La signification et la portée de l’indépendance dans les années 1960 et 1970/Par Mohamed Mahmoud MOHAMED SALAH,*

10 December, 2015 - 00:53

1. Les termes de la problématique

 

Au moment où notre pays célèbre le 55ème anniversaire de la proclamation de son indépendance, il n’est pas sans intérêt de revenir sur la signification et la portée que cet évènement a revêtues au cours des deux premières décennies d’existence de l’Etat mauritanien.

 

L’accession officielle de la Mauritanie à la souveraineté internationale a-t-elle marqué le début de la conquête de son indépendance effective ou n’a-t-elle été, au contraire, qu’une sorte de « poudre aux yeux », prolongeant sous une forme plus subtile les rapports de domination antérieurs ?

 

Cette question centrale a été abordée, ces derniers temps, par des personnalités nationales, en nombre, il est vrai, limité, sur le mode d’un réquisitoire aussi implacable qu’injuste à l’égard du premier Président de la Mauritanie. Celui-ci n’aurait été que le suppôt de l’ancienne métropole qui aurait continué, à travers lui, de décider du sort de la Mauritanie et des Mauritaniens. L’indépendance proclamée ne fut, selon cette présentation des choses, qu’un vernis dissimulant derrière l’apparence de la liberté acquise la réalité inchangée de la sujétion au maître français.

 

Au rebours de cette vulgate dont on conviendra, par ailleurs, qu’elle correspond, dans une certaine mesure ( même s'il faut éviter de trop simplifier une réalité complexe) et jusqu’à une certaine date, au schéma d’évolution d’une partie des pays ayant adhéré au modèle de décolonisation proposé, à la fin des années 1950, par la France, nous voudrions ici montrer que pour ce qui  concerne la Mauritanie, malgré l’adhésion à la Communauté française, en 1958, et en dépit des facteurs objectifs qui contribuaient à perpétuer sa dépendance à l’égard de l’ancienne métropole, l’indépendance « octroyée » fut progressivement dotée d’un contenu en adéquation avec les aspirations essentielles du peuple mauritanien.

 

2. Précisions liminaires

 

Pour bien situer la nature des propos qui suivent, quelques précisions liminaires s’imposent.

La première est qu’il ne s’agit pas ici d’ouvrir une quelconque polémique avec les tenants de la position inverse et ce d’autant plus qu’ils ont naturellement le droit, à plusieurs titres- en tant que citoyens, en tant qu’intellectuels de haut niveau et en tant qu’hommes politiques de premier plan, dès les années 1950, pour certains- de penser et de soutenir que l’indépendance ne fut qu’un leurre et de porter sur le Président Moktar Ould Daddah (Rahimahoullah) le jugement qui leur semble découler de cette appréciation.

 

Ce dernier  n’est  pas au-dessus du jugement de ses concitoyens. Comptable à leur égard de l’usage du pouvoir qu’il a exercé en leur nom, son comportement, son style de gouvernement, son action sur le double plan interne et international restent en dernier ressort soumis à leur appréciation. Telle est la conséquence de l’obligation de reddition des comptes qui pèse sur tout dirigeant, quel qu’il soit. Cette obligation et l'un de ses corollaires, en l’espèce, le droit d’interpellation rétrospective du premier  Président de la Mauritanie ont pour limite le droit de celui-ci d’être jugé de manière équitable, ce qui implique que son action soit évaluée avec le recul et la distanciation que l’objectivité minimale impose.

 

On pouvait d’ailleurs penser, s’agissant d’apprécier une période de l’histoire (1960-1978), vieille de plusieurs décennies, que le temps écoulé rendrait, désormais, les choses plus faciles, les jugements moins passionnés, moins épidermiques même lorsqu’ils sont critiques. Un élément en ce sens est fourni par les appréciations récentes d’acteurs politiques de cette période, anciens responsables ayant soutenu le coup d’Etat du 10 Juillet 1978. Je pense ici au livre récent de Monsieur Yahya Ould Menkouss qui traite de cette période avec un recul et une dignité louables.

 

 Il faut cependant s’empresser de relativiser la durée écoulée. Moins de quarante ans nous séparent du renversement du régime du Président Moktar Ould Daddah !

 

On ne peut pas donc raisonnablement exiger des acteurs directs de cette période, encore vivants, une distanciation totale à même de neutraliser tous les préjugés favorables ou défavorables pouvant influencer leur jugement en la matière.

 

Par ailleurs, dans la mesure où l’objet même de l’évaluation est un objet éminemment politique, à savoir, la question de l’indépendance, avec en arrière plan toutes ses implications économiques, sociales et culturelles (ou identitaires), il est inévitable et en même temps légitime que les appréciations puissent en la matière diverger, chacun, y compris l’auteur de ces lignes, pouvant être tenté de projeter de manière consciente ou inconsciente, ses vues personnelles sur l’objet étudié.

 

Pour compenser partiellement les effets de cette « surdétermination » du politique, il faudrait accepter d’intégrer tous « les faits pertinents », c’est-à-dire, tous les faits attestés qui permettent de juger de la réalité ou non de l’indépendance du pays, à l’époque, même si leur interprétation n’est pas une opération mécanique et neutre.

 

En tout état de cause, il paraît difficile de ne pas prendre en compte un ensemble de données sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous et, au premier rang desquelles, se situe le contexte spécifique du pays, au moment de la proclamation de son indépendance.

 

 

3. Repères pour comprendre le contexte qui prévalait au moment de l’indépendance

 

On sait que la colonisation de « l’Ensemble Mauritanien » fut à la fois tardive et superficielle. Cela tient au fait qu’elle avait été uniquement motivée par le besoin d’assurer la jonction entre les possessions françaises du Sud et celles du Nord. Intégrée à l’AOF et administrée à partir de Saint-Louis, la Mauritanie fut la colonie française la moins lotie en termes d’infrastructures de base.

 

Par ailleurs, son vaste territoire, ancré pour les 2/3 dans l’aire climatique du Sahara Occidental et subissant les contraintes de cet ancrage, en fait, pour l’essentiel, « un pays désertique au climat sec avec une petite saison de pluies estivales au Sud »(1).

 

La population organisée en ethnies, tribus et castes porte le poids des structures traditionnelles au rôle ambivalent.

 

Les chercheurs qui se sont intéressés à la dynamique de fonctionnement de ce qui fut appelé le Bilad Shinguitt, ont souligné le paradoxe constitutif de cette dynamique, à savoir l’existence d’une « forte personnalité culturelle » (qui se reflète dans le mode de vie, dans la langue et dans la religion) « assortie d’une impuissance à sécréter un appareil d’Etat »(2).

 

L’explication de ce paradoxe est généralement puisée dans le caractère segmentaire de l’Ensemble Mauritanien, fonctionnant sur le mode de la rivalité entre émirats, tribus et au sein des tribus, entre fractions, empêchant par là, hormis la brève parenthèse Almoravide, l’émergence d’un pouvoir central doté de ce qui fait, selon Max Weber, la caractéristique de l’Etat moderne, à savoir le monopole de la violence légitime.

 

Cette impuissance à dépasser les rivalités internes (même par le biais d’une Assabya triomphante, au sens où l’entendait Ibn Khaldoum) sera naturellement exploitée par la puissance coloniale qui, loin de tenter de bouleverser les structures sociales existantes, s’emploiera au contraire à les utiliser, une fois son autorité reconnue, (à travers les liens tissés avec les chefs tribaux et les chefs de factions les plus coopératifs au moyen de la politique dite « d’approvisionnement » qui a succédé à « la pacification ») pour asseoir sa domination. Par certains côtés, notamment, au plan culturel, la domination française restera cependant fort symbolique. En effet, si la « pacification » de l’Ensemble Mauritanien a été achevée vers la fin des années 1930, la société mauritanienne (maure en particulier) continuera d’opposer une autre forme de résistance, plus culturelle, plus spirituelle, plus massive, qui se manifestera, entre autres, par le refus d’une très grande partie de la population d’envoyer ses fils à l’école française(3).

 

Afin de vaincre cette résistance, l’ancienne métropole introduira par exception un principe en vigueur dans toutes ses colonies, l’enseignement de la culture islamique, quelques heures d’enseignement arabe dans les collèges et réservera de fait cette école aux « fils de chefs et de notables » qui seront au moment de la décolonisation le successeur naturel « du pouvoir colonial, lorsque, par étapes il cédera la place… »(4). Le taux de scolarisation restera cependant extrêmement faible en pays maure. Chez les populations noires (Poular, Ouolofs et Soninke), les choses ont été quelque peu différentes. La colonisation s’y est imposée « beaucoup plut tôt et plus totalement… La scolarisation est plus forte et son élitisme moins poussé que chez les maures. Outre que son implantation est plus facile, la résistance est moins obstinée… A la vieille de l’indépendance, la majorité des fonctionnaires, qualifiés ou diplômés (enseignants, comptables ou infirmiers) et des ouvriers spécialisés seront en Mauritanie des noirs »(5). Dans l’ensemble, le nombre de cadres formés à l’école française – maures ou noirs – restera cependant très limité.

 

Aussi, dans les années qui ont précédé l’indépendance, l’éveil à la vie politique moderne et le bouillonnement d’idées qui s’en est suivi donnant naissance aux premières formations politiques, seront limités à une élite restreinte, la masse de la population restant à l’écart de cette évolution, si bien que l’on a pu dire que « ce n’est pas tant l’évolution interne de la Mauritanie qui a contribué à la transformation de ses structures politiques et administratives, que la succession des formules qui, du statut de colonie à l’indépendance, en passant par les étapes de l’Union française et de l’autonomie interne, a obligé les Mauritaniens, après être restés longtemps isolés des valeurs politiques modernes, à réagir et à se glisser dans les moules proposés par le colonisateur »(6).

 

Dans le milieu des années 1950, un autre facteur va influencer progressivement le jeu politique mauritanien et déterminer nolens volens le positionnement des acteurs politiques : il s’agit des revendications marocaines sur la Mauritanie. Apparues, d’abord, sous la plume du leader de El Istiqlal, Allal El Fassi, elles seront officiellement endossées par le trône marocain et concrétisées, entre autres, par la création de la fameuse Armée Libre qui mènera des incursions dans le territoire mauritanien avant de refluer, suite à l’opération menée en 1958, par les troupes françaises (de concert avec celle de l’Espagne Franquiste), connue sous le nom d’opération « Ecouvillon ».

 

La conjonction des revendications marocaines avec les prétentions maliennes (certains ont même évoqué à l’époque une sorte de collusion entre le Maroc et le Mali, ce dernier votant, en 1961, contre l’admission de la R.I.M. à l’ONU) sur les Hodhs qui se feront jour à la fin des années 1950, donnent rétrospectivement la mesure des incertitudes qui planaient sur le destin de l’Ensemble mauritanien.

 

Aussi, à la veille de l’indépendance, la Mauritanie cumulait plusieurs handicaps qui peuvent expliquer la relation étroite qu’elle entretiendra avec l’ancienne métropole, en 1960. Sur le plan des infrastructures, son dénuement était total. Sur le plan économique, les ressources n’étaient pas encore valorisées. La MIFERMA venait juste d’obtenir  auprès de la BIRD le prêt (moyennant la garantie de l'Etat français et celle de la RIM en gestation) pour le financement de l’exploitation du fer(7). On ne voyait pas dans l’immédiat d’où pouvait provenir les recettes du budget du futur Etat, même réduit au strict minimum.

 

Sur le terrain des ressources humaines, les diplômés supérieurs se comptaient sur les doigts d’une main.

 

Sur le plan politique, seule une élite restreinte avait une conscience claire des enjeux qu’impliquait le tournant de la décolonisation. Chez une grande majorité des notables locaux, l’ambiance était plutôt au scepticisme quant à la capacité du pays à devenir indépendant. On raconte que l’un des notables à qui on demandait qu’est-ce qu’il ferait si l’indépendance était proclamée, répondit : je pense que je vais mourir de rire !

 

Enfin, pour compléter le tableau, la reconnaissance internationale de la Mauritanie paraissait, à la veille de l’indépendance, des plus hypothétiques, compte tenu de l’activisme de la diplomatie marocaine qui avait pu convaincre l’ensemble des pays arabes, à l’exception de la Tunisie, la plupart des pays africains progressistes (qui formeront le Groupe de Casablanca) et les pays communistes du bien-fondé de ses prétentions.

 

La Mauritanie fut ainsi présentée comme une création artificielle (un nouveau Katanga) de l’impérialisme français pour la préservation des propres intérêts économiques (exploitation des richesses) et stratégiques (création d’une base militaire) (8). A l’intérieur du pays, ce discours a rencontré quelques échos. Une partie (même si le nombre est finalement resté limité) de l’élite maure avait des inclinations pro-marocaines tandis qu’une partie de l’élite noire (c’était clair dans l’idéologie officielle de l’UNM, qui, à sa création, en 1959, se voulait la « section mauritanienne du Parti fédéraliste africain » co-animé par le Président Modibo Keïta à Bamako et le Président Léopold Sedar Senghor à Dakar) penchait vers la Grande Fédération du Mali. Et même si l’on peut relever l’existence d’un mouvement nationaliste et anticolonialiste à vocation transversale puisqu’elle englobe une partie de la Nahda (l’autre partie étant pro-marocaine) et une partie du PRM, son influence réelle demeurait circonscrite.

 

Or la priorité était d’abord de pouvoir exister comme entité étatique car si l’Ensemble Mauritanien a pu vivre pendant des siècles sans Etat, cela n’était plus possible dans la mesure où la décolonisation qui se profilait, suite à l’onde de choc de la propagation, au sortir du second conflit mondial, du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, annonçait l’avènement d’un monde quadrillé par les souverainetés étatiques. Aucun peuple ne pouvait plus vivre et affirmer sa personnalité en dehors d’un cadre étatique reconnu.

 

Aussi, lorsqu’il est apparu, suite à des facteurs, pour l’essentiel externes, qu’une évolution d’ensemble s’amorçait vers plus d’autonomie et qu’il fallait choisir entre le rattachement au Maroc (et partiellement à la Fédération du Mali), c’est-à-dire la dilution dans un ou plusieurs ensembles préexistants ou la marche vers l’indépendance à l’ombre de la puissance tutélaire, le centre de pouvoir national qui commençait à se constituer sur la base des institutions offertes par la France, depuis la loi-cadre du 23 Juin 1956, a délibérément choisi d’emprunter les voies balisées par l’ancienne métropole. Le point d’orgue de cette évolution fut sans doute l’engagement sans ambiguïté pour le oui au Référendum de Septembre 1958 sur la Communauté française. La suite est connue : l’Assemblée territoriale se transforme en Assemblée constituante, adoptant, en Juin 1959, la première Constitution mauritanienne. La capitale de la Mauritanie est transférée de Saint-Louis à Nouakchott. Moktar Ould Daddah est investi Premier Ministre. La Mauritanie devient officiellement indépendante, le 28 Novembre 1960.

 

Ce passage à l’indépendance formelle a été réalisé en totale intelligence avec l’ancienne puissance colonisatrice et à l’ombre des institutions qu’elle avait progressivement dessinées. Il semble que le pari était que ce choix permettrait de remporter la première bataille du droit d’exister en tant qu’Etat sans compromettre l’avenir. Il s’agissait, dans un contexte où le droit à l’existence même de la Mauritanie était contesté par le Maroc (et, dans son sillage, le Groupe de Casablanca) de s’appuyer sur la France et ses alliés africains et occidentaux pour obtenir protection et reconnaissance internationale.

 

Il s’est donc agi d’une alliance objective fondée sur une coïncidence d’intérêts, à ce moment-là, entre notre pays et la France.

 

Certains continuent, semble-t-il, de voir dans ce choix, la source des problèmes structurels de la Mauritanie.

 

Dans un mélange de dits et de non-dits, ils reprochent au Président Moktar Ould Daddah d’avoir en quelque sorte endossé par ce choix, « l’artificialité » des frontières dessinées par la France et, au-delà,  l’artificialité de la construction nationale à laquelle  elles servent de cadre.

 

Situant, dans ce moment-même, l’origine de « la malédiction » qui, à leurs yeux, continuerait de planer sur la Mauritanie, ils considèrent que la vice congénital de l’Etat post colonial est d’avoir voulu englober dans un même cadre territorial des communautés humaines, ethniquement et culturellement hétérogènes ne pouvant par voie de conséquence former une nation. La critique pointe également la politique de la « Mauritanie trait d’union » qui, comprise au premier degré, ne serait que la poursuite de la politique coloniale de jonction des possessions Nord et Sud de la France. Une autre variante de cette critique cible, non pas l’artificialité des frontières mais l’inadéquation des structures juridiques qui accompagnent la forme même de l’Etat-Nation, issu de la tradition révolutionnaire française, qui serait fortement centralisé, étouffeur des minorités et  vecteur d’oppression d’une communauté par une autre.

 

Ces critiques méritent une discussion approfondie qui excède le cadre de cet article. Ce qu’il importe cependant de rappeler en le soulignant, c’est que la question posée à la fin des années 1950 et sur laquelle il fallait immédiatement  se prononcer  était celle de savoir si la Mauritanie devait exister en tant qu’entité étatique indépendante, dans les frontières dessinées par la France, ou si elle devait se fondre dans d’autres ensembles (Grand Maroc et Fédération du Mali). Le pari du Président Moktar Ould Daddah était qu’on pouvait résoudre cette question de l’existence sans nécessairement hypothéquer, à l’avenir, celle de l’essence.

 

4. Les illustrations de la  volonté d’indépendance

 

La Mauritanie a pu obtenir, avec l’appui de la France, le contenant, c’est-à-dire le cadre étatique nécessaire pour exister comme un peuple. Elle pouvait enfin disposer de ce que son évolution endogène ne lui avait pas permis jusqu’à présent de produire. Logique politique et  logique historique   pouvaient,  enfin, pensait-on, être réconciliées. Il revenait aux mauritaniens de donner à la forme  Etat léguée par la puissance coloniale un contenu national.

 

Mais au moment de la proclamation de son indépendance, le pays n’avait pas les ressources nécessaires pour créer et faire fonctionner les structures minimales d’un Etat. Là encore, c’est vers la France qu’il s’est  tourné.

 

Des accords de coopération (que la Mauritanie, à la différence des autres pays africains de l'Union, n’a voulu négocier qu’après son accession à la souveraineté internationale) embrassant plusieurs domaines (l’éducation, la défense, l’industrie, la justice, etc.) furent signés en 1961 entre les deux pays. Ils portent la marque de leur temps. Au terme de ces accords, la France apportait une aide précieuse et indispensable au démarrage du jeune Etat, tant sur « le plan des ressources humaines que sur celui des moyens matériels, économiques et financiers, aide qui (bien entendu), n’était pas (pour la France) dépourvue d’arrière-pensée politique, ne serait-ce que parce que la présence de sa langue et de sa culture »(9) et, devrait-on ajouter, de ses intérêts économiques, à travers la présence de ses entreprises, de ses cadres et à travers l’usage du Franc CFA qui raccordait l’économie mauritanienne à l’espace économique francophone.

 

Mais si l’on fait sienne la formule de P. Valéry selon laquelle « le meilleur accord est l’accord conclu entre arrières pensées », on peut se demander si, du côté mauritanien, il n’y avait pas aussi des arrière-pensées. La réponse à cette interrogation est fournie par une déclaration du PPM, en 1973, après la révision de ces accords, dans laquelle celui-ci affirme, notamment : « La signature le 15 Février de nouveaux accords de coopération est la meilleure preuve des progrès accomplis depuis 10 ans. Dès que nous nous sommes estimés assez forts, dès que notre confiance en soi nous a paru suffisante, il nous a fallu faire le geste historique que nous avons fait, geste qui, cela a souvent été dit, n’a été fait contre personne, mais qui n’est que la manifestation concrète d’une Mauritanie en marche, qui n’est plus celle de 1961 »(10).

 

Il n’en demeure pas moins que l’ambiguïté était au cœur des accords initiaux, qui pouvaient être vus autant comme un moyen de faciliter le développement du pays que comme un mécanisme de perpétuation des rapports de domination, un outil au service de ce qui a pu être appelé « l’indépendance néocoloniale ».

 

Dans la pratique, ces accords n’ont pas cependant empêché la Mauritanie d’agir pour se dégager de la tutelle de l’ancienne métropole et récupérer progressivement mais substantiellement tous les attributs de sa souveraineté. On le constatera aisément en passant en revue les actions les plus significatives entreprises sur le terrain de la politique étrangère ainsi que celles menées en vue de recouvrer son indépendance économique et culturelle.

 

(A suivre)

 

*Professeur des facultés de droit, Avocat au Barreau de Nouakchott

 

 

Notes

1- J. Arnaud, L’espace et l’homme mauritaniens in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 103-125.

2- V. J. L. Balans, Le développement du pouvoir en Mauritanie, Thèse, Bordeaux, 1980, mais l’idée est également développée par le professeur Abdel Wedoud Ould Cheikh.

3- Comme le relève F. De Chassey, « l’école est considérée comme une corvée ou comme un impôt en enfants, que le chef de fraction doit imposer à quelques malheureux parents. Le recrutement scolaire dans les campements ressemble à un enlèvement, à une arrestation, avec les garde-cercles qui prêtent main-forte. C’est la raison des merdersas et plus tard des écoles de campement » (V. F. De Chassey, Les structures sociales, in Introduction à la Mauritanie – ed. CNRS, 1979, s. p. 237). Analysant le mouvement de résistance culturelle dont le refus de l’école coloniale n’est qu’un aspect, l’auteur poursuit : « Plus généralement les maures se révèlent longtemps capables, soit de rester étrangers aux nouveaux « Pattern » introduits par le colonisateur, soit de les utiliser et de composer avec eux si nécessaire, pour la « nourriture », tout en restant eux-mêmes superbement indifférents voire méprisants… (Du reste) la vie de campement en brousse (la badya) reste le sort commun de l’immense majorité et le centre de gravité de tous. Elle permet d’échapper aussi bien à l’imposition de taxes sur le bétail qu’à celles des valeurs occidentales ».

4-  ibid.

5-  ibid, s. p. 247.

6- J.L. Balans, Le système politique mauritanien, in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 279-319, s. p. 282.

7- V. Jean Audibert, Miferma : Une aventure humaine et industrielle en Mauritanie, ed. L’Harmattan, 1991. Cet ouvrage retrace l’histoire parsemée d’embûches de la réalisation du projet d’exploitation de fer, dont les préparatifs ont commencé dans les années 1950 et qui a mobilisé beaucoup d’énergies et de capitaux.

8- Voir pour la présentation des thèses marocaines qui, elles aussi, s’appuyaient sur l’indépendance nécessairement fictive de la nouvelle entité, V. Le Monde du 17 Novembre 1960.

9- E. Van Bu, Décolonisation et développement : Les accords de coopération entre la France et la Mauritanie in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 383-401, s. p.p. 389.

10- Tribune du CIF, émission numéro 45.

1- J. Arnaud, L’espace et l’homme mauritaniens in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 103-125.

2- V. J. L. Balans, Le développement du pouvoir en Mauritanie, Thèse, Bordeaux, 1980, mais l’idée est également développée par le professeur Abdel Wedoud Ould Cheikh.

3- Comme le relève F. De Chassey, « l’école est considérée comme une corvée ou comme un impôt en enfants, que le chef de fraction doit imposer à quelques malheureux parents. Le recrutement scolaire dans les campements ressemble à un enlèvement, à une arrestation, avec les garde-cercles qui prêtent main-forte. C’est la raison des merdersas et plus tard des écoles de campement » (V. F. De Chassey, Les structures sociales, in Introduction à la Mauritanie – ed. CNRS, 1979, s. p. 237). Analysant le mouvement de résistance culturelle dont le refus de l’école coloniale n’est qu’un aspect, l’auteur poursuit : « Plus généralement les maures se révèlent longtemps capables, soit de rester étrangers aux nouveaux « Pattern » introduits par le colonisateur, soit de les utiliser et de composer avec eux si nécessaire, pour la « nourriture », tout en restant eux-mêmes superbement indifférents voire méprisants… (Du reste) la vie de campement en brousse (la badya) reste le sort commun de l’immense majorité et le centre de gravité de tous. Elle permet d’échapper aussi bien à l’imposition de taxes sur le bétail qu’à celles des valeurs occidentales ».

4-  ibid.

5-  ibid, s. p. 247.

6- J.L. Balans, Le système politique mauritanien, in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 279-319, s. p. 282.

7- V. Jean Audibert, Miferma : Une aventure humaine et industrielle en Mauritanie, ed. L’Harmattan, 1991. Cet ouvrage retrace l’histoire parsemée d’embûches de la réalisation du projet d’exploitation de fer, dont les préparatifs ont commencé dans les années 1950 et qui a mobilisé beaucoup d’énergies et de capitaux.

8- Voir pour la présentation des thèses marocaines qui, elles aussi, s’appuyaient sur l’indépendance nécessairement fictive de la nouvelle entité, V. Le Monde du 17 Novembre 1960.

9- E. Van Bu, Décolonisation et développement : Les accords de coopération entre la France et la Mauritanie in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, p. 383-401, s. p.p. 389.

10- Tribune du CIF, émission numéro 45.