Confrontée à un effort de développement coûteux, dans un monde en crise économique, avec de nouvelles priorités sécuritaires induites par la montée des périls terroristes et le crime transnational, l’Afrique continue à recourir à un endettement extérieur de plus en plus lourd et inadapté. D’où l’urgence de trouver des sources innovantes à même de financer les stratégies bâties via les Objectifs de Développement Durable (ODD) et l’agenda 2063 de l’Union Africaine (UA). Autrement dit : comment trouver de nouvelles « ressources conséquentes et prévisibles, pour accélérer le développement » ? C’est sur la perspective d’apporter une réponse collective à cette question que madame Karima Bounemra ben Soultane s’est penchée. La directrice de l’Institut Africain de Développement Economique de Planification (IDEP), une institution de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dont le siège se trouve à Dakar, avance, en ce sens, une proposition pertinente, visant à stopper l’hémorragie des Flux Financiers Illicites (FFI), en consacrant ces importantes ressources domestiques aux projets de développement en Afrique.
Dans une communication présentée, lors d’un atelier organisé, à Dakar, du 14 au 18 Mars dernier, par la Fondation Reuter, dans le cadre du programme « Richesse des Nations » appuyé par NORAD (coopération norvégienne), la brillante dame, de nationalité tunisienne a campé le débat. Devant un auditoire constitué de professionnels des media africains formés aux techniques d’investigations sur les FFI, la responsable de l’IDEP a décortiqué les mécanismes, l’ampleur et les conséquences de ce terrible fléau qui ronge les économies africaines. Puis elle a une piste de solution, expliquant, sur la base des données préliminaires, « qu’en prenant rapidement les mesures pour freiner les FFI en provenance d’Afrique, il serait possible de dégager d’importantes ressources pour financer les programmes de développement à court terme ».
De 50 à 148 milliards de pertes annuelles pour l’Afrique
Selon madame Soltane, les FFI sont « des capitaux non comptabilisés provenant de : produits du vol, pots de vin et d’autres formes de corruption de fonctionnaires ; d’activités criminelles telles que le trafic de drogue, le racket, la contrefaçon, la contrebande, le financement du terrorisme ; de l’évasion fiscale et d’opérations de blanchiment d’argent ». Dans le cas du continent africain, ces ressources qui partent en fumée ont fait l’objet de plusieurs études récentes. Et de citer, en morceau choisi, le programme « Financing Post Africa’s 2015 development agenda » initié par l’Union Africaine (UA) et la Commission Economique pour l’Afrique (CEA). En préalable à sa mise en œuvre, un panel de haut niveau, comprenant neuf personnalités, fut confié à la direction de l’ancien président sud-africain, Thabo M’Beki.
Le rapport de ce panel montre qu’entre 1970 et 2008, les FFI firent perdre, à l’Afrique, de 854 à 1800 milliards de dollars US. Soit une perte annuelle moyenne d’environ 50 milliards de dollars. Et il ne s’agit là que « d’une estimation moyenne, voire basse, peut-être bien en-deçà de la réalité car il n y a pas de données précises, ni sur l’ensemble des transactions en cause, ni sur tous les pays africains concernés ». Un montant en tout cas supérieur au total de l’Aide Publique au Développement (APD) consacrée, annuellement, au continent africain. Cela donne une idée de l’hémorragie de capitaux et des richesses perdues, avec de graves effets sur les plans politique, économique, social et sécuritaire, qui plombent le développement des Etats africains.
Impact des fuites
L’impact de cette énorme fuite des capitaux se fait ressentir à tous les niveaux : « épuisement des réserves de change, réduction des recettes fiscales, anéantissement des apports d’investissement et aggravation du niveau de pauvreté au sein des populations ». Au-delà ces aspects basiques, ces sorties illégaux de capitaux « portent atteinte à la primauté de l’Etat de droit, restreignent les échanges et aggravent la situation macroéconomique des Etats ». Ces opérations sont facilitées par des dizaines de paradis fiscaux internationaux et de pays où la loi sur le secret bancaire permet de fonder et exploiter des millions d’entreprises déguisées, sociétés-écrans, comptes fiduciaires anonymes et autres fondations caritives factices.
Ce manque à gagner fragilise la production de revenus et réduit les retombées positives des activités économiques. Il compromet, également, « la capacité de l’Afrique à mobiliser les ressources générées, par ces secteurs, pour financer la réalisation des objectifs de développement, avec des effets négatifs sur les plus pauvres et leur bien-être », relève la directrice de l’IDEP. Un constat d’autant plus préoccupant qu’il bruit dans un contexte social marqué par un fort taux de chômage, chez les jeunes surtout. De quoi creuser, sinon la désespérance, du moins un vide de perspectives, terreau fertile à toutes les aventures engageant tant des jeunes dans la petite délinquance, le grand banditisme et, même, le terrorisme, notamment dans l’espace saharo-sahélien.
Amadou Seck