Tout dernièrement s’est déclenchée une controverse déplacée sur fond de crise de confiance et d’affrontements tous azimuts entre une majorité dévoratrice et une opposition en lambeaux. Cette controverse a pris de court tout le monde et plongé l’opinion publique nationale dans une sorte d’ahurissement, lequel n’a cessé de s’amplifier lorsque des ministres sous la coupole de notre Assemblée Nationale ont osé, avec un culot frisant l’insolence, appeler vertement à un tripatouillage de l’acte fondateur de la République. Cet appel qui procède d’une inconscience est d’autant plus surprenant qu’elle provientd’individus censés disposer, au-delà du sens de responsabilité, d’une certaine culture démocratique, d’un grand civisme. Or, quand un ministre confond l’acte fondateur aux autres éléments du système juridique et prend ses rêves politiques pour des réalités devant les élus du peuple, cela ne peut qu’être un élément révélateur du fossé abyssal entre la conception que se fait le politique de chez nous de l’Etat de droit et celle qui prévaut sous d’autres cieux. On reconnait, toutefois, que dans une démocratie, la diversité, ou plus précisément, la pluralité des opinions et des convictions est un droit et il est souhaitable qu’elle se manifeste dans tout débat d’idées. Plus cette diversité apparaît avec contraste, moins une démocratie perd en visibilité et en crédibilité. Néanmoins, quand cette contradiction s’éloigne de la norme et prend à rebrousse-poil les doctrines de base de l’Etat de droit, il faut s’en offusquer tout en se démarquant, autant que faire se peut, de leurs auteurs.
Bien que je ne sois pas constitutionnaliste, je serai tenté de rappeler aux lecteurs, mais également, à ceux qui incitent au chaos, que la constitution est la loi fondamentale d'un Etat qui définit les droits et les libertés des citoyens ainsi que l'organisation et les séparations du pouvoir politique (législatif, exécutif, judiciaire). Elle précise l'articulation et le fonctionnement des différentes institutions qui composent l'Etat (Conseil constitutionnel, Parlement, gouvernement, administration...) comme elle se situe au sommet du système juridique de l'Etat dont elle est le principe suprême. Cela étant dit, il faut reconnaître que le respect de cette loi est fortement associé à une « hypertrophie » de la conscience républicaine et à une sorte de maturité politique issue vraisemblablement d’une tradition ancestrale, ce qui n’est malheureusement pas le cas chez nous. Admettons même que cette tradition soit inexistante dans notre pays et que la conscience des masses n’est pas aussi horizontale que celle des pays voisins, les cadres instruits, les responsables gouvernementaux et les membres de la classe politique ne doivent pas être logés à la même enseigne. Plutôt, ils se doivent d’être exemplaires et se refusent à toute surenchère politique qui aurait pour but la remise en cause des acquis démocratiques de la Mauritanie, la constitution et les modalités de sa modification.
Aussi convient-il de rappeler à la classe politique, majorité et opposition confondues, que leurs querelles et joutes politiciennes ne doivent occulter le fait que seules les conditions d’une réelle alternance politique sont susceptible de garantir à la population et à l’Etat une stabilité qui engendrerait ce que tout le monde appelle de ses vœux : une crédibilité sur le plan intérieur et un afflux des financements de l’extérieur pour impulser un développement et booster une croissance économique déjà « moribonde ». Le contexte actuel n’est pas sans rappeler celui qui avait prévalu il y a quelques années et qui nous a conduits à des impasses institutionnelles. De même, la conjoncture économique est tellement défavorable qu’il faille faire des concessions douloureusespour l’intérêt général de la Nation. Dans cette perspective, la majorité doit se rendre compte que le bilan du président actuel, si positif et étoffé soit-il, ne doit pas servir de prétexte pour développer un argumentaire qui aurait pour idée pivot larévision de la constitution dans une logique de déverrouillage des mandats présidentiels. L’opposition doit, quant à elle, se recentrer sur son rôle historique qui est celui de mettre en évidence, non seulement, les failles de la gestion des affaires publiques mais aussi la proposition des solutions alternatives. Il n’est pas superflu de souligner que le champ de bataille entre l’opposition et la majorité doit se situer sur des fronts beaucoup plus urgents, à savoir le chômage endémique qui dépasse toutes les proportions, la fragilisation du pouvoir d’achat, l’inflation galopante, le surendettement, le déficit public et le ralentissement de la croissance économique. Voilà pour tout citoyen, les vrais enjeux auxquels doivent s’attaquer nos responsables techniques, politiques et administratifs.
La majorité, aussi noyautée qu’elle soit par un clan des hauts gradés de l’armée, doit s’astreindre à un code de conduite loin des joutes stériles qui feraient perdre énormément de temps et d’énergie à ceux-là mêmes qui travaillent dur à la concrétisation du programme du chef de l’Etat au premier rang desquels se trouve le chef de l’Etat lui-même !!. Autant la surenchère n’a pas sa place dans ce contexte de crise, autant les efforts doivent être déployés dans un sens qui serait celui de l’amélioration du quotidien de nos compatriotes. Il va sans dire que celui qui doit monter au créneau pour rappeler à l’ordre des ministres zélés dont le discours pêche par incohérence à tout niveau, est le chef de l’Etat garant du respect et de l’application de la loi fondamentale.
Encore, dans ce tumulte, faut-il saluer la bravoure et le courage de nos honorables députés à l’Assemblée Nationale qui se sont insurgés contre des propos déplacés en rupture totale avec les sujets de préoccupation et qui souillent l’image de marque de notre démocratie. Les ministres qui ont eu le culot d’appeler à une révision de la constitution devant l’Assemblée savaient-ils qu’il portait un sacré coup à l’action et à l’image du chef de l’Etat ? Ont-ils mesuré la gravité de leurs déclarations au double plan interne et externe ? Ont-ils fait la part des choses avant de se lancer dans cette surenchère qui déchaînent les passions ? Savaient-il que ces propos étaient indignes d’un ministre investi d’une mission publique au sein d’un gouvernement digne de confiance ? Les ministres, agissant de la sorte, se rendaient–ils compte qu’ils avilissaient la fonction et l’image d’un responsable gouvernemental ?
En s’adonnant à de telles déclarations, les ministres font le lit des radicaux qui sèment la zizanie et provoquent des tensions qui peuvent dégénérer en manifestations ou irruption de cortèges sur la rue.
Malgré les apparences de crédulité caractéristique des mauritaniens, deux hypothèses peuvent être envisagées dans ce tumulte qui ne fait que commencer et qui pourrait malheureusement perdurer pour longtemps.
A suivre….
Seyid MOHAMED VADEL