Le poète a toujours raison. « Il n’y a pas d’amour, écrivit un jour Pierre Reverdy ; il n’y a que des preuves d’amour. » L’aphorisme vaut pour le libre-arbitre du citoyen : il n’y a pas de démocratie ; il n’y a que des preuves de démocratie.
A première vue, ce 20 mars -premier jour du printemps- devait consacrer en Afrique l’éternelle renaissance de l’idéal pluraliste. Voyons : le même dimanche, deux ballottages -l’un au Niger, l’autre au Bénin- livreront leur verdict ; quant au Congo-Brazzaville, il sera le théâtre du premier tour d’un scrutin présidentiel. Cette conjonction, avancent les Candide, atteste la vitalité des pratiques électorales au sud du Sahara.
Illusion d’optique. L’auteur de ces lignes a publié en 2012 aux Editions du CNRS un essai intitulé «Afrique : le mirage démocratique ». Ce bref ouvrage avait notamment pour vocation d’illustrer par l’exemple les usages des faussaires, ces despotes qui, élus ou pas, substituent aux normes de l’ouverture politique un arsenal de simulacres, puisant à pleins discours dans le lexique -tant prisé chez les bailleurs de fonds et les partenaires occidentaux- de la transparence, de l’intégrité et la saine gouvernance. J’aurais aimé qu’au fil des échéances et des alternances, la saga des urnes démontrât l’inanité ou l’archaïsme du propos. Hélas, dix fois hélas, et à de rares exceptions près, les cas d’école examinés depuis lors ont étayé le constat. Et ce ne sont pas les trois rendez-vous de ce printemps trompeur qui en saperont les fondements. Pas plus que ceux qui figurent au calendrier d’ici à la Saint-Sylvestre : Tchad, Gabon, Guinée Equatoriale, Gambie et -au moins en théorie- République démocratique du Congo.
Sur l’autre rive du fleuve, au Congo-Brazzaville, le sortant Denis Sassou Nguesso, qui fut tour à tour marxiste-léniniste galonné, président, chef de milice puis de l’Etat, et qui affiche 32 années de pourvoir au compteur, coche toutes les cases du dévoiement démocratique. A commencer par le harcèlement d’une opposition minée par le poison de la discorde, l’embastillement des dissidents et, bien sûr, le bricolage constitutionnel sur mesure, histoire de faire sauter, via un référendum au forceps, les verrous de l’âge du capitaine et du troisième mandat,. A l’avant-veille du jour J, « Otchombe » -son surnom le plus flatteur, référence populaire au lutteur musculeux et invincible-, a invoqué le soutien de « 105 partis », dotés pour la plupart d’une assise lilliputienne. 105 ? Pourquoi pas 200 ? Plus éloquente aura été l’armada déployée à Brazza lors de l’ultime meeting de campagne, gage d’une écrasante suprématie budgétaire : des montgolfières et des ballons gonflés à l’hélium. Logique lorsque l’on brasse du vent. Que valent les promesses économiques et sociales ou les serments à la jeunesse quand ils émanent d’un potentat aux manettes, depuis des lustres, du 4e producteur d’or noir de l’aire subsaharienne ? Potentat dont un concitoyen sur deux végète sous le seuil de pauvreté.
Au Congo comme ailleurs, les disciples de l’Excellence en quête d’un énième bail entonnent volontiers le refrain du « Un coup KO ! ». En clair, de la victoire dès le premier tour. Dérive sémantique instructive : le ring plutôt que les urnes, l’uppercut avant le débat et le rival étendu pour le compte. Mais voilà, le « coup KO » d’aujourd’hui peut annoncer le « coup chaos » de demain.
Au Niger, le sortant Mahamadou Issoufou, crédité le 21 février de 48,4% des suffrages, a loupé d’un souffle l’aller simple espéré. Le voilà condamné au match retour, qui le met aux prises avec son ex-allié Hama Amoudou. Certes, la victoire du pilier de l’Internationale socialiste, allié loyal de la France dans le combat contre l’hydre djihadiste, est acquise. Certes, on ne saurait lui imputer en la matière un passif analogue à celui de Sassou. Mais quand même… Voilà un élu dont le principal challenger, condamné pour son implication alléguée dans une obscure affaire de trafic de bébés, aura vécu le premier tour en prison et le second, après son transfert dans l’Hexagone pour raisons médicales, dans un hôpital parisien. Au mieux, insolite. Au pire, suspect.
La figure de style béninoise est d’une autre nature. C’est que l’ex-Dahomey fut le pionnier du cycle des « conférences nationales » plus ou moins « souveraines » qui, à partir de 1990, bousculèrent les caïmans du marigot postcolonial, nourris au lait du parti unique. De même, la berceau du vaudou peut se prévaloir de la diversité de son éventail partisan. Enfin, le sortant Thomas Boni Yayi a eu le mérite de ne pas briguer, au terme de ses deux quinquennats, le mandat de plus, dont on sait qu’il se mue souvent en mandat de trop. Il n’empêche : dans un pays ou l’argent-roi tend à pervertir les lois de l’isoloir, le ballottage oppose cette fois un banquier d’affaires franco-béninois -Lionel Zinsou-, dont les adversaires contestent l’africanité, voire le patriotisme, quitte à dégainer des arguments pernicieux, à un cador du coton, Patrice Talon, au passé pour le moins sulfureux. Lequel est parvenu à rallier à son panache doré 24 des 31 vaincus du 6 mars. Pas sûr là encore, et quel que soit l’issue de la finale, que la foi démocratique y gagnera en ferveur comme en maturité.
« Elections, pièges à illusions » ? Pas fatal. On l’a vu au Sénégal, au Burkina Faso. On le voit dans l’ex-Zaïre. Là où les vigies de la société civile veillent sans relâche, l’anachronisme politique s’essouffle. Il n’y a pas de démocratie ; il n’y a que de preuves de démocratie.
par Vincent Hugeux