J’ai récemment lu un ouvrage, intitulé La Chaumière Africaine, paru en 1824 à Dijon, chez Noellat, écrit par une rescapée du naufrage de la frégate La Méduse, l’un des incidents maritimes les plus célèbres, survenu aux larges de nos côtes, prés de l’ile d’Arguin le 2 juillet 1816.
L’auteure de ce livre, Mme Dard, née Charlotte-Adelaïde Picard, fut membre d’une famille de neuf personnes qui avait commencé ce voyage en deux étapes : d’abord de Paris, où elle vivait, jusqu’à Rochefort, ensuite de Rochefort à l’île d’Aix où le fameux périple maritime macabre avait commencé le 17 juin 1816. Après deux semaines en mer, avec des intempéries variées, le naufrage de la Méduse eut lieu le 2 juillet suite à des erreurs de navigation. Le commandant du navire, Hugues Duroy de Chaumareys, et son staff, comprenant le colonel Schmaltz, le gouverneur nommé pour le Sénégal, avaient essayé, avec les moyens de bord, de faire face à cette catastrophe afin de réduire les pertes humaines. Ce fut le 5 juillet qu’un radeau avait été construit à la hâte afin de transporter le gros des passagers, le reste fut transporté par les canots dont disposait ce navire.
L’auteure fait une description précise du chaos qui régnait lors de l’opération de sauvetage, conçue et mise en œuvre in extremis, et l’égoïsme inouï de certains membres du staff, mais aussi l’héroïsme de certains officiers qui avaient un grand sens de responsabilité et d’humanisme envers les passagers sinistrés. Mme Dard n’a pas oublié de rapporter les scènes inhumaines qui avaient eu lieu sur ce radeau lorsque les canots avaient cessé de le remorquer et suite au manque criant de vivres, à tel point que ces passagers avaient commencé « à s’entre-dévorer et à se repaître chacun de la chair de son semblable » suivant sa propre expression. Le célèbre tableau de Géricault, pour ceux qui l’ont déjà vu, réconforte les propos de l’auteure.
La mission militaro-administrative de ce navire fut la reprise de la colonie du Sénégal et sa capitale à l’époque, Saint-Louis, des Anglais qui l’avaient occupée, suite à la fin des guerres de Napoléon Bonaparte en Europe et la restauration de la Monarchie en France, concrétisée par l’accord de 1814 entre l’Angleterre et la France, restituant à cette dernière ses colonies d’Outre-mer, y compris le Sénégal. Mais ce qui est plutôt intéressant dans ce naufrage, c’est sa dimension humaine, où des Maures vivant sur le littoral, probablement dans les limites de l’actuelle Moughataa de Keur-Macène, avaient efficacement secouru une partie de ses sinistrés, selon le récit de l’auteure.
En effet, dit Mme Dard, lorsque l’embarcation, le Canot- Major, qui transporta sa famille, composée de neuf personnes a été déjà signalé, en plus de trente trois autres personnes, avait été frappée par une forte tempête, ses passagers avaient dû l’abandonner, préférant s’exposer aux risques du désert que de mourir dans la mer. C’est à partir du 9 juillet qu’ils ont abandonné ce canot pour constituer une caravane qui prit le cap du Sénégal.
C’est après une journée de marche sur les sables brûlants du désert, en plein été, qu’un groupe de Maures, composé de bergers, surgit. Ce fut une lueur salvatrice pour les membres de ce groupe en détresse, même si certains d’entre eux avaient cru que ces Maures n’étaient autres qu’un élément de reconnaissance d’une armée de Maures venue les attaquer. Après un bref échange, les rescapés se rendirent compte que leurs visiteurs affichent une attitude plutôt pacifique et humaniste à leur égard. Les Maures ont conduit tout le groupe à leur propre campement où ils les avaient bien accueillis et traités. Ce groupe des rescapés du naufrage de la Méduse avait alors repris espoir et continué sa marche à dos d’animaux jusqu’à Saint-Louis.
Je pense que cet épisode, fort intéressant, du naufrage de la Méduse, doit faire partie de l’histoire de notre littoral.