Deux choses curieuses qui viennent de se passer. Qui n’ont rien à voir, a priori. Ni l’une avec l’autre. Des kenyans qui baptisent une rue du nom de l’ancien président Moktar ould Daddah. Une agence d’enrôlement qui refuse un passeport à un vieil homme qui a servi le pays, soixante-trois ans et poussière. C’est vrai : un passeport est une chose. Une rue en est une autre. Cependant, toujours est-il, messieurs, mesdames, qu’on passe par la rue et le passeport permet de passer vers quelque part. Peut-être que le vieux commissaire veut quitter ce pays où sa pension ne lui permet pas de survivre. C’est, après tout, un grand poète. Un rêveur. Qui devait connaître, mieux que quiconque, les réalités de son pays. Et, surtout, savoir que nul n’est prophète en son pays. La preuve. Mais, comme on dit, quand la pierre dit qu’elle est mouillée, le morceau d’argile ne pipe mot. Les Mauritaniens ne semblent avoir aucun égard pour leurs grands hommes. Entendez : pour leurs présidents. Les anciens, s’entend. Feu Moktar ould Daddah. Coup d’Etat. Prison. Exil. Anonymat. Aucune reconnaissance. A son action fondatrice, certains préfèrent les imprécisions de l’Histoire. Symboliquement, entre Oumou Tounsi et Moktar ould Daddah, y a pas photo. Le courage, la détermination, la volonté, contre la divergence, le factice et l’imprécis. Seulement, voilà : les complexes sont destructeurs et avilissants. Les autres présidents, morts ou vivants. Nul n’est prophète en son pays. Il n’est même pas ancien président en son pays. Au cinquante-cinquième anniversaire de l’Indépendance, il y en avait un, assis, tout au bout du premier rang. Les morts sont morts. Les vivants vivent. Sans égards. De vrais anciens. Pensionnaires des prisons ou candidats à l’exil. Ils ne sont même pas comme les anciens généraux. Ceux-là, au moins, les gens en parlent. Comme, d’ailleurs, les colonels. Les anciens. Qui ne semblent s’user que si l’on ne s’en sert pas. Si les anciens présidents sont comme les moutons de l’autre : l’un est mort, l’autre est là-bas. Le troisième, quelque part, on ne sait où. Personne n’en parle. Certains sont même complètement oubliés. Qatar. Lemden. Mosquée. Ça passe, parfois. Ça oublie, souvent. Mais des anciens militaires, on en parle. Puissants qu’ils sont. Recyclés. Recyclables, en agriculteurs, en gestionnaires de musée, en hommes d’affaires. En tout. Seuls les imbéciles ne changent pas. A chaque âge suffit sa peine. Mais c’est la démocratie. Un président qui ne travaille plus – bon, c'est-à-dire qui n’est plus au pouvoir – celui-là, il doit s’asseoir un peu loin, pour ne pas parasiter (c'est-à-dire, en langage radio, influencer) l’action de celui qui l’a remplacé. Par voie d’urne ou d’arme. C’est pas important. L’essentiel est qu’il soit là. Un président en costume. Ancien militaire ou ancien civil. Impossible de faire la différence. Il peut devenir conseiller du nouveau Président. Lui montrer comment faire, pour éviter de prendre les mauvaises décisions qui risquent de l’éjecter. Lui apprendre les secrets de la longévité d’anciens/nouveaux présidents, comme Robert Mugabe ou Paul Biya. Ces présidents aux dizaines de mandats. Ces fossiles qui narguent la Communauté internationale. Un passeport, un aéroport, ça va de pair. Puisque, généralement, qui cherche un passeport cherche à voyager, via un aéroport. Mais à son âge, lui, la Fondation Daddah qui n’est plus, soit dit en passant, d’utilité publique. Effet collatéral des revendications sur l’appellation de l’aéroport d’Oum Tounsi, jusqu’à preuve du contraire. Ban ki Moon à Nouakchott, c’est pas mal. C’est même bien. Très bien. Ok, c’est un grand de ce monde. De ce monde d’ici bas. Bon, Ban ki Moon, ce n’est pas rien. Quand il se déplace, c’est qu’il y a problème. Il est venu en Mauritanie pour régler un problème au Tibet. Paix à l’âme d’Habib ould Mahfoud qui disait qu’en Mauritanie, quelqu’un vient dans une boutique : Tu as de l’huile ? Tu as du sucre ? Tu a des cordes ? Des arachides ? Donne-moi donc un paquet de lait. Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».