Il y’a trois ans, en Libye, le revenu moyen par tête d’habitant, était le plus élevé d’Afrique et, malgré les frasques de feu Kadhafi et le déficit flagrant de son régime dans le domaine des libertés individuelles et collectives, la Libye était un pays relativement sûr. Ce pays accueillait des centaines de milliers de ressortissants de l’Afrique subsaharienne et d’Asie qui y travaillaient et y cohabitaient, tant bien que mal, avec la population autochtone. La Libye contribuait à plus de 18% au budget de l’Organisation de l’Union africaine et œuvrait, certes sans tact et parfois de manière violente, à rapprocher le Sahara et l’Afrique saharienne, via des organisations folkloriques telle «Sin-Sad», mais aussi à travers une instrumentalisation des chefferies traditionnelles africaines. Feu Kadhafi se faisait pompeusement appeler « le roi des rois d’Afrique » (Melikou Moulouki Ifriqya) et supervisait annuellement, au cours d’une grande cérémonie ubuesque, dans l’une des grandes métropoles sahéliennes (Ouagadougou, Tombouctou, Nouakchott, …etc), une cérémonie de conversion à l’Islam de nouveaux chefs coutumiers africains. Soit dit en passant, cette cérémonie ne plaisait pas à tout le monde, c’est un euphémisme! ; en effet, les fanatiques musulmans vouaient une haine viscérale à cet homme qui osait évoquer publiquement des sujets qui fâchent en matière de théologie, les tenants de l’Islam politique, les Frères musulmans, l’abhorraient, car ils lui reprochaient de marcher sur leurs plates-bandes, les Occidentaux exécraient ce «dictateur » récalcitrant, qui a contribué, de manière significative et continue, à valoriser le prix du baril de pétrole, sur le marché international, à travers un activisme diplomatique iconoclaste, du point de vue occidental, au sein de l’OPEP. Ils lui reprochaient aussi son panarabisme séculier qu'ils jugeaient dangereux, surtout par rapport à la sécurité d’Israël. A ce propos, les pays occidentaux voyaient d’un mauvais œil les efforts de la Libye en matière d’acquisition et de fabrication de matériel d’armement, quand bien même ils appréciaient les contrats qu’ils signaient régulièrement avec Feu Kadhafi, car les retombées sonnantes et trébuchantes des transactions en question, «arrosaient» nombre de réseaux occultes dans les grandes capitales occidentales.
Pris de court lors des premières étincelles de l’enfer du Printemps arabe, en Tunisie, le président français de l’époque, avait cru trouver une aubaine politique en la Libye ; en forçant la main aux Américains d’intervenir en Libye, il effaçait l’affront tunisien, rappelez-vous l’affaire du jet privé de«MAM» à Tunis. Avec cette intervention, l’ex-président français espérait aussi «enterrer » dans le désert libyen, les rares témoins qui menaçaient de faire éclater le dossier de financements politiques occultes en provenance de Tripoli, un dossier qui provoque, en ce moment, des remous judiciaires à Paris, longtemps après que Feu Kadhafi a été assassiné et que les siens ont été embastillés… Il espérait probablement redresser, en sa faveur, les courbes des sondages d’opinion dangereusement décroissantes, à la veille d’une élection présidentielle cruciale, par la seule prestidigitation d’une victoire militaire acquise d’avance. Des considérations purement économiques ont dû entrer en jeu, notamment le fabuleux potentiel libyen en hydrocarbures, facile à extraire et la possibilité de faire effacer les dettes, en milliards d’Euros que la France doit à la Libye. Les déconvenues de l’ex-épouse de Sarkozy, lors de son séjour à Tripoli et sa rencontre avec Feu Kadhafi, au sujet du dossier des «Infirmières bulgares», a certainement pesé dans la balance, lorsqu’il s’était agi de punir le leader de la Jamahiriya, accusé de crime de lèse-majesté. Résultat des courses : la Libye fut écrasée sous les bombes, livrée à des fanatiques religieux, ses tribus dressées les unes contre les autres. Combien y-a-t-il eu de morts, de blessés, de réfugiés libyens, victimes de cette guerre injuste? Pour la conscience occidentale, ces morts-là, ces blessés-là, ces réfugiés-là ne comptent pas, puisqu’il s’agit de Musulmans. Pour l’ONU, ils ne comptent pas non plus, car les standards onusiens sélectifs sont ceux de la conscience occidentale…
En raison de la myopie occidentale suicidaire, la Libye, est, aujourd’hui, sur le point de sombrer, corps et âme, dans l’horreur et, fait gravissime nouveau, elle risque de faire basculer toute la sous-région dans le chaos et l’anarchie. C’est maintenant que l’intervention extérieure, sous l’égide de l’ONU, est justifiée du point de vue du droit international, des droits de l’homme en Libye, des intérêts objectifs des pays occidentaux et de la paix dans le monde. La Libye doit être rapidement mise sous tutelle de l’ONU, en attendant des jours meilleurs. En l’absence de cette mise sous tutelle, l’humanité doit s’attendre à une grave et durable détérioration de la paix et de la sécurité internationales.
Dr Sidi Ould Ahmed