Trois ministres (Economie, Justice et Relations avec le Parlement) l’ont dit ouvertement, ces derniers jours. Devant le Parlement et face à la presse. La question du troisième mandat n’est désormais plus un tabou. Malgré le verrou de la Constitution et le serment du Président, lors de sa prise de fonctions. Trois ministres, dont aucun n’a été remis à l’ordre ni n’a exprimé le moindre regret d’avoir demandé, sans détours, qu’on viole la Constitution. A croire qu’ils étaient mandatés pour jeter ce pavé dans la mare et poser, de manière si peu délicate, la question de la limitation des mandats. C’était déjà une quasi-certitude lorsque le ministre de l’Economie s‘est permis de déclarer, dans une de ses envolées pas lyriques pour un sou, qu’il existe des régimes à qui il faut trois ou quatre mandats pour « achever le travail entrepris ». L’homme est bien connu pour avoir gravi les échelons, non pas à la sueur de son front mais à celle d’une servilité dont il n’aura jamais manqué la moindre occasion de faire preuve. On a tout de suite fait le lien avec ce pouvoir qui a fait de lui ce qu’il est. Puis ce fut au tour du ministre de la Justice de répéter la même bêtise, cette fois en termes plus crus et sans prendre de gants. Avec même l’outrecuidance d’élever la voix, devant des élus médusés, et de refuser, ostensiblement, de revenir sur son propos. Le porte-parole du gouvernement reviendra à son tour à la charge, lors de son show hebdomadaire, en affirmant que « la volonté populaire est au-dessus de la Constitution ». Faut-il lui rappeler que cette Constitution, que lui et ses collègues appellent à fouler du pied, n’aurait pu être votée et promulguée, sous cette forme, sans la volonté populaire ? Violer celle-là serait donc aller à l’encontre de celle-ci. Notre ministre devrait revoir ses leçons de logique, s’il en a déjà suivies dans sa vie.
Vendredi dernier, c’est au tour d’un quatrième ministre d’entrer dans la danse, loin du Parlement et des media. En réunion avec les élus du Hodh Charghi, à Néma précisément, le ministre de l’Intérieur fait sortir les correspondants de la presse officielle et demande, à tous les présents, d’éteindre leurs téléphones portables, histoire de couper court à tout enregistrement. Et le voilà à informer que le président de la République sera, à Néma, aux environs du 14 Avril, avant de demander, à tous, de se mobiliser pour que le meeting prévu à cette occasion soit une démonstration de force, après celle de l’opposition dans cette ville. Suit l’énumération, désormais obligée, des « réalisations » du Président qui « ne compte pas s’arrêter en si bon chemin », ajoute le ministre. Tout le monde a compris l’allusion et désormais plus personne n’a de doute sur la volonté de l’homme du 6 Août de tripatouiller le texte fondamental, pour se maintenir au pouvoir. Pour peu, évidemment, qu’on lui en laisse latitude. Et c’est là le hic. L’opposition a déjà donné le ton : elle n’aura plus de contact avec le pouvoir tant que celui-ci n’aura pas désavoué ces ministres. Cela suffira-t-il pour dissuader le Raïs de poursuivre son travail de sape de la démocratie entamé en 2008 ? N’en faisons pas le pari et décrétons, plus sûrement, la mobilisation générale. Le Burkina Faso est là pour nous rappeler qu’en souci d’aises avec la Constitution, un apprenti-dictateur ne peut résister aux coups de boutoir d’une rue décidée à en découdre. Contrairement aux Congolais et aux Rwandais, les Burkinabé ne se sont pas laissé faire. Et nous ? Dans quelle catégorie veut-on se laisser classer ? Ceux qui n’en font qu’à leur tête doivent savoir que ce peuple a tellement souffert, subi tant d’injustices, accumulé de frustrations qu’il n’a plus rien à perdre. Le retour de bâton risque de faire très mal à ceux qui le traitent, depuis si longtemps, en pâte molle, mouton bêlant, animal de trait, bonne à tout faire…
En attendant, commençons par indexer ceux qui appellent, ouvertement, à modifier la Constitution. Jetons-les à la vindicte populaire. Vouons-les aux gémonies. Et qu’on ne nous dise, surtout pas, demain, que tout cela appartient au passé et qu’il faut savoir tourner la page. La page de 2019 sera sans Ould Abdel Aziz et les militaires. Ils doivent s’y préparer. Assurer une transition apaisée. Le plus dignement qu’il leur est possible. Un pari impossible ? Mais ce n’est pas un pari, c’est une nécessité. Historique.
Ahmed Ould Cheikh