Tout le monde sait tout chez nous. Tout le monde sait tout sur tout le monde. Tout le monde sait tout sur le monde. Tout le monde sait tout.
Ce que vous mangez, ce que vous pensez, qui vous voyez, combien de sucres dans votre café, les cadavres dans les placards des familles, qui couche avec qui et qui ne couche pas avec qui, à quelle heure vous êtes passés devant bana rose, à quelle heure vous êtes repassés devant bana blanc, à quelle heure vous comptez passer devant le Stade Olympique...
Tout le monde sait à quelle heure est déposé le plat, la taille des moustaches du grand père, les frasques de l'arrière tante, les coliques du petit frère et la dépression de la tante.
Tout le monde sait tout... Rien ne s'ignore, rien ne se perd, tout se papote et se transmet ; et posséder 3 téléphones facilite la transmission de ce que nous considérons comme le Savoir : le cancanage, le commérage, la transmission... Avec Mattel, on appelle un autre Mattel en lui demandant de garder le secret. Ce Mattel décide de passer par Mauritel pour appeler vers un autre Mauritel, toujours demande de « tu ne dis rien hein ? »... Puis c'est au tour de Chinguitel de servir de courroie de transmission. Celui qui veut transmettre vite mais qui n'a plus de crédit sur un de ses appareils, soit bipe un gogo quelconque (chez nous le « bipage » est un sport pratiquement féminin, l'homme étant considéré comme une vache à lait), soit, pressé, appelle de son Mauritel vers un Mattel, vidant à vitesse grand V un crédit qui, déjà, se réduit comme peau de chagrin dès que l'on pense même à téléphoner...
Bref, tout le monde sait tout... Nous sommes le pays « Bureau des Renseignements, j'écoute... ! » à ciel ouvert, tout un peuple de Z'yeux... Et c'est de l'art car ces yeux là ne regardent jamais en face mais ont développé l'art du regard qui ne regarde rien mais qui regarde tout...
Tout le monde sait tout. Je suppose que tout le monde connaît la taille de la culotte d'une telle ou du caleçon de tel autre...
On sort de chez soi et, passé le pas de la porte, quelqu'un vous a déjà repéré. Au troisième pas, vous faites l'objet d'une de nos fiches « S » à nous. Au 4°, z'êtes déjà estampillés... Au 5° vous êtes mis dans la catégorie soit « pas sérieux », soit « houlala mais c'était pas sa femme là, dans la voiture ! », soit « c'était pas la cousine du tonton du grand père de Vlane ould Vlane, qui travaille dans le 10° sous sol du Ministère X, qui était assise à côté de Xould Y ? », soit « on a vu Mint quelque chose au fin fond de la route de NDB ; qu'est ce qu'elle fichait là bas ? Elle n'habite pas à l'îlot V ? Han han.... », soit « je ne veux pas te faire de la peine, tu sais que je suis ta meilleure amie, mais j'ai vu ton mari avec Aïchetou ( ou Aminetou, ou Mariem, ou Leïla, ou Mahjouba, ou Roughiyatou, ou Binta, etc.....)... » etc etc....
Quand on ne sait pas, on ressort les vieilleries, on déterre les morts, on dépoussière les guerres tribales, on se chuchote les trucs « inavouables »...
On divorce les gens, on marie d'autres, on « haramise » certaines et certains, on remarie après avoir divorcé, on crée des triangles amoureux, des quadratures du cercle, des théorèmes et des abécédaires conjugaux...
Nous n'adorons rien tant que cancaner. Et comme nous nos ennuyons, nous cancanons à l'aune de nos ennuis...
Grand sport national, très souvent féminin, mais aussi masculin...
Nous sommes si forts dans cette philosophie de l'espionnage et du ragot que nous avons développé une technique pour faire croire que nous sommes des anges : le wakhyert....
Et wakhyert par ci, et wakhyert par là, à chaque fois que nous rencontrons quelqu'un, soit dans la vie, soit sur les réseaux sociaux....
On « tombe « sur quelqu'un et, hop, la machine à wakhyert est lancée... Le receveur ne peut que se sentir flatté par tant de flagorneries...
Une fois ce même receveur parti, en avant la machine à ragots...
Un wakhyert non accompagné de ses ragots ultérieurs n'a aucun sens... Flatter, sans critiquer ensuite, ne serait qu'exercice somme toute débile et improductif...
Non, le pied c'est de « wakhyerter » à tout va, puis de descendre à tout va...
C'est comme ça chez nous.... Nous sommes si polis, si bons musulmans, si extraordinaires.... si moraux...
Nous sommes « onctueux »...tellement onctueux que nous en devenons dégoulinants, gluants...impossibles à attraper entre les doigts, les rois de l'esquive, véritables anguilles....
Dès l'enfance, on nous apprend le B et A BA de la survie en milieu hostile « wakhyertant » : ne rien dire, ne rien confier, ne rien montrer, tout cacher, ne faire confiance à personne....
Malheur à celle ou celui qui transgresse les règles, ayant encore en lui une naïveté envers ses semblables Nous Z'Autres.... L'oreille dans laquelle il dépose ses secrets se transforme en bouche à autre oreille et, d'oreilles en bouches et de bouches en oreilles, il se retrouve à alimenter les cancans…
Oui, tout le monde sait tout. Tellement tout qu'il ne sait rien. Mais il est persuadé qu'il sait tout, alors ce tout devient la norme....
Nous aimons tout le monde, nous détestons tout le monde... A commencer par nous mêmes, mais ça nous ne le savons pas...
A défaut de créer, d'inventer, de proposer, d'être utiles quoi, nous avons décidé une fois pour toutes que parler sur les autres valait tout, même le crédit téléphone que nous n'avons pas....surtout le crédit téléphone que nous n'avons pas...
Je me dis que le jour où nous mettrons toute cette énergie de la méchanceté à avancer, nous pourrions devenir une grande nation.... Mais cela demande un courage, une morale, que nous ne possédons pas pour beaucoup d'entre nous...
Parler, « hâbler », cela nous suffit...
Et nous nous contentons de peu....
Salut
Mariem mint DERWICH