Qu’un président puisse s’exprimer, en des termes, on ne peut plus vulgaires, devant un auditoire considéré comme l’élite de la Nation, au sortir de 21 jours de débat et de discussions, cela révèle le fossé énorme qui nous sépare d’une nouvelle classe de dirigeants à la hauteur des enjeux de la démocratie. Qu’un auditoire, constitué de plus grands érudits et intellectuels de la Nation, soit pris d’une hystérie d’applaudissements et d’ovations devant des propos anachroniques d’un président délirant, cela démontre l’énorme hiatus entre une élite responsable attachée aux valeurs républicaines, et celle dont nous disposons aujourd’hui. Dans les deux cas, nous sommes en présence de deux phénomènes très inquiétants et qui révèlent la fragilité structurelle de nos institutions démocratiques. Car les institutions ne sont rien d’autres que les hommes et les femmes qui les dirigent et qui veillent au respect scrupuleux de leur fonctionnement correct et juste. Ces institutions ne peuvent représenter autre chose que les ressources humaines qui les font fonctionner. Si cette ressource humaine est incompétente et moralement viciée, c’est qu’on sera toujours condamné à être à des années lumières d’une véritable démocratie où tous les citoyens se reconnaissent dans ses lois et valeurs.
Quand un président de la République déclare qu’il n’a ni la crainte ni la décence de demander une violation de la Constitution pour briguer un troisième mandat, qu’il affirme, cyniquement, qu’il a maintes fois, violé la Constitution en commettant des crimes de coups d’état et qu’il se vante d’avoir tordu le cou à toutes nos lois républicaines, et on constate, en même temps, que cette assistance se lève et se fend d’un déluge d’ovations, cela en dit long sur l’état de balbutiement de notre démocratie et l’état piteux de dépravation morale de nos élites. C’est cette élite qui a prouvé son incapacité à diriger et à redresser la situation de notre pays. Une élite capable de toutes les bassesses et de toutes les compromissions.
Quand ce même président confirme que notre situation économique est excellente sans pour autant se référer aux indicateurs socioéconomiques et aux réalités du terrain qui indiquent, tout à fait, le contraire, c’est qu’il prend à la légère les responsabilités qui sont les siennes dans ce marasme économique sans précédent qui affecte les ménages, les entreprises et tous les secteurs économiques de ce pays. Un indicateur qui fait honte à notre pays, qui m’interpelle et doit interpeller la conscience du président et celle de son gouvernement incompétent, c’est le taux de chômage élevé qui frappe un actif sur trois de ce pays (environ 32% de la force de travail de la Nation).
Nous sommes plus vulnérables qu’on ne le pense. Nous avons l’un des taux de chômage les plus élevés au monde (32% environ). Imaginons que l’un des pays du monde ait ce taux, si élevé de chômage qui paralyse 32% de sa force de travail, qu’est-ce qu’il adviendra logiquement de son gouvernement et de son président et quelle sera la réaction de ses élites et de sa population ? Ce taux fait honte à notre pays d’autant plus qu’il n’existe aucune perspective réelle de le limiter à un niveau tel qu’il permette à la force de travail de la Nation de participer à l’œuvre de construction et de développement. C’est ce fléau qui est à l’origine du basculement des jeunes dans la délinquance, le banditisme, le terrorisme et l’extrémisme. C’est ce même fléau qui fait le lit du sous-développement, des crises sociales et des soulèvements populaires. Je ne voudrais pas être pessimiste pour dire que ce fléau pourrait entraîner le pays vers des lendemains incertains.
Nous sommes loin d’avoir atteint la maturité démocratique. Nos institutions sont dirigées par des hommes et femmes sans convictions ni principes et qui sont moins enclins à afficher une attitude exemplaire quant au respect des règles et des lois de la République. Quand les élites s’évertuent à nier l’une des garanties les plus élémentaires pour assurer l’alternance pacifique au pouvoir et font semblant d’ignorer qu’à l’origine de l’instabilité qui frappe bien des pays de l’Afrique se trouve naturellement la volonté de certains présidents africains de se maintenir au pouvoir, cela ne m’inspire guère confiance. Quand cette même élite appelle à la violation de la constitution et encourage les abus de toutes sortes, c’est qu’on est loin de l’Etat de droit auquel on aspire. Quand elle prend pour vérités des balivernes que raconte un certain porte-parole détraqué mentalement et qu’elle ne réagit pas avec force et vigueur, c’est que quelque chose ne tourne pas rond dans l’esprit et la conscience de notre élite. Nous ne sommes pas à l’abri de cette instabilité qui a secoué beaucoup de pays africains. Nous ne sommes pas, non plus, loin de soubresauts de révoltes populaires qui ont entrainé nombre de pays au déclin.
Notre démocratie souffre d’un mal qui est celui du « comportement grégaire » de ses élites qui courent derrière des intérêts matériels immédiats. Cette élite héritière de la mentalité de Makhzen qui perdure de nos jours. Une élite qui est toujours à la solde des oligarques voulant à tout prix installer leur hégémonie.
Même quand on dispose des plus belles lois du monde et que le président actuel tient sa parole, nous ne pouvons jamais nourrir l’espoir de vivre, un jour, dans une démocratie réelle tant que cette élite inconsistante et inconsciente est présente sur la scène politique et elle continue d’agir sous ordre des oligarques dont le dernier souci est l’émergence de la démocratie et de l’alternance démocratique et pacifique au pouvoir.
Sidi Mohamed Vadel