Pour compter du cinquantenaire du premier gouvernement mauritanien – 20 Mai 1957-2007 – formé par Moktar Ould Daddah, à grands risques et périls, Le Calame et son directeur m’ont fait l’honneur de leurs colonnes.
A mesure de cette collaboration, à laquelle je tiens, et qui commença par la mise au point de dates-anniversaires significatives ou fondatrices de votre histoire contemporaine, mes chers compatriotes d’adoption, puis qui, avec le putsch du 6-Août, se diversifia en analyses et recommandations politiques, j’ai fortement ressenti son utilité.
Le thème est commun : il s’agit de la légitimité sans laquelle aucune action politique durable, quelles que soient les circonstances, et efficace dans les esprits, n’est possible. L’expérience a été faite dès l’automne de 1978, sous l’éphémère colonel Mohamed Ould Mustapha Saleck, puis selon tous ses successeurs à la tête des régimes militaires autoritaires, que, sans cette légitimité, il n’y a de limite à l’exercice du pouvoir que le renversement par la force, douce ou ferme, du détenteur de ce pouvoir, et que la nature de tels régimes coïncide avec la résurgence, de plus en plus grave pour votre unité nationale, de pétitions ethniques, de moins en moins camouflées par la question linguistique ou culturelle, et maintenant marquées par la question sociale et même religieuse. Coïncide… ou cause cette résurgence et ces pétitions, manifestations, troubles.
A l’expérience d’autres pays africains, à l’expérience-même de mon pays de naissance et de fierté, la France – que généralement vous estimez, vous aussi, et savez distinguer de ses gouvernants – j’ai constaté qu’une construction ou un maintien des forces nationales supposent de grandes références, et qui soient contemporaines. Le général de Gaulle et le président Moktar Ould Daddah constituent, mes chers compatriotes d’adoption, cette référence actuelle. Nos pays respectifs en ont grand besoin.
Encore faut-il les connaître, et exactement.
Dès Mars 1972, à l’occasion d’un referendum proposé aux Français sur la participation de l’Angleterre à l’entreprise européenne, j’ai mis en cause – grâce aux colonnes du Monde qui m’ont été ouvertes, à partir d’un premier papier que ne commettaient pas les illustrations gaullistes – ceux de ses successeurs, quels que soient leur titre, et Georges Pompidou en avaient d’excellents, collaborateur de l’homme du 18-Juin pendant sa « traversée du désert », puis son Premier ministre, et enfin élu président de la République – qui méconnaissaient le legs et la pratique du fondateur. Je continue, comme je le peux, j’ai enquêté à fond sur les circonstances de son propre désaveu par les Français en Avril 1969, et donc de son retrait du pouvoir par profond respect de la démocratie. J’ai ainsi questionné la plupart des collaborateurs proches du Général ou ses principaux ministres.
Immense privilège
En Avril 1965, j’ai eu l’honneur exceptionnel pour un jeune « coopérant », enseignant à la future Ecole nationale d’administration mauritanienne, d’être reçu par le président de la République Islamique de Mauritanie, puis presqu’aussitôt d’être admis dans une confiance et une affectueuse amitié encore plus exceptionnelles. Ce qui m’a marqué à vie. Les explications, confidences et indications que j’ai dès lors reçues jusqu’à la mort du vénérable fondateur – sans jamais d’ailleurs que soient « trahi » quelque secret que ce soit sur les projets gouvernementaux ou sur les personnes – m’ont donné dans leur durée, le fil directeur pour examiner toutes archives disponibles et, dans les premières années, accéder à tous les dossiers vivants du chef de l’Etat mauritanien en cours d’édification : institutionnellement, financièrement, psychologiquement, spirituellement. Et j’ai questionné beaucoup de ses ministres et collaborateurs. Certains entretiens avec eux ont été publiés dans ces colonnes. Entretiens aussi avec ses « tombeurs » militaires.
Un tel legs que vous avez vécu personnellement, chers compatriotes d’adoption, ou que vous rappellent vos parents et grands-parents, et une telle confiance comme je l’ai reçue, procurent un outil, cette référence – qui manque à la plupart des Etats africains qui vous sont contemporains de naissance et malheureusement d’évolution : trop fréquemment la longévité illégale de dirigeants souvent parvenus à leurs fonctions par la force.
Ma collaboration, relâchée ces mois-ci par recrudescence de votre actualité nationale et, de mon côté, par la mise en chantier d’un livre et de démarches nécessaires à un projet français, dont je vous écrirai le moment venu – va donc reprendre car elle est, je le crois, nécessaire pour que vous soit bien disponible cette connaissance, aussi précise que je le peux, de votre histoire contemporaine. Donc, reproduction de documents diplomatiques français sur votre période fondatrice : ceux-ci donnent la vue et la compréhension (ou pas) de vos éphémérides par l’ambassade de France à Nouakchott, les séries disponibles s’arrêtent en 1979-1980. Les événements semaine par semaine, ou les sujets majeurs comme la question puis la guerre du Sahara. Et, parallèlement, études selon les agences de presse internationales et le témoignage de certains d’entre vous, acteurs ou informés, pour une période qui est explicative du présent : les années 2005 à 2010, depuis les prodromes du renversement du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya jusqu’à la reconnaissance internationale de la prise du pouvoir par le général Mohamed Ould Abdel Aziz. C’est-à-dire le contexte dans lequel fut élu puis empêché votre seul président arrivé légitimement à l’exercice de ses fonctions, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. De son amitié, je m’honore depuis que lui et beaucoup de vous avez résisté à ce putsch – comme nulle part ailleurs en Afrique – et cela pendant onze mois, pacifiquement mais très démonstrativement.
A terme, les ensembles de ces chroniques et documents seront édités et donc mis commodément à votre portée. Je veux rédiger par ailleurs une façon de manuel : un abrégé pour une histoire réconciliée de la Mauritanie contemporaine de 1903 à la fin de mon travail (2017 ou 2018…), et évidemment une biographie de Moktar Ould Daddah : le fondateur, le politique, le saint, tout en faisant relire ces deux manuscrits par quelques-uns d’entre vous.
Mon rêve – dont la réalisation dépend de la suite de votre histoire nationale, quand elle verra enfin votre invention d’une démocratie adaptée, qu’inspireront vos traditions, toutes ethnies et cultures prises ensemble, et l’expérience de la période-clé, celle de 1957 à 1978 – serait d’être souvent en résidence parmi vous pour débattre et enseigner, poursuivre ma documentation et la placer à votre disposition (dépôts et internet, concours à vos Archives nationales, à la Fondation Moktar Ould Daddah et à l’Institut du Monde arabe à Paris) et enfin pour organiser, dans la capitale et à travers tout votre pays, avec le maximum de vos chercheurs, universitaires et jeunes curieux et civiques, la collecte et la traduction de la mémoire orale de vos aînés. Un de mes éminents amis, Mohameden Ould Babah a déjà entrepris depuis une quinzaine d’années, ce décisif travail, et peut-être certaines de vos institutions scientifiques nationales s’y adonnent-elles aussi. Personne ne sera de trop, et pas moi – j’espère.
Donc, à la fin de l’hivernage : nouvelles chroniques anniversaires (2005-2010) et Sahara, suite.
Pour Le Calame, matin du lundi 25 Juillet 2016