Jamais de mémoire de mauritanien, la tribu n’a été aussi forte. Ainsi, l’éradication de cette organisation rétrograde, dont la Mauritanie semble être l’un des rares bastions au monde, semble être un combat perdu d’avance. Le grand espoir suscité par les propos de l’ancien président Maouiya Ould Sid ‘Ahmed Taya en 1985 à Néma ne sont plus qu’un lointain mauvais souvenir. Depuis lors, la tribu a servi à consolider les pouvoirs depuis la fin des années 70 à nos jours. C’est sur sa base que font et se défont les carrières. C’est grâce à elle que des va-nu-pieds ont été promus aux plus hautes fonctions civiles et militaires. Elle est partout. Inévitable qu’elle est aussi bien dans le monde des affaires que de la politique. Même si jusqu’en 2008, ses apologistes en usaient et en abusaient avec encore un peu de retenue et de discrétion. Les dosages tribaux, régionaux et mêmes « points cardinaux » ne sont en fait que des manifestations de la prééminence de l’incontournable tribu. Au moment où certaines timides entreprises de quelques bonnes volontés essaient de défaire le pays de l’emprise massacrante de la tribu, les cercles militaro-politico-affairistes s’emploient à plein régime de l’ancrer profondément. Au point que ce n’est plus choquant que des médias officiels : télévisions et radios en fassent publiquement le panégyrique à travers de piètres émissions où les prétendument faits de guerre et d’héroïsme sont revisités sans honte. Et comble de l’ironie, au lieu que l’Etat prenne ses responsabilités en interdisant toute activité ou tout propos à caractère tribal, ses services les encouragent et les parrainent. Que de fois n’a-t-on pas vu ces dernières années, telle ou telle tribu organiser une grande manifestation pour célébrer la mémoire de son aïeul avec force invitation des autorités officielles dont les représentants bénissent les anachroniques rencontres. Que de fois n’a-t-on pas vu les pouvoirs publics envoyer de grosses délégations pour aller assister à l’intronisation d’un chef de tribu ou aux obsèques d’un notable traditionnel ? C’est tellement évident que les organisations rétrogrades tirent leur force de la faiblesse de l’Etat. Il est bien entendu qu’en Mauritanie, la prééminence de la tribu ne dénote pas que de cela. Mais du rôle très important que cette organisation joue en politique depuis l’avènement du processus démocratique à maintenant. De 1991 à aujourd’hui, aucun système ne peut prendre le risque de ne pas « collaborer » au détriment de l’intérêt général avec la tribu pour se maintenir aux affaires. Ce n’est pas un hasard que les grandes villes constituent les plus grands fiefs de l’opposition. Et que les plus grands réservoirs électoraux, dont profitent les détenteurs du pouvoir, se situent en zones rurales où les considérations tribales sont encore très fortement ancrées. De quel droit se prévaut certains dirigeants pour distribuer indument les biens publics aux notables tribaux ? Et de promouvoir honteusement leurs proches (fils, cousins, amis et autres) en ministres, hauts fonctionnaires sans aucune référence les prédisposant à cela ? Qu’est ce qui justifie cette générosité circonstancielle même s’il est connu que c’est très facile d’être gentil avec le bien des autres. La Mauritanie semble marcher à reculons. Pendant deux décennies (1960 à 1978), le pays a failli rompre avec la tribu. La volonté politique de ses bâtisseurs et le mouvement contestataire des Kadihines en sont certainement pour quelque chose. Le concept de tribu est tombé complètement en désuétude. Les jalons d’un Etat moderne se posaient résolument. Malheureusement, depuis plus de trois décennies, c’est le recul. Les considérations anachroniques ont largement pris le pas sur les valeurs républicaines. La tribu, l’injustice sociale, l’appartenance identitaire et autres sectarisme, oligarchie militaire, dosages, affairisme ont pris en otage le pays à travers une succession de systèmes charriés au gré de circonstances dont coups d’état, parachutage, élections frauduleuses. Au point qu’après cinquante six ans d’indépendance, le pays est revenu aux pires moments de la « Seiba » où un seul chef régente les affaires selon ses humeurs et ses intérêts dans une cacophonie de petits groupes de tribus ou de communautés qui s’emploient hystériquement à qui mieux mieux à lui plaire en lui faisant croire faussement que sans lui rien ne peut aller.
Sneiba El Kory.