Protection de l’environnement et développement économique

8 June, 2016 - 23:46

"Ces articles sont publiés dans le cadre d’un projet financé par le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture pour la promotion de la protection de l’environnement"

La Mauritanie appartient à la zone du Sahel la plus touchée par les sécheresses récurrentes depuis 1968. Cette pression climatique est venue s’aouter à la révolution sociale subie par ses habitants – révolution notamment marquée par un fort exode rural – pour enclencher une dégradation notable de l’environnement et une modification très sensible des conditions socio-économiques générales, creusant les inégalités entre les gens.

Tous les secteurs vitaux de l’économie nationale sont concernés. En réponse aux catastrophes récurrentes qui résultent de cette situation, le gouvernement mauritanien consacre régulièrement une partie de son budget à des programmes d’aide aux populations vulnérables. C’est le cas du programme Emel (Espoir), doté, en 2012, d’une enveloppe initiale de 42 milliards MRO et d’un financement revolving de 12 milliards MRO par an, soit un financement cumulé d’environ 78 milliards MRO pour la période 2012-2015 US. Ce programme d’urgence suit un précédent de même type, dénommé «  Solidarité », qui coûta, en 2011, neuf milliards MRO. Mais ces interventions règlent-elles les problèmes de fond ? A commencer par la dégradation continue, pour ne pas dire accélérée, de l’environnement ?

« Des forêts protégées sont continuellement déclassées », déplorent nombre d’experts, « pour servir à l’agriculture irriguée ; les rares ressources ligneuses sont surexploitées ; les ceinture vertes déboisées et transformées en nouveaux quartiers résidentiels ; des industries polluantes implantées, sans aucun respect des normes, et même l’interdiction d’importer des véhicules de plus de 8 ans [seule mesure concrète de l’INDC mauritanien, ndr] se révèle contreproductive car l’automobiliste mauritanien pousse sa vieille guimbarde bien au-delà de ce qu’aurait pollué une importée de plus de huit ans ». On peut ainsi distinguer deux grandes catégories de problèmes.

En un, la surexploitation des ressources renouvelables – déforestation, forçage outrancier des terres cultivables, surpâturage et surpêche, surtout – entraînant désertification et diminution de la biodiversité. Des problèmes eux-mêmes de double nature : gestion, d’une part, et protection,  de l’autre ; qui soulève la question, plus générale, du partage des ressources entre l'homme et la Nature. En deux, l’accumulation des déchets, une situation génériquement globalisée sous le terme de « pollutions », déchets qui modifient, altèrent ou détruisent les fonctionnalités des écosystèmes, tant à l'échelle locale que planétaire.

 

Pas de croissance économique durable sans environnement sain ?

Les participants à la session sur les questions environnementales, lors de la Conférence Economique Africaine (AEC), le 29 octobre 2010, ont admis le postulat de base de ce que la croissance économique est  l’objectif essentiel de la politique macroéconomique. Seul véhicule de lutte, à leurs yeux, contre la pauvreté, elle est cependant paradoxale. L’expérience l’a démontré, en de nombreux pays : croissance économique entraîne trop souvent utilisation abusive des ressources et pollution ; à terme, pauvreté accrue. La protection et la gestion durable de l’environnement apparaissent ainsi, à nombre de spécialistes, en impératifs incontournables de la croissance.

D’autres opposent, à cette vision de la croissance mesurée, un modèle, tout au contraire, de croissance accélérée, autorisant une dégradation initiale de l'environnement, avant d’utiliser les revenus de celle-là pour une gestion appropriée de celui-ci.  Mais, on l’a vu, notamment, avec le drame de la mer d’Aral, quasiment desséchée par les besoins forcenés de l’agriculture industrielle, les conséquences de cette fuite en avant pèse lourd sur les plus faibles. Tout particulièrement les petits exploitants. Leur productivité est fortement dépendante de la bonne santé des écosystèmes. Elle est, par exemple, très affectée par les changements climatiques. Plus cette productivité décroît, plus l’urgence conduit à des  pratiques négatives pour l’environnement et, au final, pour les exploitants eux-mêmes, leurs familles, la société en général, soumise à des tensions sociales croissantes : le modèle actuel n’est pas soutenable à long terme, ni même à moyen terme. Plus la proportion de pauvres d’un pays est importante, plus ce constat se révèle vrai.            

 

 

Une politique environnementale cahoteuse

Il semble que les autorités mauritaniennes aient pris conscience de l’importance de gérer, convenablement et conjointement, le contenu – la richesse des ressources naturelles du pays – et le contenant – leur environnement – tant pour sa population que pour le développement de son économie. Les actions engagées en ce sens butent, cependant, sur une carence en informations et analyses, en raison de la complexité des phénomènes environnementaux, du nombre important d’acteurs concernés et de l’importance des enjeux soulevés.

 La politique environnementale de la Mauritanie est définie par la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) et son plan d’action opérationnel : le Programme d’Action National pour l’Environnement (PANE). Approuvés en 2006, ces outils visent, à l’horizon 2015 et en cohérence avec le CSLP, une meilleure intégration de l’environnement et du concept de développement durable dans les politiques sectorielles. La Mauritanie est également signataire de plusieurs conventions et accords internationaux et régionaux relatifs à la protection de l’environnement. Mais, essentiellement pour les mêmes raisons évoquées tantôt, leur mise en œuvre, parfois, même, leur « simple » intégration à la législation et la réglementation nationale, demeurent limitées et peu concertées.

Nuançons le propos. Les textes législatifs en faveur de la protection et la gestion durable de l’environnement et des ressources naturelles existent bel et bien. Ils relèvent d’abord du Code de l’environnement (2000) et du décret relatif à l’EIE (2004, révisé 2007)]. Plusieurs autres règlements ont, depuis, été élaborés, pour intégrer les préoccupations environnementales dans les politiques sectorielles et impliquer, plus largement, les populations (Code de l’eau, Code pastoral, Code forestier, réglementation foncière et domaniale, Code minier, Code des pêches, loi relative à la gestion participative des oasis, etc.). D’autres, comme le Code de l’environnement marin, sont en préparation. Mais ce cadre réglementaire n’a été que peu mis en application. Le manque de contrôle efficace, la faible harmonisation des textes – particulièrement ceux qui traitent d’une même problématique –  et la coordination insuffisante des nombreux intervenants impliqués en ont limité la portée concrète.

 

Inquiétudes

 Au final, l’examen de la mise en œuvre des politiques sectorielles et des programmes montre que les politiques gouvernementales ont plutôt, favorisé le développement économique et n’ont pas suffisamment pris en compte les liens entre environnement et pauvreté. De surcroît, la dichotomie, entre les objectifs environnementaux affichés et ceux réalisés, est réelle. Cette situation se traduit par la persistance de modes d’exploitation peu efficients et insoutenables des ressources. Bref, le débat, entre croissance mesurée et croissance débridée reste, plus que jamais, d’actualité : en Mauritanie comme ailleurs, ce ne serait qu’a partir d’un certain niveau de richesse, une fois les besoins primaires et secondaires assurés, que les populations seraient enfin enclines à se préoccuper de leur environnement.  

Nous voici confrontés à une compétition entre appauvrissement de nos ressources et surpopulation. Or, lorsqu'il y a plus d’individus que ne peut le supporter le territoire où ils demeurent, « l'excédent » se voit en grand danger d'être éliminé de manière « naturelle » ; par des famines, notamment. Surexploitées, les terres s’appauvrissent, alors que les besoins des gens augmentent – habitat, alimentation, énergie…  –  tandis que, dans les nouveaux grands parcs de production-consommation que sont les villes, les pollutions s’accumulent. Atteindra-t-on, à temps, à ce niveau minimal de conscience de notre situation, pour éviter les catastrophes sociales, en prenant résolument en compte la gestion de notre environnement ?  C’est maintenant de jour en jour que la question devient d’une actualité de plus en plus brûlante.   

Mamadou Thiam