Mise en service en 2008, après que l’ancienne prison de la capitale a connu deux évasions collectives, organisées par les tueurs sénégalais Amadou Issa Sy et Modou Diop, la nouvelle prison de Dar Naïm qu’on croyait pourtant construite selon les normes de sécurité ne semble guère plus épargnée par ce phénomène. Vite surpeuplée et désormais qualifiée de Haute Ecole (insécurisée) du Crime (HEC), la maison d’arrêt a connu une violente mutinerie, dès ses premiers mois d’existence. L’ordre y fut durement rétabli par une unité de l’armée et une autre de la gendarmerie. Trois grands récidivistes dont le fameux Govinda réussirent à s’en évader en 2010. En 2013, un autre groupe de prisonniers de droit commun en prit, à son tour, le large.
Dar Naïm est conçue pour abriter 850 pensionnaires. En 2012, elle en comptait plus de 1300. Ce qui provoqua une insalubrité sans précédent. De graves épidémies s’y sont succédé, tuant quelques détenus. Aussi les autorités décidèrent-elles de rouvrir l’ancienne prison centrale où furent incarcérés les djihafistes violents et ceux accusés de détourner les deniers publics. Quand la nouvelle prison d’Aleg fut ouverte, on y transféra tous les condamnés à de lourdes peines.
Une évasion bien planifiée
Saïd Sarr, né en 1987 à Nouakchott et déjà multirécidiviste notoire, s’est évadé de la prison de Dar Naïm il y a tout juste un an. A peine sorti, il braque une station-service… sous les yeux mêmes d’un groupe du GSSR ! Arrêté, il est remis en prison. Il y restera cinq mois avant d’être relâché. En Août dernier, il dévalise le siège de la CAMEC, emportant quelques millions d’UM et une quantité notable de valeureux matériel. Un peu plus tard, il refait le même coup au marché Salam. Il y a un mois, il s’empare de coffres-forts en plusieurs grandes boutiques de la ville, avant d’être arrêté, quelques jours plus tard, avec sa bande. Nous en avions parlé dans nos colonnes.
Depuis son retour en cellule, il ne pensait qu’à s’évader et s’en est confié à ses complices de toujours : Papa Hindou, Cheikh Ahmed, Boubacar Doubdoub, Oumar Boulogue et Nemmed. Un de leurs compagnons de cour, Sidi Mohamed ould El Issawi, condamné à mort pour meurtre, sera la première personne hors de ce cercle étroit à être mise dans le coup. Ould El Issawi prend alors contact avec un personnage-clef : Ely Cheikh ould Chérif, alias 18, natif de Dar Naïm et condamné à six ans ferme, pour cambriolage et escroquerie. Ce « général », comme on surnomme les chefs de cour, a pris le relais de la cour 2, pour bonne conduite, après le transfert de son prédécesseur à Aleg. Les gardes ont une confiance aveugle en lui. Sa force physique lui permet de maintenir l’ordre dans toute la cour et même dans les cellules. Les gardes lui en confient les clefs qu’il doit leur remettre, au crépuscule, après avoir enfermé tout le monde. Il passe la plupart du temps à siroter le thé ou palabrer, au poste de garde, avant d’aller dormir dans son carré à l’entrée de la cour.
Contacté, Ely Cheikh se méfie tout d’abord. Mais Saïd Sarr le rassure, en lui promettant un million d’ouguiyas, une fois sortis à l’air libre. Ainsi alléché, le général finit par accepter. Trois autres condamnés à mort vont rejoindre ce groupe restreint. Le fameux Aziz ould Sidi Mohamed, meurtrier d’un gardien, ainsi que les assassins de la petite Zeïnabou, l’an dernier, à Arafat : El Hassen ould Khalil et Hamza ould Salek. Le groupe se réunit à plusieurs reprises, pour mettre au point un plan d’actions. Avant, finalement, de choisir l’heure du crépuscule où l’adjudant Fadel et la plupart de ses hommes seront en train de suivre, comme d’habitude, le feuilleton turc « Mourad Alemdar » ; les autres priant à la mosquée.
Le jour J à l’heure H
Depuis qu’Ely Cheikh 18 marche dans la combine, il se tient particulièrement à carreaux avec les gardes, de peur d’être démis de ses responsabilités et de faire ainsi foirer l’évasion. Vendredi 19 Février, c’est enfin le Jour J. Dès avant l’aube, le chef de cour s’en va prier avec les gardes dans la petite mosquée de la prison. Au retour, il réveille ses complices et discute avec eux, à voix basse, des dernières retouches à leur plan.
Durant toute la journée, le voilà au service des gardes, à faire sortir un prisonnier, prévenir d’une visite ou autre requis par le régisseur… Vers dix-huit heures, les chefs de cour commencent à faire l’appel, avant que chacun regagne sa cellule. Trente minutes plus tard, les quatre cours sont fermées. Ely Cheikh s’assure que les gardes vont suivre, comme d’habitude, leur feuilleton ou ont rejoint la mosquée. Il ne reste plus que la sentinelle en faction à la porte de la prison. L’administration de la prison est déjà descendue, personne n’est visible entre les bâtiments. C’est l’heure H : Ely Cheikh ouvre la porte de la cour deux ! Said Sarr et Ould El issawi en sortent, suivis de leurs complices, et se cachent entre les cours. Une trentaine de prisonniers qui ont remarqué leur manège leur emboîtent le pas car la porte de la 2 est restée entrouverte. La voie est libre ! Quarante-trois prisonniers de droit commun, dont des tueurs endurcis, déferlent sur la pauvre sentinelle, la surprennent, la rouent de coups et l’assomment, avant de disparaître dans les rues de Dar El Barka.
Voici la liste de ceux qui ont suivi ceux déjà cités : Cheikh ould Mohamed, Deïdich Ahmed, Abdallahi el Houssein, Boubacar Doubdoub, Mohamed Sidi dit Mot, Brahim Youra, Yarguen Brahim, Mohamed Said, Osmane M’bodj, Abdallahi, Cheikh Sidiya Ahmed, Mahmoud Said, Mohamed Lemine Thiam, Ahmed El Horr, Sadvi Houssein, Achour Ali, Sidi Jemal, Seyid Ahmed, Oumar Mohamed, Cheikhani Nasserdine, Bilal Abderrahmane, Mohamed Tobal, Mamadou Diop, Mohamed ould Taleb et Aly ould Tweïliya, le fameux récidiviste.
Le soldat inconnu
Mohamed Lemine ould Abdallah est un prisonnier de droit commun condamné pour coups et blessures. Son comportement exemplaire, au cours de l’évènement, ne l’a malheureusement pas épargné d’être malmené par les gardes qui n’ont pas su apprécier son geste à sa juste valeur. Ould Abdallah est pensionnaire de la cour 2. Lorsqu’il a remarqué le remue-ménage et constaté l’évasion, il a tout fait pour empêcher les prisonniers restés dans la cour de s’évader à leur tour. Parmi ces détenus, Dahi ould Varwi, le fameux meurtrier de la femme au marché Capitale, ainsi que beaucoup d’autres dangereux récidivistes. Ould Abdallah les a désorientés, avant de réussir à les enfermer à clef dans la cour et venir remettre les clefs aux gardes. Pour toute récompense, on l’a enfermé avec ceux qu’il a empêché de s’évader ! A vous d’imaginer la suite…
La chasse aux fugitifs
Une fois l’alerte donnée, des unités de la Garde, de la gendarmerie et de la police quadrillent la ville à la recherche des fuyards. Une réunion de sécurité se tient, en urgence, pour établir un plan. L’état-major de la Garde nationale met tous les gardes de la prison aux arrêts et ouvre une enquête pour situer les responsabilités.
Six premiers évadés sont vite repris, grâce à leurs propres familles qui ne veulent pas avoir de problèmes. Le lendemain, vers six heures du matin, les assassins et violeurs de la jeune Zeïnabou sont appréhendés à Dar Naïm. Hassen ould Khalil, Hamza ould Salek et Omar ould Salek s’étaient cachés chez la tante de l’un d’eux. Trois heures plus tard, trois autres fugitifs sont arrêtés, par la Garde, dans une maison du quartier Carrefour. Plusieurs autres évadés, dont le fameux et désormais ex-général Ely Cheikh, sont cueillis, séparément, par la police qui sait où les dénicher.
Le Dimanche 21 au soir, la police fait une grosse prise à Arafat, non loin de l’hôpital de l’Amitié. Saïd Sarr, Oumar Boulogue et Cheikh Ahmed sont repris, après une longue course-poursuite. Un peu plus tard, c’est au tour de Papa Hindou, Boubacar Doubdoub et Nemmed de se faire coincer. Le même jour, vers vingt deux heures, la gendarmerie va arrêter trois autres fuyards au quartier Carrefour. Aux dernières nouvelles, vingt-sept prisonniers sur quarante-trois ont été remis sous les verrous et les recherches continuent.
Mosy