Le Calame : A en croire certaines sources proches du FNDU, votre parti, le
RFD, qui les a d'ailleurs démenties, s’oppose à une rencontre entre le président du Forum, Ould Bouhoubeyni et le ministre secrétaire général de la présidence Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Peut-on connaître les raisons?
Nana Mint Cheikhna : Pour une meilleure compréhension du contexte, je souhaiterais d’abord rappeler de manière succincte à vos lecteurs certaines étapes importantes par lesquelles est passée l’opposition dans ses multiples tentatives de dialogue avec ce pouvoir.
1/ A la suite du coup d’Etat de 2008, après moult pérégrinations, un accord est signé à Dakar en présence de l’ensemble de la communauté internationale (Union africaine, conférence Islamique, Nations Unies, Union Européenne, la Chine, les Etas Unis, la France).
Ce texte à portée internationale fut immédiatement enfreint par le pouvoir qui, à plusieurs reprises par la voix de son chef et celle de ses proches collaborateurs, demanda sur le ton du mépris le plus total à ceux qui s’en prévalent « d’aller se faire voir à Dakar ». Depuis lors, l’opposition n’a cessé d’exiger le dialogue pourtant prévu expressément au point IV de cet accord.
2/ En 2011, un pan important de cette même opposition, préjugeant de la bonne foi d’Ould Abdelaziz qui appelait au dialogue, s’est engagé sans préalable dans un processus au terme duquel un accord est conclu. Depuis 2012, cette partie de l’opposition dénonce la non application par ce pouvoir des termes de l’accord.
3/ En 2013, plusieurs tentatives de dialogue furent entreprises par l’opposition avec le ministre chargé du dossier et le président de l’UPR qui se sont soldées par un échec dû au refus systématique de ces derniers de prendre le moindre engagement en rapport avec les points soulevés par l’opposition ou de permettre la rédaction du moindre écrit ou procès-verbal de réunion. Ce ministre est celui-là même qui, soit dit en passant, avait convoqué lors de l’élection présidentielle de 2009, le collège électoral outrepassant sans sourciller les pouvoirs du conseil des ministres.
D’ailleurs l’une de ces tentatives de dialogue fut interrompue parce que les représentants du pouvoir limitèrent d’emblée leur disponibilité à discuter à une durée maximum de 72 heures.
C’est vous dire, d’une part, le mépris affiché par ce pouvoir pour une opposition qui regroupe un grand nombre de partis, d’organisations de la société civile, de syndicats, de personnalités politiques indépendantes et le bon droit dans lequel se trouve cette dernière lorsqu’elle avait décidé d’adresser une lettre au ministre en charge de ce dossier fixant les mesures préalables susceptibles d’instaurer la confiance nécessaire à un dialogue sincère, d’autre part. Cette même lettre, transmise par d’éminents membres du FNDU, propose aussi notre vision du cadre du dialogue et les points importants devant faire l’objet d’échange et de discussion.
Devant le mutisme de l’autre partie laissant cette correspondance sans suite à ce jour, dérogeant de cette manière à toutes les règles de bienséance et de respect de l’autre, le FNDU a décidé d’attendre une réponse écrite avant une éventuelle rencontre avec les représentants du pouvoir. Nous avons d’ailleurs à plusieurs reprises affirmé publiquement cette décision.
Il convient ici de rappeler qu’à ce jour cette lettre n’a reçu aucune réponse- ne serait-ce qu’un accusé de réception-, attitude qui incarne si besoin en était le peu de cas que ce régime fait de l’opposition dans un système qui se pique de démocratie.
Tout ceci, pour vous dire, que ce pouvoir a jusqu’à présent renié sans hésiter tous les engagements pris y compris ceux qu’il a signés solennellement et que le FNDU est fondé à requérir des signaux forts pouvant constituer des préalables aptes à créer la confiance.
Quant à la position du RFD, elle découle d’un profond attachement au FNDU et à ses décisions prises, comme il se doit, conformément à ses textes, à l’unanimité.
Cette rencontre devrait permettre au forum de connaître les nouvelles dispositions du pouvoir à aller à "un dialogue inclusif, franc et sincère" avec le pouvoir. Est-ce à dire que le RFD continue à douter de la "sincérité"" du pouvoir à évoluer dans ce sens ?
Je vous renvoie à la réponse précédente. Le pouvoir a depuis toujours affirmé sa disponibilité à un « dialogue franc et sincère » mais au niveau de la concrétisation de cette volonté, le FNDU s’est toujours vu confronté à un mur.
On dit que l’histoire s’agace du deuil des espoirs, je crois que les peuples aussi s’en agacent et il me paraît même dangereux que les politiques continuent à envoyer à la manière de Sisyphe et son rocher de faux signaux faisant miroiter chaque fois un dialogue qui n’en est pas un.
Pourquoi le RFD ne voudrait pas de cette rencontre?
Le RFD est attaché au dialogue et ses militants sont conscients que la Mauritanie a plus que jamais besoin de dialogue dans un contexte de crise économique, financière, sociale, sécuritaire et que les questions nationales ne peuvent recevoir de réponses que celles qui découlent d’un dialogue sincère mais faut-il encore que ceux qui détiennent le pouvoir de décision puissent se départir de la manie du jeu stérile qui vise à continuer à faire semblant à tous les niveaux, à jouer à cache-cache et croire ainsi venir à bout des problèmes.
A votre avis, si la volonté de dialogue est sincère, pourquoi le pouvoir refuse-t-il obstinément de répondre à la lettre du FNDU ?
-Certaines sources affirment qu’une crise est née au sein du RFD à cause justement de cette éventuelle rencontre entre le pouvoir et l’opposition. Vous confirmez ?
-Au sein du RFD, les questions sont débattues librement et les décisions découlent de l’avis de la majorité. La crise évoquée ces derniers jours dans certains médias ne correspond pas à la réalité. Il faut rappeler que la différence de points de vue entre certains membres des instances sur des questions contingentes dénote d’une pratique saine de la démocratie.
A en croire une information postée sur facebook et reprise par
Alalkhbar, ce vendredi, le président Ould Daddah et le vice président Ould
Moine ont levé "toute équivoque" au cours d’une rencontre intervenue, la veille au soir
dans la maison du vice-président. Y avait-il des divergences entre les deux hommes? Sur quoi ont elles porté?
-La rencontre entre Monsieur Mohamed Abdarahmane Ould Moine et Ahmed ould Daddah ne devrait pas susciter de commentaires particuliers, les deux hommes étant partenaires dans un projet qui leur tient à cœur. M. Abderahmane ould Moine est un grand notable, un haut commis de l’Etat qui a choisi de militer au sein du RFD dont il est vice-président, toutefois il a évidemment son opinion personnelle qu’il exprime haut et fort sur les questions pouvant intervenir sur la scène politique. Ceci est une grande qualité, d’autant plus qu’aujourd’hui les gens ont malheureusement tendance à rejoindre les moutons de Panurge.
-Comprenez-vous pourquoi la majorité des pôles du forum accepte aujourd’hui une rencontre avec le pouvoir ?
-Je n’ai pas à juger la position des membres du FND dont je respecte les points de vue.
Je souhaite simplement rappeler que le FNDU ne fonctionne pas comme un parti politique où la majorité arithmétique des voix est prééminente, les décisions y sont prises à l’unanimité.
-Cette position du RFD pourrait-elle mener ce parti à reconsidérer sa position vis-à-vis du forum si celui-ci décide, au terme de cette rencontre, d'entamer le dialogue avec le pouvoir?
-Nous sommes fortement attachés au FNDU et nous n’avons nullement l’intention de le quitter.
-Quelle appréciation vous faites de la réaction du MCD de Moussa Fall?
Je nourris un grand respect au MCD ainsi qu’à ses membres qui militent courageusement pour l’instauration de la démocratie et qui payent au prix fort le prix de cet engagement.
- Le pouvoir a décidé de délocaliser la célébration de l’indépendance à Nouadhibou. Les préparatifs battent leur plein. Quelle appréciation vous en faites ?
Dans le contexte de crise actuelle, la délocalisation des festivités à Nouadhibou est une aberration.
En effet, des milliards d’ouguiyas sont dépensés dans des marchés consentis à des proches pour jouer à l’exhibitionnisme sécuritaire et bluffer à la manière des gens du poker.
Il s’agit d’abuser l’opinion à travers une grande manœuvre de diversion pour détourner l’opinion de problèmes devenus de plus en plus aigus.
De même, la politique de l’autruche est aujourd’hui publiquement assumée par le chef de l’Etat à travers les fameuses déclarations de Nouadhibou dont je citerai quelques unes à titre d’exemples :
1/ Ni l’esclavage ni ses séquelles n’existent. Les Haratines non plus n’existent pas et s’ils souffrent de pauvreté, c’est par leur faute propre.
2/ La SNIM a connu des difficultés dues à la baisse du prix du fer aujourd’hui jugulées par une baisse des budgets de fonctionnement ;
Il n’indique malheureusement pas où se trouve l’énorme manne financière amassée au cours des 6 dernières années à la suite de la hausse exceptionnelle des prix du fer et ne dit pas pour quelles raisons les réserves d’usage n’ont pas été constituées pour prévenir une éventuelle baisse de prix de ce produit dont évidemment nous ne contrôlons pas le marché.
3/ En ce qui concerne l’enquête ouverte par la Stock exchange commission (SEC)
Sur les opérations récurrentes de corruption pratiquées par la société Tasiast au sein de l’entourage du chef de l’Etat, Aziz rejette d’un revers de la main ce problème et affirme que si la Tasiast a pratiqué la corruption et si des citoyens mauritaniens en ont profité, cela les concerne. Quel sens de l’éthique !
4/ Il affirme, au mépris de la réalité qui a, comme tout le monde le sait sauf visiblement le chef de l’Etat, la dent dure, que les avoirs extérieurs sont au beau fixe et que le Trésor public n’a aucun problème. En tout cas, je souhaite vivement que la planche de salut sur laquelle il semble s’appuyer ne soit pas celle de la planche à billets.
En somme, selon Ould Abdel Aziz, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ceci explique la dérision avec laquelle la question cruciale du dialogue a été abordée et son profond mépris de la classe politique.
Propos recueillis par Dalay Lam