du Sénat, n'étaient pas consistantes. Mais, vu la solennité du moment du fait de la présence du Président de la République, m'y rendre relevait du devoir d'un député. Mais à aucun moment et ce malgré la rumeur, je n'avais douté de la capacité du Président Aziz à se démarquer de ceux qui voulaient le perdre et en faire un dictateur, quitte à en profiter et assouvir leur ambition. Il a assumé ses responsabilités morales et historiques et incontestablement marqué les esprits ce soir-là. J'ai reconnu l'homme qui m'avait martelé un soir d'août 2006 quelques jours après le putsch : nous n'accepterons plus qu'un dictateur s'installe à la tête de l'Etat comme Maaouya, la prochaine constitution consacrera un mandat renouvelable une seule fois! J'étais confiant dans sa rigueur et dans son souci de tenir parole, mais je vivais le stress comme beaucoup à cause de ce climat d'incertitude et de surenchère savamment entretenu par les uns et les autres. Je profite de cette occasion pour le féliciter et le remercier car, autrement, je ne l'aurai pas suivi dans un tripatouillage indigne et insensé de la constitution, cette constitution dont la paternité historique ne peut lui échapper. L'Histoire lui retiendra cette attitude digne des grands chefs d'Etat de ce monde, car, mener le pays jusqu'à être classé parmi les Etats démocratiques (ce qui ne l'est pas encore et ne le sera qu'après la cérémonie de passation de pouvoir entre lui et son successeur) sera une réalisation grandiose. Je sais qu'il y deux catégories de gens que cette nouvelle donne ne satisfait pas: les opposants" ultras "qui souhaitaient que le Président se fourvoie dans les méandres d'un mandat forcé et illégal sur lequel ils ont bâti toute leur stratégie et ceux parmi les soutiens habitués à être des laudateurs moyennant quelque chose. Je sais que ces deux groupes de gens sont aveuglés, qui par le sentiment, qui par l'intérêt égoïste. Il y a aussi certains qui s'essayent à des leçons de morale politico- strategico- démocratique. Ceux -là ont oublié que nous les connaissons impliqués avec les pires régimes qui se sont succédé à la tête de notre pauvre pays. Ils ont occupé les meilleurs postes ministériels et à la tête de grandes entreprises publiques. Après leur retraite dans certaines organisations internationales, ils ont accouru après la chute de Maaouya faire la cours des militaires espérant être embarqué dans les fourgons du BASEP pour la Présidence. Comme il n'y avait qu'une seule place, Sidi a fait des jaloux! A défaut d'accompagner la Mauritanie dans ce processus nouveau plein d'espoir, ces vieux crocodiles des mares presque asséchées feraient mieux de se taire et de vivre la fin de leur vie selon ce qui leur sied. Aux autres laudateurs qui essayent de jouer le rôle des loups aux dents longues alors qu'ils ne feraient même pas de bons chiens, je dirai: " taisez-vous", sinon: " couchés" !! , la page est tournée comme l'a si bien dit le Président!
En un mot, le Président Aziz a désamorcé une crise psychologique qui nous empêchait de dormir et a prouvé sa foi en Allah et sa loyauté envers son peuple ce soir historique du 20 octobre.
-Le FNDU, le RD, l’APP qui avait suspendu sa participation au dialogue mais aussi l’ambassade US en Mauritanie ont tous salué les propos du président de la République comme quoi il ne touchera pas à l’article 28 ? Peuvent-ils contribuer à apaiser la tension entre le pouvoir et l’opposition et partant amener le FNDU voire le RFD à s’associer à la mise en œuvre des résolutions du dialogue, à les améliorer par leurs contributions et qui sait prendre part aux élections anticipées annoncées? Que faire dans ce sens ?
-Tout en saluant la décision de l'APP de rejoindre les commissions de mise en œuvre du dialogue, je tiens à remercier les présidents Messaoud Boulkheir, Boydiel Houmeid, Bilal Werzeg et son groupe, l'équipe de la Majorité à sa tête Dr Moulaye Mohamed Laghdaf ainsi que tous ce qui ont contribué à l'aboutissement de ce dialogue et du résultat positif qui s'en est dégagé finalement.
La meilleure preuve de la pertinence du discours présidentiel est le communiqué de l'ambassade des USA qui reflète l'avis du gouvernement américain, l'avis des européens sera similaire car c'est une position de principe affirmée chez eux. Étant membre moi-même de la délégation parlementaire siégeant à l'Assemblée parlementaire paritaire A C P- Union Européenne, la limitation des mandats et leur respect est un sujet en cours de discussion et fera l'objet d'une résolution à la prochaine assemblée à Nairobi. Très peu de pays défendent le non respect des constitutions en ce qui concerne la limitation des mandats, les voix des quelques récalcitrants peinent à se faire entendre. En tout cas, notre délégation sera fière de présenter l'expérience de notre pays à Nairobi.
Concernant le FNDU et le RFD, je pense que, raisonnablement, ils auront tout à gagner à rejoindre le processus, le point d'achoppement du troisième mandat étant levé, le rôle qui est le leur ne peut revenir aucunement à d'autres. Ils peuvent proposer l'amélioration si c'est possible des points du dialogue ou apporter des nouveautés dans ce sens, surtout en ce qui concerne le processus électoral.
En tous cas leur présence est naturelle et le contraire incongru. La paix des braves fera gagner notre pays et nous permettra d'avancer, les défis sont nombreux et la tâche de construction immense.
L'opposition ne doit pas attendre qu'elle soit appelée ou interpelée par qui que ce soit à part son devoir et celui-ci l'appelle aujourd'hui plus qu'hier, la Mauritanie nous appartient à tous, Opposition et Majorité. Traçons ensemble la meilleure voie et déterminons en toute honnêteté les règles du jeu et que le meilleur gagne! Le dialogue n'est pas fini et ne doit pas finir.
-Le FNDU et le RFD ont organisé, le 29 octobre, une marche populaire à Nouakchott. Un mot sur cette marche commune ?
-Tout d'abord, je suis pour que les forces politiques manifestent de façon toujours paisible leur opinion par des meetings et marches pacifiques, ce que leur garantit la constitution. La marche du samedi a été à mon sens raisonnable car, il y avait des revendications d'ordre général et d’autres propres à ces partis qui n'ont pas participé au dialogue. Les thèmes ont certainement été bouleversés par le discours du Président de la République, inattendu de la part des organisateurs. Mais le tout pour des partis politiques ne doit pas être de battre le pavé, il faut préparer les échéances futures, c'est valable pour le R F D et l'U F P, Tawassoul étant plus réaliste a toujours participé aux élections. L'opinion publique ne pourrait pas comprendre que des partis importants continuent à vivre en marge de la vie politique pour des états d'âme. Notre intérêt à nous, Majorité, est que cette situation perdure, mais l'intérêt général commande leur participation, ce que nous appelons de tous nos vœux.
Propos recueillis par Dalay Lam