Dialogue : Paroles d’élus

16 June, 2016 - 03:37

L’autre jour, un sénateur et un député ont échangé devant moi au sujet de la grogne des sénateurs, du dialogue et des principales questions de l’heure. Leur dialogue, approximativement repris  ici, illustre les limites en tout de nos élus. Lisez :

 

  • Député : Et alors, où en êtes-vous avec cette quasi fronde ?
  • Sénateur : Pourquoi quasi, n’est-ce pas, au moins, nous retardons le fonctionnement des institutions parlementaires ?
  • Député : Certes, mais ça c’est une chose et  la fronde en est une autre…
  • Sénateur : C’est vrai que toi tu fus un activiste de la première fronde de 2008 !
  • Député : Ah, oui ! J’y étais mais je n’en étais pas l’initiateur… Si j’en avais été l’initiateur, je n’aurais pas d’ailleurs qualifié votre mouvement de «quasi fronde», tu vois ?
  • Sénateur : Je vois bien là où tu veux en venir : tu veux dire que les militaires, qui nous manipulaient en 2008, sont les seuls à pouvoir initier une fronde qui vaille ?
  • Député : Je veux dire seulement ce que toi et moi nous nous disons depuis près de 20 ans maintenant…
  • Sénateur : … mais qu’est-ce qu’on se dit ?
  • Député : Mais qu’est-ce qui t’arrive, mon ami ? Tu es toujours sénateur et même si le sénat sera effectivement supprimé, tu seras sûrement placé quelque part parce que, tu le sais bien, ici, en Mauritanie, on se débarrasse très difficilement de ceux qui ont déjà été casés  et on case difficilement ceux qui ont la malchance d’être marginalisés.
  • Sénateur : Mais, tu crois que je m’inquiète pour mon sort ? Tu te trompes.
  • Député : Non, je ne pense pas ainsi mais je m’étonne que tu aies déjà oublié qu’on s’est toujours dit que le pays est pris en otage par cette oligarchie militaire et que, sans les militaires, rien ne peut être fait ici. Autrement dit, pas de fronde réussie qui ne jouisse pas du soutien de militaires !
  • Sénateur : Je vois.  Dans notre cas donc, nous au sénat, ce n’est qu’une quasi fronde parce que les militaires ne sont pas avec nous.
  • Député : Exact. D’ailleurs vous-mêmes, vous le savez.
  • Sénateur : En quoi nous le savons ?
  • Député : Eh bien, vous le savez parce que depuis le 3 mai 2016, vous avez toujours atermoyé, vous n’avez jamais voulu entrer en crise ouverte avec le président de la République…
  • Sénateur : Pourquoi, le président de la République?  Est-ce qu’il est concerné ?
  • Député : Justement, ce n’est qu’avec lui que vous êtes fâchés mais, sans soutiens militaires, vous n’avez pas osé le dire…
  • Sénateur : Non, nous on est simplement mécontents avec des responsables de l’UPR et des ministres qui ont tenu des propos peu amènes à l’endroit de la chambre haute. Et le président n’est guère concerné par ça.
  • Député : Avec l’âge et une petite dose de politique politicienne, tu commences vraiment à être déboussolé, mon ami.
  • Sénateur : Mais pourquoi tu le dis ?
  • Député : Simple, parce que ces responsables UPR  et ces ministres n’ont fait que «disséminer» les propos tenus par le président Abdel Aziz lors de son «discours historique» de Néma, le 3 mai 2016, ils n’ont rien dit de plus que ce qui est contenu dans ce discours.
  • Sénateur : Vrai, mais en expliquant le discours, ils ont tu certaines choses, ont interprété et commenté  certaines autres.
  • Député : Pour certains thèmes du «discours historique», ils se sont juste contentés de répéter ce que le chef suprême a dit. En l’occurrence, ils ont répété textuellement ce qu’il a dit à propos du Sénat, sans plus !
  • Sénateur : Je vois mais je croyais que ces intervenants s’étaient quand même attaqués plus qu’il ne fallait à notre chambre.
  • Député : Mais, je te dis que  ces pauvres gens n’avaient fait que répéter le président de la République ! Seulement, concédez-moi que, par calculs,  vous n’avez pas voulu avoir affaire directement avec le président.
  • Sénateur : Nous ne voulons certes pas avoir de problèmes avec le président. Ça c’est un fait… mais nous avons simplement voulu  lui signifier que nous sommes mécontents et de la suppression de la chambre et de ce qui a été dit à son propos.
  • Député : Voilà pourquoi moi j’ai dit qu’il s’agit d’une «quasi fronde».
  • Sénateur : Right !
  • Député : Mais, savez-vous que le pouvoir n’a jamais voulu du sénat ? Du moins, depuis l’enquête sur les biens de la fondation de l’ex première dame. Tu sais, le pouvoir n’aime pas ceux qui savent fouiner.
  • Sénateur : Pourquoi, en dehors de ça,  penses-tu que le pouvoir n’a jamais voulu du sénat ?
  • Député : C’est clair, depuis quand la chambre est hors mandat ? Au début, le renouvellement a été retardé pour une question de pièces d’identité et depuis, c’est soi disant ce fameux dialogue qui est pris pour prétexte, tu vois ?
  • Sénateur : C’est vrai, mais ce n’est pas que le pouvoir ne veuille pas du sénat ! Là, le pouvoir veut toucher à certains articles précis de la Constitution et seuls le sénat ou l’assemblée nationale ou leurs présidents se trouvent dans ces articles destinés à être modifiés et, comme on ne peut supprimer la chambre basse, c’est le sénat qui se trouve être le mieux indiqué pour être supprimé, voilà tout.
  • Député : Quels articles ? Surtout maintenant que le président n’envisage plus de toucher à la durée ni au nombre des mandats présidentiels et surtout qu’il dit  ne pas avoir l’intention de se présenter de nouveau.
  • Sénateur : Attention, fais gaffe ! Tu ne sais pas que le président n’a jamais dit qu’il ne se présentera pas pour un nouveau mandat ? Il a juste dit, et à un média étranger s’il te plaît, que ses serments sont importants pour lui.
  • Député : Ça alors ! Que faut-il comprendre ?
  • Sénateur : Il faut comprendre que le président a la volonté d’entretenir le flou et ne veut nullement pas que les Mauritaniens sachent à quoi s’en tenir. Il n’y a qu’à voir tous ses proches qui ont déclaré, la semaine passée, que la Mauritanie a encore besoin «du président et de son œuvre salvatrice», manière de laisser entendre que rien n’est encore joué.
  • Député : Mais que va-t-il faire avec la tenue toute prochaine du Dialogue ? Avant la tenue de ce conclave, il faut qu’il dise ce qu’il a l’intention de faire !
  • Sénateur : Il ne le fera jamais.  Et puis le dialogue, es-tu sûr d’ailleurs qu’il aura lieu ?
  • Député : Si…N’est-ce pas le président a dit qu’il va se tenir et n’a-t-il pas fixé une date pour cela ?
  • Sénateur : Cette date est déjà largement dépassée depuis le 31 mai 2016 ! Et ce n’est pas la première fois qu’on parle d’un dialogue imminent et qui finit par ne pas avoir lieu. D’ailleurs moi je crois qu’il n’aura pas lieu tant qu’on l’appelle «dialogue».
  • Député : Que veux-tu dire par là encore ?
  • Sénateur : Que le mot «dialogue» est taré ici. Dites à votre président de l’appeler «conférence nationale» et ça ira, tu verras.
  • Député : Moi, je soutiens le président et, pour cela, je ne lui recommanderai que davantage de sincérité et de transparence. Et tout ira bien.
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