Un homme qui fut un père pour moi, s'en est allé. Mohamed CAMARA, mon autre père, a entamé un autre voyage, son voyage, son infini.
Je ne pleure pas sa disparition physique car la mort est renaissance. Je pleure et je pleurerai toute ma vie le souvenir de l'homme qu'il fut, non pas parfait, non pas idéal, mais l'homme tel qu'il était, dans sa bonté, dans son cœur immense, dans cet amour qu'il nous a donnés à mes frères et à moi, dans l'amour qu'il a eu pour ma mère à qui il fut marié 27 ans...
Je pleurerai cet homme qui a épousé une femme ET ses 3 enfants.
Je pleurerai cet homme qui, pendant cette période affreuse de la Guerre du Sahara, a défendu ces enfants là, bec et ongles, ces enfants que la vindicte populaire, abrutie par la mort de nos soldats, désignait comme «enfants de traître », ces enfants à qui on jetait des pierres, que l'on insultait, à qui l'on avait retiré leurs papiers ( pour rappel, en 1975 j'avais 11 ans, un de mes frères avait 9 ans, le cadet avait 6 ans....)...
Je pleurerai cet homme qui a consolé la petite fille que j'étais et à qui, dans la rue, à la BMD, on avait cassé la jambe dans un moment affreux de colère populaire.
Je pleurerai cet homme qui s'est levé, chaque matin de cette guerre, avant nous, avant la maisonnée, pour aller faire le tour des boutiques et acheter tous les exemplaires possibles du journal de l'époque où une campagne était menée contre notre père... il ne voulait pas que nous, enfants innocents, voyions les horreurs écrites sur notre père.. ;
Je pleurerai l'homme qui nous accompagnait au sport, qui nous avait donné un lieu sûr, une maison, un cadre, une image masculine.
Je pleurerai cet homme qui, toute sa vie, a mis un point d'honneur à s'occuper de nous, les enfants DERWICH, promesse faite à notre père. Qui ne nous a pas tourné le dos quand la Mauritanie se perdait en crises de nerfs nationalistes et dans la chasse aux sahraouis ou supposés tels...
Je pleurerai ce père droit, pieux, cultivé, intraitable parfois mais toujours présent.
Je pleurerai toute ma vie ce père autre qui a tenu à ce que nous fassions des études, qui n'a pas transigé sur l'école, qui nous a poussé, nous a appris à réfléchir le monde.
Je pleurerai toute ma vie cet homme qui nous a donné une conscience politique.
Je pleurerai ses rires, ses colères, ses indignations, sa fidélité absolue à nous, son abnégation, sa tendresse bourrue, cette tendresse qu'ont les pères africains à qui on n'a pas appris à dire les mots d'amour à leurs enfants.
Je pleurerai toute ma vie cet homme qui, quand nous déprimions, nous les enfants, enfants paumés, dansait au milieu du salon et nous faisait mourir de rire.
Je n'idéalise pas ce père là. Il fut dur souvent. Mais il fut toujours là. Toujours.
Il nous avait accepté différents et, avec une intelligence du cœur lumineuse, lui et ma mère, nous ont offert le monde et nous ont rendus fiers de nos différences et de nos ressemblances.
Il m'a offert, à moi la petite fille toujours craintive, le droit au rire, à la musique, à l'intelligence.
Il ne nous voulait pas dans un moule mais, comme il nous le disait souvent , il voulait que le jour du Jugement nous puissions ne pas avoir honte de nos actes.
Je pleurerai toute ma vie cet homme, autre Mauritanie, autres femmes et hommes, autre morale, fonctionnaire honnête, qui n'a jamais détourné un sou, qui n'a jamais volé, qui n'a jamais fait du mal. Qui est parti à la retraite avec sa petite et misérable retraite.
Cet homme qui n'a jamais considéré que le pillage était une vertu mais que seule la probité, la fierté, le talent sont des dignités.
Je l'admirais et le craignais. J'admirais ses combats politiques : El Horr, le MND, l'UFP, etc...
Il était tout cela ce père autre, ce père qui fut mien aussi.
Il m'a tout donné et, le plus important, la dignité et la fierté, mais aussi l'humilité, le savoir, l'obligation que nous avons de ne jamais devoir accepter l'inacceptable, le droit à l'indignation, aux combats.
Et le sens de la vérité et non pas du mensonge. Et le goût des livres. Et des voyages.
Lui et ma « grande royale » à moi, ma mère, nous ont façonné comme ils ont vécu : dans l'amour aux autres, des autres.
Cet homme, qui fut aussi mon père, s'en est allé.
Qu'il soit maintenant dans son infini, là bas...
Inna Lillahi wa Inna Illeyhi Raji'oun
Mariem mint DERWICH