Polémique autour du troisième mandat du Président : Sommes-nous déjà en campagne?

7 April, 2016 - 02:47

La bataille autour du troisième mandat de l’actuel président de la République  est désormais lancée. Elle courra tant que le principal intéressé n’y  aura pas mis un  terme. Tant qu’il n’aura pas démenti ou rappelé à l’ordre ses ministres, c’est à qui se montrera le plus zélé.  Après les ministres, ce sera, probablement, au tour de l’UPR, en conclave, depuis quelques jours pour, officiellement  préparer sa campagne de réimplantation, d’entrer dans la ronde, pour ne pas se faire dépasser par le gouvernement,  et des autres partis de la majorité présidentielle, sans compter la ribambelle de cadres et autres élus « indépendants » avides à monter, comme toujours, des « initiatives » de soutien. Bref, nous voilà partis pour une longue campagne électorale, trois ans avant l’échéance… Mais pourquoi des membres du gouvernement ont-ils mis le troisième mandat sur le tapis vert, en ce moment précis ? Ont-ils perçu, chez le Président, depuis son retour de Bujumbura, des signes avant- coureurs ? Le tripatouillage des Constitutions ferait-il effet de mode en Afrique, depuis  que Blaise Campaoré en a tenté – et échoué – la manœuvre ? Ou bien notre  Raïs aurait-il sifflé à l’oreille d’un de ses visiteurs de nuit prompt à vendre la mèche ? Une chose est sûre : en laissant répandre cette hypothèse, sans la démentir, en gardant les ministres qui ont franchi le Rubicon, le Palais gris  conforte ses détracteurs dans leur position, donnant l’impression d’être intéressé par ce gros ballon d’essai. Leurre ? S’agirait-il de  renforcer les inquiétudes du FNDU qui suspecte, depuis fort longtemps et comme tout le monde le sait, Ould Abdel Aziz de vouloir s’accrocher au pouvoir, en s’attaquant au verrou de la Constitution ? Même  l’article 99 de celle-ci précise qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée si elle […] porte atteinte […] au principe de l’alternance démocratique […] », limitant, en conséquence, le mandat du Président à  deux, le FNDU craint les manipulations de l’opinion. C’est d ‘ailleurs pourquoi le Forum en appelle-t-il toutes les forces vives à faire front contre toute entreprise visant à modifier la loi fondamentale.

 

Un mauvais service au Président ?

En  instaurant cette polémique, les ministres rendent, de l’avis des observateurs, un mauvais service au président de la République qui déclarait, en réponse à plusieurs questions sur ses intentions, qu’il respecterait  la Constitution en vigueur. Pourquoi sont-ils revenus  sur ce point qui semblait déjà clos ? Sans doute excès de zèle, pour certains ;  maladresse, pour d’autres. Dans tous les cas, ils semblent bel et bien desservir leur maître. Le timing paraît tout d’abord bien piètre : nous sommes à plus de trois ans de la fin du mandat du Président. Dans un contexte marqué, de surcroît, par le blocage du dialogue politique avec l’opposition. Un dialogue susceptible de pacifier l’arène et préparer une sortie honorable d’Ould Abdel Aziz, en 2019, au terme d’une élection présidentielle consensuelle et crédible. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné, lors de la dernière conférence de  presse du FNDU, le président de l’UFP, Mohamed ould Maouloud, très surpris par la sortie des ministres.

S’ajoute, à ce contexte politique en panne, une conjoncture économique et sociale qualifiée de « catastrophique » par l’opposition. Et vécue, de fait, comme telle, par la majorité de la population,  depuis l’augmentation de la TVA sur certains produits de grande consommation, l’an dernier. La flambée des prix des produits de première nécessité, la forte pression fiscale, la baisse continue des revenus des industries extractives (fer, or, pétrole..) sont en train de mettre en ébullition un front social particulièrement remonté. Et ce n’est pas le chapelet de scandales où le pouvoir est suspecté d’avoir trempé qui rehaussera les réalisations et acquis du président de la République…

Le gouvernement devrait plus tôt se battre sur ces fronts, en acceptant de baisser les prix des produits vitaux et en transformant la croissance du PIB en emplois pour les jeunes. Les ministres et les  partis de la majorité présidentielle ont ouvert au Président,  en place d’un paravent, un nouveau et mauvais front, comme une grosse diversion par rapport aux préoccupations du moment. Ont-ils feint d’oublier de tirer leçon de la mésaventure de Blaise Compaoré qui a perdu, à trop vouloir étreindre, un an de son mandat, ou de méditer  le cycle de violences où se retrouve embarqué le Burundi,  à cause, justement, de cet horripilant troisième mandat ? A moins, noire hypothèse, qu’Ould Abdel Aziz ne parie sur de tels troubles et sa capacité à rétablir l’ordre, avec la bénédiction de la Communauté internationale, la question mérite d’être posée. Les  partisans du pouvoir avanceraient-ils, ici, le cas du Rwanda, du  Congo et du Tchad ?  On se prend à espérer, tout de même, que notre peuple se choisisse de meilleurs modèles, en matière de démocratie...

DL