Il s’appelait Ian de Grange. Il est devenu Mansour Tawfiq, depuis sa conversion à l’Islam et son installation en Mauritanie. Ian est né au début des années 50, dans un petit village de Bretagne, une terre où ses ancêtres, venus d’Ecosse, s’étaient installés il y a quelques siècles, fuyant sans doute une de ses intermminables guerres qui secouaient l’Europe à cette époque. Le Bac en poche et des idées plein la tête, Ian choisit le métier d’enseignant qu’il exercera pendant dix ans. Au début des années 90, pris d’une crise d’adolescence tardive, il balance tout et se lance dans l’aventure. Vivant dans son camping –car, il sillonne la France et se découvre une nouvelle jeunesse. Poussé par on ne sait quel instinct, il quitte son pays natal pour l’Afrique, en quête de spiritualité. Il vit quelques mois au Sénégal et décide de découvrir la Mauritanie. Après quelques mois au soleil, il revient en France. Mais la tentation était trop forte. Il plie de nouveau bagage et débarque dans notre pays. Il choisit Maata Moulana, se convertit à l’Islam et fonde un nouveau foyer. C’est le début d’une longue histoire d’amour avec la Mauritanie. Ne croyant pas en grand-chose jusqu’alors, l’homme trouve dans l’Islam les réponses à des questionnements qu’il s’est toujours posés. Dont celui de l’existence elle-même. L’homme se lance alors dans la recherche et l’écriture. Il obtient le prix Chinguitti en 2006 pour son livre intitulé ‘’Gens du Livre’’ et publie une seconde étude sur le wagf* dont il devient un grand spécialiste. Mansour s’essaie ensuite à la presse et devient collaborateur aux journaux Horizons et La Tribune avant de rejoindre Le Calame en 2008 pour s’occuper de la correction. Depuis lors, il est devenu membre à part entière de notre équipe et s’investit corps et âme pour que le journal paraisse chaque semaine avec le moins de coquilles possible. Une mision dont il s’acquitte à merveille, au grand bonheur de nos lecteurs.
Il y a près de deux mois, des policiers viennent le cueillir chez lui à Maata Moulana. C’est la consternation dans le petit village où Mansour n’a que des amis. Des hommes refusent de le laisser partir seul. Ils embarquent avec lui dans la voiture de la police, censée le conduire à Boutilimit. Mais, en arrivant à la route de l’Espoir, les policiers reçoivent l’ordre de le ramener à Nouakchott. Conduit à la brigade des stups, il est entendu le jour même par un juge qui décide de le placer sous mandat de dépôt, en attendant que la justice planche sur une demande d’extradition formulée par le tribunal de Toulouse en France, en vertu d’une convention d’entraide judiciaire entre les deux pays. Pour une affaire de moeurs qui date des années 90/91. Quelques jours après, la Cour suprême décide de rejeter la demande d’extradition au motif que les faits en question sont prescrits, que le prévenu est devenu entretemps musulman et ne peut donc, selon la loi islamique, être extradé vers un pays qui ne l’est pas. La Cour ordonne sa libération qui devait intervenir le mercredi 9 décembre mais, à sa sortie de prison, Mansour est cueilli par une voiture de police qui le conduit vers une destination inconnue. Sa famille et ses avocats restent plusieurs jours sans nouvelles de lui. Ils seront par la suite informés qu’il se trouve dans les locaux de la direction générale de la sûreté nationale. Depuis lors, rien n’a filtré. La police, à qui on a donné l’ordre de l’arrêter, ne sait toujours pas pourquoi et ne l’a même pas encore interrogé. Ses avocats n’ont pas accès à lui. Dans un pays qui se veut démocratique, où les libertés fondamentales doivent être naturellement respectées, kidnapper et embastiller un individu au-delà de la durée normale d’une garde à vue s’appelle de la détention arbitraire. Des pratiques d’un autre âge qu’on continue à vivre de nos jours.
Quand la justice est aux ordres et quand le système de sécurité se transforme en outil de répression, comment peut-on appeler le régime sous lequel on vit? "Qui ne dénonce le mal devient complice du mal", disait Martin Luther King. Alors dénonçons, messieurs-dames, c’est le seul droit qui vous reste. Avant qu’il ne soit trop tard.
Ahmed Ould Cheikh
*Dans le droit islamique, le wagf est une donation faite à perpétuité par un particulier à une œuvre d'utilité publique, pieuse ou charitable, ou fiducie. Le bien donné en usufruit est dès lors placé sous séquestre et devient inaliénable (wikipédia)