Reporters sans frontières (RSF) dénonce le choix du procureur de la République mauritanienne d’appliquer le Code pénal à deux journalistes, pour une accusation de diffamation qui relève de la Loi sur la presse. En vigueur depuis 2010, celle-ci ne prévoit aucune peine de prison. Cette décision est très décevante au regard des réels progrès du pays ces dernières années.
Le 7 avril, Jedna Ould Deida, directeur de publication du site Mauriweb.info, et Babacar Baye Ndiaye, directeur de publication du portail Internet Cridem.org, ont été convoqués par la police judiciaire et placés en détention à Nouakchott, avant d’être libérés sous caution le lendemain. lls sont visés par une plainte pour “diffamation” déposée la veille par Badr Ould Abdel Aziz, le fils du président de la République Mohammed Ould Abdel Aziz, suspecté d’avoir tiré un coup de feu sur un berger.
L’audience devant le tribunal se tiendra ce jeudi 14 avril. Le procureur a évoqué à l’encontre des journalistes le flagrant délit, la volonté manifeste de porter préjudice, l'atteinte à l'honneur - des crimes relevant du Code pénal. Le magistrat mentionne également la Loi sur la presse, qui ne prévoit que des amendes financières, et nul ne sait comment il compte articuler ces deux législations. “Un journaliste ne doit jamais être jugé selon une procédure pénale pour des faits relatifs à l’exercice de son métier, rappelle Constance Desloire, de Reporters sans frontières. Il faut que le procureur de Nouakchott se réfère exclusivement à la Loi nationale sur la liberté de presse et de publication de 2010”.
Dès le début de l’audience, Jedna Ould Deida et Babacar Baye Ndiaye comptent réclamer une vraie instruction, qui n’aura pas pu être menée au cours des cinq jours qui auront précédé leur comparution. Ils demanderont aussi au Parquet de faire témoigner la victime supposée, le berger, car il n’y a pas d’autre enquête sur cette affaire à leur connaissance. “Mes clientsrisquent de six mois à cinq ans d’emprisonnement, explique leur avocat, Maître Ahmed Baba. Cette procédure a mal commencé, avec une violation du droit. Je crains qu’elle ne se poursuive de la même façon.”
Cette nouvelle arrestation et l‘angle juridique sous lequel elle sera traitée confirme une érosion des droits, qui a commencé avec la condamnation à mort d’un blogueur en 2014 pour apostasie. “Nous regrettons d’autant plus vivement cette arrestation que depuis 2011, aucun journaliste professionnel n’avait été emprisonné”, précise Constance Desloire, de RSF.
Les associations professionnelles et syndicales de la presse mauritanienne avaient immédiatement organisé une marche de protestation et condamné la volonté des autorités d’intimider les journalistes. “Nous avons fait de grands progrès en Mauritanie et les journalistes travaillent à présent dans des conditions plus ou moins acceptables, analyse Ahmed Mokhtar Salem, président du Syndicat des journalistes mauritaniens. Mais dans ce dossier, le magistrat s’est précipité car il concernait le fils du président.”
La Mauritanie occupe la 55ème place sur 180 au classement RSF de la liberté de la presse.
13.04.2016