Chapitre 9 : Beaux arts, désormais vestiges
Par définition de ses caractères spécifiques, l’art est généralement considéré difficile… Du fait évident de l’inévitable critique réputée aisée… Cependant que la sociologie, de ceux variés, exceptionnellement très beaux, du désert de chez nous, prouve pertinemment, que ce noble idéal de beauté n’est absolument pas inaccessible, face à la virtuosité de nos artisans et artistes… Mais qu’il est plutôt un défi qu’il faut conquérir et domestiquer. Qu’il est surtout la conséquence logique d’accumulations de recettes intelligentes, parfaitement adaptées à notre type de civilisation… Ainsi qu’à notre environnement drastique, extrêmement aride, rudimentaire et hostile…. Ces ressources ou prismes de passion à réflexions très riches, comportent à travers les âges, une cohérence amplement systématisée par l’apport boutilimittois, d’un brassage interculturel fécond et très varié…
En plus des équipements et accessoires divers, nécessaires à la vie quotidienne, nos travailleurs exerçants les métiers manuels, ont de tout temps assuré notre autosuffisance en tous produits cosmétiques, ornements, instruments et outils de réjouissance !
Chaque genre fut largement servi, selon les goûts et besoins. S’agissant de l’esthétique idéale, de l’agrémentation de la configuration, du très complexe raffinage de l’élégance. Par accoutrements et ornements spécifiques aux individus… De même que toutes œuvres instrumentales et autres ingrédients de réjouissance, d’usages traditionnels populaires.
Ces merveilles et secrets campagnards avaient très longtemps, surpris, enthousiasmé, beaucoup gâté et suffi nos populations. Lors des expansions solennisées, d’ambiance festive.
Nos bouillonnantes divas, nos brillants artisans de confection et nos vaillants gladiateurs du jeu du bâton, furent tous d’une adresse impressionnante. Leur délicatesse en la manière, leur goût pointu, leur créativité et leur grand amour de l’art sont nettement édifiants.
Ces qualités rares, puisque très élevées, font que la dextérité de ces génies constitue, à elle seule, l’un des piliers fondamentaux de notre fierté légendaire. Ces hommes et femmes exceptionnellement courageux, découvraient et adaptaient, en toute époque, tout ce que la nature génère sans cesse, de génial… Qui soit à même de réjouir, de produire ou améliorer la régularité et la beauté de l’apparence. Par la recherche perpétuelle et l’application habile, en la créativité patiente et soutenue…
Grâce aussi à leur persévérance, à leurs capacités et leur dextérité ancestrales bien acquises… Leur savoir faire incarne parfaitement le socle impressionnant de notre glorieux patrimoine civilisationnel…
Ceci, malgré une nature torride excessivement hostile aux aléas et contraintes immuables avec l’épanouissement potentiel des humains… Aussi, la créativité étonnante de ces gens, prouve en toute évidence que nos braves héros de l’art, disposent incontestablement de talents incomparables et solides.
Généralement, les hommes se suffisent du boubou bien ‘debout’ ; d’une chemise ; d’un pantalon ample (saroual) et de belles chaussures ; et sans maquillage. Juste, de quoi faire le tour des cérémoniales de la fête, puis quelques salamalecs. Tout en évitant de froisser les habits dans les bousculades fâcheuses…
Quant aux femmes et grandes filles, elles arboraient avec ostentation et gravité leurs belles coiffures et opulents ornements : charuitâ ; egave ; lembétih ; legtati ; izourenn ; etguem-biré ; etc. avec d’balij ; lekh-watem ; egade ; tew-chit ; el bouzrade ; leglade ; boukh-zaïmenn ; tisbih ; eçfayeh ; lekhlakhel ; el veche, ahmed oudann ; lemachi-e ; edhvayir… etc.
En sus de leurs tresses bariolées, colliers, bijoux, bracelets, anneaux et boucles, autres clinquants, tatouages, henné et guinée puis toutes autres prouesses orfévrées en vogue…
Les petites filles (leezeb) avaient leurs panoplies variées, délicates et très soignées. Leur tête rasée en demie lune derrière le paravent (êrv ou j’dayil) hérissé à la liqueur noire-gluante (t’gâlmin)… A la nuque, une mèche de cheveux perlée et pendante sur l’épaule (q’cile)… Au front, à la racine du paravent, une rampe de perles et clinquants incrustés sur rubicon, ou roche pourpre, sous laquelle, l’anguille supposée inoffensive, est bien évidente assez provocatrice et très passionnante. Elles portaient surtout leur clin d’œil (m’as-tu vue ?), que suscitait le boubou, bleu-guinée « chouvni », au col circulaire formé de petites triangles en percale blanche… Laquelle rangée éclatante et taquine, des trigones lactés, miroitait un contraste ondoyant et plaisant, aux reflets sympathiques et d’une nostalgie instinctive. Elles étalaient aussi, sur la frêle poitrine, le châtoyant collier aux houppes et amulettes… Le très beau et fantastique sautoir, principal diamètre de leur ornement, appelé lemraç. La pureté puérile de ces angéliques créatures innocentes, leur finesse naïve, leurs tatouages et parures, formaient un ensemble de même nature. Des belles petites fées pimpantes au langage mimique incitateur, assez maladroit et peu discret. Avant leur abandon progressif, certes inéluctable, déjà fait accompli, toutes ces techniques de l’esthétique et de l’agrémentation à base entièrement et potentiellement naturelle, furent l’apanage de quelques femmes braves et très célèbres…
Expertes en ce domaine, dont elles maîtrisaient tous les contours et secrets ; « dhafarat » les coiffeuses : M’me-newal, M’neïchem, Lalle, M’mae-bedine, Rabiâ, Aïchane, Mariyé, Oureiguié, Meïram, Emmat el havedh et consorts…
Ces merveilleuses dames réalisaient leurs surprenants exploits, en toute simplicité, sans aucun risque ni effets secondaires de « produits » » artificiels ou chimiques… Rien qu’à l’aide d’une masse gluante en grumeaux de gommes arabique ; de poudre de feuilles d’épineux (s’dir) sous forme de pâte (lekhwadh) dans une coquille de mollusque (aqouaval) ; du sable naturellement noirci, à l’intérieur des troncs d’arbres décomposés (eâd) ; un peu de beurre (zibde) ; du fil noir et des aiguilles dont une plus grande que les autres (moukhyit)…
C’était ainsi donc, que toutes les vagues de (lemhaflatt) les embellies, grandes et petites, composaient le gros des foules bariolées qui gravitaient autour des tam-tams…
Ainsi que d’autres personnes, d’âges différents, curieuses et lucides, qui ne rataient jamais ces occasions rares, de détente, d’observation et d’appréciation. Ce qui permettait à ces pyromanes-cancan de s’enquérir des nouveautés et caprices émergents dans la cité antique de crételle. Toutefois, avant d’aller à la fête, ces individus, de notoriété particulière, prenaient soin de s’apporter quelques retouches ; de quoi distiller le brouillard encombrant des ans…
Cependant que d’autres, versatiles, sans délicatesse morale, se retapaient excessivement la carriole fantoche. Le plus souvent, jusqu’aux limites de l’altération monstrueuse. Aggravant par la suite, leur inévitable répulsion.
A Djenke, les troupes artistiques aux plus célèbres tam-tams, ceux poids lourds et plus anciens, furent :
- Centre-ville, ehel Rabah
- N’tiovy, ehel Mahmoud
- Gaday, ehel Souleimine
- Lahach, ehel Boumrah.
Ces quatre pôles carnavalesques et cardinaux de la ville, vrombissaient, en même temps, lors des grands fêtes, offrant ainsi, l’embarras du choix au grand public des fans de vibrations et roulements, d’emballement irrésistible et passionnant. De même que ceux admirateurs, très inspirés du jeu du bâton. Donc quatre grandes et idéales devantures d’exposition traditionnelle, où il faut passer voir et se montrer en même temps.
Ces résonnances sporadiques de nos mythiques batteries à percussion, qu’amplifiaient et se renvoyaient nos géantes collines, par échos intermittents, annonçaient les évènements de faste… Régulièrement, les mariages d’apparat, accueils, réunions de clubs et autres réjouissances, souvent fortuites…
Ces troupes folkloriques devaient bien leur célébrité à celle de leur quartier et de leur prima dona qui en dirigeait les offices…
Celles, feues : Mansoura, Modjen, Aïchetou, Halime, Mahjoube, Mellouha, Mourgeal et consorts…
L’articulation des cérémonials est unifiée et immuable pour toutes les troupes….
Au bout du dispositif plus ou moins, de forme ovale, se situe la cantatrice principale, la diva, puis le tam-tam et la batteuse. Tout autour, les « barytonnes » (relais) ; ensuite, sur les deux flancs opposés de l’espace du jeu (lmerja-e) la clique des claques (pintades) qui gambillent autour des gladiateurs en duel, pour les stimuler par leurs applaudissements. Sur l’autre bout, la bousculade des candidats au duel qui s’emmanchent, ajustent leurs affublements et gourdins (étach) ! Avant de se lancer en parade, narguer un adversaire emballé et prompt pour l’affrontement…
Ainsi, traînait la cérémonie électrisée, dans ses roulements, ses cris gutturaux, ses youyous, ses craquements, jusqu’au crépuscule. Où prenait fin l’ambiance festive ; et pantelantes, les troupes décrochaient, puisqu’enthousiastes et soulagées…
D’antan, la fête pouvait se prolonger, sous la puissante lumière des célèbres lampes à pétrole, communément appelés « pétromax » ou « cent bougies ».
Pour l’ensemble, et particulièrement notre génération à nous, genres confondus, qui fûmes jadis jeunes, très friands (es) de compliments passionnels, ces carnavals furent les aubaines inespérées. Les occasions rêvées où tous les exploits de l’art beau et envoûtant se côtoient et s’enchevêtrent inextricablement. Elles nous offraient l’opportunité panoramique idéale des rencontres, à la fois, imprévues, heureuses, maladroites, subtiles, et souvent méfiantes ou impassibles… Des moments à dominante ostentatoire, pour illustration, de nos atouts et agréments, déjà, actuellement écornés… A l’époque, il s’agissait de l’éclat de l’âge, la vigueur, l’orgueil, la réceptivité, le charme, le flegme, la puberté, la candeur, la délicatesse et la verve poétique émouvante. Les symboles anodins, mais tricheurs, ne manquaient pas, puisque les filles « grattaient leur Brahim » afin de se ‘les’ rendre vermeilles !
Elles mâchaient leur bout de cure-dents, en « arraches-le »… Elles laissaient traîner le pan (tarv) du voile, en « accroche-toi »…
Quant à nous autres, cavaliers dignement désarçonnés, affichions un sourire jaune, tantôt narquois ou complice, assorti d’un clin d’œil tant inquisiteur que provocateur.
Tout en guignant nos fantastiques guêpières qui, franchement, nous faisaient follement guincher. C’était bien après cette époque, que la soustraction de ces beaux arts, rites et mœurs fut nettement observée. Ils ne sont plus que vestiges désolés et cause phénoménale de tant de chagrin. Face aux arsenaux de pacotilles, artificielles, éphémères, inconsistantes et redoutablement délétères !!!