Chaque espèce de gouvernement a son caractère propre. Le caractère de la démocratie est une grande mobilité, une alternance continuelle au sommet de l’Etat. Tout sans cesse y est en mouvement ; tout y change au gré des passions et des opinions. Les majorités politiques, les gouvernements, les présidents de la république : tout y change ! Les lois et les règlements, y compris la constitution, sont également susceptibles de changement. La constitution n’est pas le Saint Coran, comme on aime le rappeler par les temps qui courent. C’est vrai, mais il y a révision et révision. Il y a une révision démocratique ; et une révision anti-démocratique. Une révision constitutionnelle, pour être démocratique, se doit justement de renforcer la mobilité et la vitalité du système, non pas de le scléroser ; de faciliter l’alternance politique qui en est l’essence même, non pas de l’empêcher ; de consolider le rôle et la place des institutions de l’Etat ; non pas de cultiver le culte de la personnalité.
En Mauritanie, par exemple, la constitution de 1991 a été déjà révisée et améliorée par deux fois. Une première fois en 2006 pour limiter la durée du mandat présidentiel de 6 à 5 ans, et pour limiter à 2 le nombre des mandats. Puis, une deuxième fois en 2012 pour affirmer les valeurs fondamentales de la « coexistence sociale » en termes de diversité culturelle, d’interdiction de l’esclavage, de prohibition de coups d’Etat, de promotion de l’accès des femmes aux mandats électifs, etc…Ces avancées sont certes demeurées lettre morte, mais elles sont là. Peut-on imaginer qu’après tant d’efforts déployés vers « plus de démocratie », notamment par l’opposition politique et la société civile, nous accepterions aujourd’hui de reculer, et de revenir à la case de départ : la présidence à vie ?
Rien n’est moins sûr ! Malheureusement, le grand problème de la démocratie en Mauritanie réside dans cette tendance répugnante qu’ont les gens qui gravitent autour des sphères du pouvoir à persuader celui qui incarne le pouvoir qu’il est indispensable, éternel, providentiel. On rivalise d’ardeur dans la production de sophismes tendant à « sacraliser » son œuvre, chanter ses mérites, louer ses vertus et ses qualités exceptionnelles pour démontrer qu’après lui, c’est l’apocalypse ! Et qu’il doit donc « rester », « continuer», « durer », etc… C’est ainsi que certains hommes d’Etat sont souvent piégés par l’illusion d’être indispensables au point de se croire être nantis de facultés de gouverner pour l’éternité. Non, il faut croire à la démocratie, en reconnaissant que chaque démocratie est capable de trouver en elle-même les ressorts et les ressources par lesquels elle devrait être en mesure de régler le problème de la continuité des institutions par-delà le départ ou le déclin des hommes.
Sous ce rapport, on peut considérer que le principe selon lequel : « le pouvoir que la démocratie nous confère, doit lui être démocratiquement rendu » comme l’axiome fondateur de la démocratie. Toute tentative de conserver le pouvoir par des moyens étrangers à l’esprit de la démocratie est répréhensible. Ni la vertu d’un homme, ni son génie, fut-il exceptionnel et « surhumain », ne peuvent justifier une entreprise de confiscation du pouvoir par le bricolage et la manipulation constitutionnels. Un homme, chef d’Etat ou autre, peut paraitre ou être réellement « bâtisseur », « doué », « habile », « exceptionnel », mais jamais il ne peut entreprendre ni réaliser des choses que son époque ne permet pas, structurellement, de réaliser ;de sorte que même« superman », on reste quand même assujetti aux limites naturelles des enjeux de son époque. En ce troisième millénaire, les enjeux se résument en quelques mots : démocratie, alternance, limitation de mandats. Au-delà de ces exigences qui s’imposent à tous et à chacun, chacun a le droit de« rêver » ou de nourrir les ambitions démesurées qu’il voudra, c’est humain; mais nous devons toujours avoir à l’esprit que l’Histoire a commencé avant nous, qu’elle aurait pu se faire sans nous, et qu’après nous, elle continuera encore son cours. Une des lois inexorables de celle-ci est la caducité des hommes et de leurs œuvres. Les Prophètes et les Saints nous ont quittés et notre existence n’en est pas pour autant anéantie ; les grandes figures de l’Histoire contemporaine ont fait ce qu’elles ont pu, mais les générations actuelles ne sont pas pour autant affranchies de la nécessité de s’investir pour approfondir et consolider les acquis. Il y a, et il y aura toujours quelque chose à faire…et surtout, des gens pour le faire !
Il n’y a donc pas de doute que l’avenir de la Mauritanie ne peut résider dans la clairvoyance d’un seul homme. Il ne sert à rien de chercher à convaincre M. le président de la République qu’il doit aller vers une révision de la constitution afin de repartir pour un troisième mandat. Il ne sert à rien, non plus, de lui dire qu’il est « indispensable », « irremplaçable », ou qu’il est «obligé de rester». Au contraire, s’il a vraiment bien travaillé et si la démocratie mauritanienne a effectivement progressé durant ces dix dernières années, il doit être normalement ravi de partir avec le sentiment du devoir accompli. Est-ce franchement le cas ? Il est permis d’en douter. Le fait même que la piste de la révision constitutionnelle soit ouvertement réclamée, défendue, et crédibilisée par de grands ministres et de surcroit juristes atteste d’une déficience du mode de fonctionnement de la démocratie. C’est le moins que l’on puisse dire.
Après les fameuses déclarations des ministres, la cacophonie des meetings et des rassemblements populaires au Hodh, les pétitions, les initiatives tribales, les pressions de tous genres, etc….le président Aziz, serait-il tenté de suivre la voie tracée au Congo-Brazzaville, au Tchad, au Burkina, et au Burundi ? Ce serait, de sa part, faire preuve de myopie politique, voire de cécité. Le président Sassou Nguesso, âgé de 72 ans, cumule déjà 32 ans d’exercice du pouvoir dans un contexte de guerre civile, de troubles et de conflits sanglants, qui ont fait des milliers de morts et de réfugiés. Qui ne se souvient encore des milices « Cobras » et des « Ninjas », pour ne citer que celles-là ? Au Tchad, le président Deby, arrivé au pouvoir à la tête d’une colonne armée venant du Soudan, cumule (lui aussi) 26 ans au pouvoir ! 26 ans au cours desquels il a mené trois guerres civiles, qui ont donné lieu à toutes sortes de massacres, de pillages, et de tueries. Au Burundi, le président Nkurunziza est à la tête d’un pays malheureux où les guerres civiles n’ont jamais cessé. On compte plus de 300.000 morts et des milliers de réfugiés. Enfin, au Burkina, le président Compaoré, auteur d’un coup d’Etat sanglant, qui a entrainé la mort tragique du président Sankara, est resté au pouvoir pendant 27 ans !
Bref, tout cela pour dire que les seuls Chefs d’Etat qui sont allés dans le sens du tripotage constitutionnel, ont des « raisons » de « vouloir rester », de « s’accrocher », et de « batailler » jusqu’au bout pour vivre ou pour survivre. En Mauritanie, la situation est assurément différente. Nous n’avons absolument rien de semblable. Ni sang, ni guerre, ni répression féroce, ni violence extrême. Ici, nous sommes face à un président relativement jeune, qui achève deux mandats- certes - d’une médiocrité sans précédent, mais plutôt stables. Son manque notoire de légitimité, son putschisme avéré, sa gestion chaotique des ressources du pays, et ses extravagances morales et comportementales (népotisme, favoritisme, injustice, etc.) déjà condamnables, se transformeront en crimes, s’il venait à modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Autrement dit, il aurait tout à gagner en sortant par la voie d’une alternance démocratique. Dans le cas contraire, la sagesse populaire nous dicte que « la chance », « l’étoile », ou « le génie » de chaque héros ont une durée de vie, au-delà de laquelle, ils se transforment en caprices ou en frivolités toujours insupportables.