Il faut souvent gratouiller le vernis d’une polémique pour en trouver l’objet réel. Il y a tout autre que des blessures d’ego, dans le cri de Mariem et l’ironie de Mamadou Kalidou : une incompréhension, profonde, de l’Autre ; l’expression d’une fosse, insensée, entre ce qui se vit et ce qui le représente. Aussi dépourvue de sens soit-elle, cette fosse, il faut bien, pourtant, qu’elle ait été fouillée. Par qui ? Pourquoi ? Un système est à l’œuvre, sournois ; il sépare les enfants, de porte en porte, au pasoù de chaque, chacun voit son midi, jusqu’à faire carrière, comme on creuse sa tombe : troufions ou généraux, béotiens ou savants, artistes ou scientifiques, variablement vivants, variablement compétents, variablement reconnus…
Métisse, c’est dans sa chair, son âme, ses joies et ses peines, quotidiennes, que Mariem vit sa francophonie mauritanienne. Une franco-mauritanité un peu plus passionnée, donc, que la gouailleuse mauritanitude francophone d’un Habib ould Mahfoud, 100% pur zrig, lui, mais qui la rejoint dans l’impertinence d’une langue sans « bande-à-cul » (1). « Waouaye-moi ! «, me prie mon fils, en quête d’éclairage dans la nuit.J‘applaudis à cette lumineuse initiative qui ne rentrera, pourtant,probablement jamais au dictionnaire Larousse. Car si c’est précisément dansl’immédiateté de ces tournures que s’élaborela substance même de la francophonie mauritanienne, il reste à construire le répertoire qui en traduirait les mouvements. Ce n’est, apparemment pas, le travail du GRELAF.
Plus exactement, ce n’était, manifestement pas, l’objectif de son « Anthologie » et la majuscule si vainement dressée ne peut cacher l’erreur de titre. Il y a des auteurs mauritaniens qui écrivent « comme de Gaulle ou comme Perse » (1), voire Stendhal ou Louise de Vilmorin ? A la bonne heure ! Les « pouffiasses littéromanes » (1) nostalgiques du grand empire Français auront, par les bons soins de nos universitairesnouakchottois, de quoi lire. Mais à prétendre parler de la littérature mauritanienne francophone – et non pas, donc, française ou de style français – il eût fallu penser tout ce que cela a signifié et signifie, encore, de combats, de rencontres, d’amours et de haines, de conflits de lexique, de grammaire et de conjugaisons, entre des réservoirs de sens si profondément différents, avant que n’émerge littérature nouvelle, née des sables, des armes, des compromis, et des lectures, aussi, apaisées, aux heures chaudes, sous la tente…
« Chose écrite », avant de constituer « l’ensemble des œuvres écrites auxquelles on reconnaît une finalité esthétique », la reslitteraria, comporte, comme la res publica, des enjeux politiques. Nous voilà revenus à ce qui creuse les fosses entre les gens. Est-il possible d’entendre, maintenant, que la même pelle peut, en de bonnes mains, conscientes de ce qu’elles font, s’employer à remblayer les béances ? « Le peuple uni ne sera jamais vaincu », chantait Sergio Ortega, au Chili, dans les années soixante-dix. Une utopie, sans doute. Mais qu’il est bon de se souvenir, voire s’inspirer, de temps à autre, dans l’appréhension de notre spécificité mauritanienne. Même si c’est à Paris que fut choisi le mot qui représente, désormais, notre Nation – la Mauritanie – c’est bien elle qui habite, aujourd’hui, le français légué par les coloniaux. A elle de l’utiliser à sa guise. Et non pas le contraire. Car si tel était vraiment le cas, il y aurait fort à craindre, messieurs de l’Université, que vous n’ayez bientôt plus qu’une tâche d’archéologue…
Tawfiq Mansour
(1) : Références à la célèbre chanson « Le chien », de Léo Ferré, dont tout écrivain – a fortiori, tout bon critique littéraire – se devrait de méditer les paroles. Aussi provocatrices, excessives et incendiaires soient-elles, elles nous invitent à repenser, toujours, les écarts entre le Réel et nos représentations…