Depuis le fameux discours du président de la République à Néma, les commentaires se multiplient, la scène politique s’agite. Pouvoir et opposition y vont, chacun, de son petit latin. Qui pour défendre et vulgariser le discours-bilan du Raïs, d’autres, comme le Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) – , principal pôle de l’opposition – pour fustiger et condamner les tentatives de forcer un troisième mandat présidentiel, la remise en cause, par l’actuel Président, de l’alternance politique, la proposition viciée de dialogue probablement vicieux, les chiffres officiels, douteux, de l’économie mauritanienne ou, encore, pour dénoncer ce que les mouvements comme El Hor, le Manifeste des Haratines ou ledit FNDU appellent « une atteinte à la dignité » à la plus numériquement importante communauté du pays.
Remake de 2015 ?
Tout en réitérant son appel au dialogue, le président de la République en a pratiquement fermé la porte, constatent, de concert, les observateurs et son opposition dite radicale. D’abord, en jetant le discrédit sur celle-ci, traitée de tous les noms d’oiseau : voleurs, menteurs, ennemis de la Nation, anti démocratiques et tout à l’avenant… C’est dire que le Raïs n’est pas allé du dos de la cuillère. Des qualificatifs maintes fois répétées, avant d’enfoncer le clou : il n’y aura pas d’alternance en faveur de cette opposition que le peuple mauritanien a déjà rejetée, parce qu’« opposé à tout retour en arrière. » Rideau !
« Comment aller au dialogue, dans de telles conditions ? », s’est interrogé Mohamed ould Maouloud, président de l’UFP, au cours d’un point de presse du FNDU. L’opposition, qui s’attendait à être « rassurée » sur un certain nombre de questions, comme le troisième mandat que les ministres ont prêché devant le Parlement, est très déçue. Non seulement, le Président est resté très « ambigu » mais il a été aussi très virulent contre elle. Voilà pourquoi le FNDU, très sceptique, campe sur sa position : pas de dialogue dont les règles sont unilatéralement fixées par le seul pouvoir, d’autant plus que celui-ci ne se prononce pas clairement sur le respect scrupuleux de la Constitution, notamment en ce qui concerne le fameux troisième mandat.
Bref, le dialogue prêché par le pouvoir risque fort de se dérouler sans les partis du FNDU, même si certains voudraient bien y participer, comme en témoigne le débat apparemment toujours vif, au sein du Forum, sur cette question. Si certains exigent toujours une réponse écrite à son mémorandum et des clarifications sur un certain nombre des questions mentionnées tantôt, d’autres pensent que le discours de Néma a tenté d’écarter l’hypothèse de la modification de la Constitution, notamment sur le nombre de mandats. Il leur semble aussi ce discours ait écarté, depuis Beït Lahwache, la méthode Poutine. Sans trop s’aventurer, certains partis ou personnalités souhaiteraient donc un assouplissement de la position du Forum, pour donner une chance au dialogue de se nouer. Tous espèrent cependant que des assurances soient données sur l’essentiel. Ils auraient, en vue, des élections élections anticipées en 2017, n’entendant plus (sur)vivre en dehors des représentations démocratiques (mairies, Assemblée nationale et, éventuellement, conseils régionaux annoncés…). Les discussions en cours pourraient nous édifier sous peu. Si le FNDU, qui travaille à élargir son front du refus de tout troisième mandat, maintient son cap, le dialogue se fera sans lui. Assisterait-on, alors, à un remake d’Août dernier ? Majorité et opposition avaient à peine échangé des documents, on s’en souvient, que le pouvoir décidait de convoquer, unilatéralement, des journées de préparation d’un dialogue « inclusif ». Ce fut un fiasco, parce qu’aucun pôle de l’opposition n’accepta d’y prendre part.
Stratégies diversifiées
Pendant que l’opposition se cherche, les soutiens du pouvoir, dont l’UPR, s’activent à vulgariser le discours du président de la République. Après moult réunions et une conférence de presse de son président Maham, l’UPR a porté le débat sur la place publique. On a vu des conseillers ou chargés de mission au Palais accourir, pour pilonner l’opposition et appeler, même, à la dissolution d’un de ses plus grands partis, Tawassoul. Tout peut donc y passer. C’est dans cette stratégie que le parti-Etat a organisé, vendredi dernier, vingt-deux meetings dans les sous-sections des trois wilayas de Nouakchott. Des meetings présidés par des membres du gouvernement et autres secrétaires exécutifs. Une occasion, pour les uns et les autres, de reprendre les thèmes abordés à Néma : réalisations « grandioses » de leur guide, « roses » perspectives pour le pays, sans oublier de décocher flèches sur flèches sur l’opposition. L’UPR ne va certainement pas s’arrêter là. Des missions à l’intérieur du pays sont probablement programmées.
De son côté, le pouvoir va intensifier ses opérations de séduction auprès de certains partis et personnalités, pour les « emmener » au dialogue. Les milieux négro-africain et haratine seraient particulièrement courtisés, histoire de casser le FNDU et l’élan de rejet des propos du Président à l’encontre de la communauté haratine.
La CUPAD : ira ou ira pas ?
Traversé par de profondes divergences, le pôle de l’opposition ayant pris part au dialogue de 2011 reste muré dans un silence assourdissant. Des divergences devenues apparentes lorsque ce pôle entreprit une série de contacts pour nouer le dialogue entre le pouvoir et le FNDU. On se rappelle que le président d’APP, Messaoud ould Boulkheïr, s’était montré très réservé sur cette initiative. La CUPAD ira-t-elle au dialogue ? Il est très difficile de se prononcer, même si l’on prête, à Messaoud, l’intention d’y participer. Il en aurait avoué l’intention, voici quelques semaines, lors d’une rencontre avec une délégation du FNDU. Ould Boulkheïr avait été directement sollicité, par le président de la République, pour convaincre le Front et le RFD à accepter de reprendre officiellement les discussions. On espérait que la sortie du président d’APP, dimanche, au cours du meeting qu’organisaient les femmes de son parti, à l’ancienne maison des jeunes, préciserait sa position. Il n’en a rien été.
Quant au président d’El Wiam, Boydiel ould Houmeid, sa présence à Néma pourrait signifier son accord tacite au dialogue, même s’il n’est pas du tout satisfait de la suite donnée à l’accord de 2011, notamment sur la transhumance politique, le refus du pouvoir d’appliquer les textes votés depuis et la partialité de l’administration, dans l’affaire de la mairie de Rosso… Quoiqu’il en soit, depuis le discours de Néma, la CUPAD n’a, elle non plus, produit aucune déclaration sur ses intentions.
DL