Interview du ministre des Affaires étrangères du Niger, Ibrahim Yacouba : “L'Afrique a besoin d'investissements, c'est le moyen le plus efficace, sur le long terme, pour freiner les flux migratoires.”

6 October, 2016 - 02:52

Afronline/VITA :Monsieur le ministre, une réunion de haut niveau sur la Libye à laquelle vous avez participé s’est tenue au cours de l’Assemblée générale des Nations Unies, à New-York. Quel regard portez-vous sur cette rencontre ?

Ibrahim Yacouba : Le Niger a profité de cette occasion pour faire part de ses préoccupations.

 

- Quelles sont-elles ?

- Elles sont de plusieurs ordres. La première est que l’Afrique et, tout particulièrement, les pays du Sahel, ne sont pas suffisamment informés et impliqués, dans les décisions qui sont prises au niveau international. Nous ne l’avons d’ailleurs pas été, lors de l’intervention militaire, de 2011mais nous avons vu les conséquences. A l’époque, notre Président avait averti les puissances étrangères qu’il ne fallait pas rechercher une solution pire que le mal, en établissant un risque de « somalisation » de la Libye ; donc, la destruction de l’Etat libyen. Or ce sont bien les pays frontaliers à Libye et, en premier lieu, le Niger qui ont subi les conséquences de cette intervention. Elles perdurent,aujourd’hui, avec le risque de désintégration de l’Etat libyen. Il est donc impératif que l’Union Africaine et les pays de la sous-région soient mieux écoutés. Le processus porté en Libye, par les Nations Unies, et soutenu, par le gouvernement nigérien, passe par une réconciliation nationale libyenne très forte et inclusive, entre les fils et les filles de la Libye. Il n’y a pas d’alternative possible.

 

- Cela semble plutôt mal parti. La récente conquête, par le général Khalifa Haftar, des terminaux pétroliers stratégiques situés sur le littoral de la Cyrénaïque, en Libye orientale, a accru considérablement les tensions déjà existantes, entre Haftar et le gouvernement de FaiezSerraj, basé à Tripoli et soutenu par les Occidentaux et les Nations Unies…

- Nous savons que le contexte libyen est très difficile. Il y a, tout d’abord, l’héritage de l’intervention militaire de 2011, puis la composition, extrêmement complexe, de la société libyenne et les agendas des acteurs de la crise actuelle qui diffèrent. Tous ces facteurs rendent difficile une réconciliation nationale mais elle est indispensable. En même temps, il faut absolument continuer à combattre les groupes terroristes présents en Libye et les battre, afin de permettre, au gouvernement de Tripoli, de reconquérir le contrôle sur l’ensemble du territoire libyen. L’enjeu est crucial car, au-delà des terroristes islamistes, il n’est pas possible d’avoir un pays divisé en deux.

 

- Quels sont les risques majeurs de la guerre menée contre les terroristes en Libye ?

- Pour le Niger, il faut, absolument, empêcher les terroristes qui seront vaincus, à l’Est ou à l’Ouest de la Libye, de fonder des enclaves dans le sud libyen où ils pourraient prospérer. Aujourd’hui, ce risque est réel et il le restera, tant que nous n’aurons pas une autorité nationale libyenne en mesure de contrôler tout son territoire. L’absence, même partielle, de l’Etat libyen, dans une ou plusieurs parties de son territoire, permet, aux terroristes, aux milices armés et aux groupes criminels en tout genre, de prospérer. 

 

- Vous sous-entendez que le Sud libyen n’est pas sous contrôle ?

- Il ne l’est pas suffisamment, c’est certain. Certes, chacun vit cette menace de manière différente : la Communauté internationale exprime des préoccupations ; nous, nous les vivons. Nous en mesurons les impacts sécuritaire, économique, voire sociologique car nous avons les mêmes populations des deux côtés des frontières qui séparent la Libye du Niger, du Tchad ou du Soudan. Bref, l’instabilité de ce pays est une menace pour toute la sous-région.

 

- Aujourd’hui, le Niger est confronté à trois menaces sécuritaires : au Nord, avec la Libye ; au Sud, avec Boko Haram, et à l’Ouest, avec le Mali. Comment un pays aussi pauvre que le vôtre est-il en mesure de lutter sur autant de fronts ?

- C’est extrêmement difficile mais nous pouvons compter sur le soutien de la Communauté internationale, notamment la France et les Etats-Unis.

 

 

- Quels sont les besoins du Niger, pour rendre plus efficace la lutte engagé contre les groupes terroristes ?

- Les puissances amies doivent, tout d’abord, renforcer leur appui, au niveau du renseignement, et contribuer à mieux équiper et à mieux former les forces de l’ordre nigériennes. Plus de 10% de notre budget national est dédié à la lutte engagée, par l’Etat nigérien, contre les terroristes, et, donc, à la sécurité du pays. Et le Niger est un verrou sécuritaire, pour une bonne partie du continent africain, voire en dehors de l’Afrique :si ce verrou saute, les conséquences seront directes, pour de nombreux pays. Lorsque les terroristes trouvent un point d’appui, ils attaquent les pays environnants. C’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso où les attaques ont été perpétrées par des terroristes installés au Mali.

 

- Quel est le niveau de menace posé par Boko Haram, aujourd’hui ?

- C’est une menace très affaiblie mais Boko Haram reste une menace. A l’heure actuelle, ce groupe terroriste n’est plus en mesure d’attaquer, ni d’occuper, sur le long terme, une quelconque ville au Nigéria, au Niger, au Cameroun ou au Tchad. Ses membres n’en n’ont plus la capacité militaire. Néanmoins, ils vont mener des actions asymétriques, en commettant des attentats, ici et là.

 

- Comment jugez-vous l’appui de l’Union Européenne au gouvernement nigérien, dans sa lutte contre le terrorisme ?

- Jamais l’UE n’a fourni autant d’efforts qu’aujourd’hui, dans son soutien aux pays de la sous-région et, tout particulièrement, dans le domaine de la formation de nos forces de l’ordre, notamment à travers EUCAP-Niger, ou bien dans les financements de projets liés aux nombreuses problématiques qui sévissent dans notre pays. Nous avons aussi le sentiment que, finalement, l’UE a une voix et un leadership, et qu’elle a compris que les défis du terrorisme et de la sécurité sont liés au développement. Jusqu’à récemment, cette approche n’était pas admise, dans les grandes réunions internationales. Elle l’est devenue, aussi, grâce à l’action de l’Union Européenne, dont la diplomatie est très active. Ceci est apprécié. Je pense, par exemple, à la dernière réunion qui s’est tenue sur la Libye, à Bruxelles, et à laquelle les pays voisins ont été associés.

 

- Les migrations sont devenues une priorité dans l’agenda politique européen, notamment dans ses relations avec l’Afrique. Quels sont les défis prioritaires pour un pays de transit comme le Niger ?

- Au cours du Sommet UE-Afrique qui s’est tenu à Malte, en Novembre 2015, le Niger a présenté un programme d’action qui nécessitait, à l’époque, 600 millions d’euros de financements, pour gérer, au mieux, les questions migratoires. Jusqu’à présent, l’UE a apporté, à peu près, 100 millions d’euros mais Bruxelles ne peut, à elle seule, nous aider à mettre en œuvre ce programme dont le but est de lutter contre les causes profondes des migrations, à savoir l’insécurité, les effets du changement climatique, la pauvreté, la transformation structurelle de nos économies. Les problèmes auxquels sont confrontées les populations du Lac Tchad, dont la superficie s’est considérablement réduite, ces cinquante dernières années, résument, à eux seuls, les défis qui nous attendent. Dans le même temps, il nous faut renforcer les capacités des Etats africains et ceux de la sous-région, je pense, notamment, à nos capacités de défense, pour contrôler plus efficacement nos frontières.

 

- La Commission européenne a lancé, en Juin dernier, un nouveau cadre, pour les partenariats sur la migration, avec les Pays tiers dont ceux africains. Elle y mentionne la volonté d’adopter des mesures incitatives, positives et négatives, à intégrer aux politiques commerciale et de développement de l’UE, afin de récompenser les pays désireux de coopérer, efficacement, avec l’Union, en matière de gestion des migrations. La Société civile a fustigé cette approche, en soulignant que celle-ci pousse les pays africains à n’accueillir leurs citoyens expulsés de l’UE, qu’en échange d’une augmentation de l’aide européenne au développement. Est-ce que le Niger est soumis à ce genre de logique ?

- Il s’agit, peut-être, d’une option générale, dans le domaine de la coopération au développement, mais, depuis mon accession au poste de ministre des Affaires étrangères du Niger, en Avril 2016, aucun pays européen ne nous a jamais soumis à de telles conditions. Dans aucune des négociations auxquelles j’ai pu participé, il n’a été question de conditionner l’aide aux rapatriements des migrants expulsés de l’Europe. Ceci dit, le Niger est plus un pays de transit qu’un pays de départ de migrants. Je sais aussi qu’en Europe, les gouvernements sont soumis à d’énormes pressions, de la part de l’opinion publique, sur les questions migratoires, et qu’ils doivent apporter des réponses aux préoccupations de leurs citoyens.

 

- Le Premier ministre italien, Matteo Renzi, pousse l’Union Européenne à changer sa stratégie sur les migrations, pour prendre des mesures en faveur des investissements en Afrique. Quel regard portez-vous sur cette approche ?

- Le Premier ministre italien a tout à fait raison. L’Afrique a besoin d’investissements, c’est le moyen le plus efficace, sur le long terme, pour freiner les flux migratoires. Les jeunes nigériens et africains ne demandent qu’à travailler, pour ne pas devoir migrer vers l’Europe, au péril de leur vie. Les investissements permettent d’offrir de l’emploi à ces jeunes mais ils doivent être publics, de préférence, car le secteur privé n’est pas intéressé à agir sur le long terme, il a plutôt tendance à vouloir générer des profits à court terme.

 

Entretien réalisé aux Nations Unies, à New-York, lors de la 71ème Assemblée Générale de l’ONU

par Joshua Massarenti (Afronline/VITA, Italie)

© Le Nouveau Républicain (Niger), Le Calame (Mauritanie),

Mutations (Cameroun), Le Confident (RCA),

Les Echos (Mali), Afronline/VITA (Italie).