Le millième numéro : Couronnement d’un parcours assez mouvementé

22 November, 2015 - 23:41

A la sortie de son millième numéro, Le Calame a franchi un nouveau cap et s’est imposé, sur la scène médiatique locale, comme un acteur majeur de la presse nationale indépendante. Au lendemain de la prise de décision par son fondateur, feu Habib rahimahoullah, de créer ce journal avec des amis, tous, épris et passionnés de savourer les bribes des libertés qui venaient d’être accordées par le régime d’exception d’alors, ils voulaient et souhaitaient, de tous leurs vœux, que ce journal maintienne un cap hors de sentiers battus pour constituer un espace de la liberté d’expression, de la pensée et de la réflexion loin des influences des contingences du moment.

Au fil du temps, Le Calame s’est forgé une notoriété et s’est hissé au niveau des journaux très prestigieux à l’esprit libre et aux lignes de rédaction et d’édition constantes avec une rigueur, en ce sens que ce journal ne s’est jamais détourné du cap initial, qui lui a été défini par son fondateur, et est resté au service de la démocratie, du pluralisme et du droit à la différence.

On se souvient tous des débats d’idées dont Le Calame fut l’unique « épicentre » au moment où notre pays esquissait ses premiers pas timides sur la voie de l’expérience démocratique.  Ayant été amené à opérer et à évoluer dans ce contexte hostile, peu favorable à l’éclosion d’une démocratie, Le Calame a dû endurer, avec beaucoup de patience, de dévouement et de persévérance les affres et les brimades d’un système qui s’est montré incapable de se muer en système ouvert et d’assimiler, ne serait-ce qu’en apparence, les règles qu’impose le libre jeu de la démocratie. C’est ainsi que les épisodes de censure et d’interdiction,à l’instigation de responsables administratifs à l’esprit étriqué et hostiles à tout changement, se sont abattus, avec acharnement, sur ce journal sans raison évidente si ce n’est le fait qu’il se soit transformé aux yeux des citoyens, en symbole de résistance aux ténèbres, à l’obscurantisme et aux prêcheurs du monolithisme. Le Calame fut, manifestement, un des journaux de la place à avoir payé le plus lourd tribut pour son engagement, son cap, son positionnement, son impartialité  et ses partis pris en faveur des opprimés. Sans doute ne faudrait-il pas oublier qu’il fut surnommé journal le plus censuré durant un bon bout de temps lorsque la presse indépendante vivait sous l’épée de Damoclès des censures à répétition.

A la différence des autres organes de presse dit indépendants, Le calame s’est distingué par son objectivité, son professionnalisme et s’était assigné, de son propre chef, d’assumer pleinement le rôle d’édifier et d’informer l’opinion publique nationale en choisissant une ligne de rédaction stricte qui lui a permis d’exploiter, au mieux, l’espace de liberté qui venait d’être octroyé sous la pression des changements intervenus dans plusieurs pays d’Afrique à la suite du discours de la Baule.

Fidèle à sa voie tracée par le fondateur Habib, Le Calame n’a pas abdiqué et s’est fait, toujours, le chantre de la liberté malgré les relents, encore visibles, du régime d’exception et le climat délétère et quasiment malsain de la scène politique locale, qui ne laissaient aucun choix aux professionnels de la presse. Il n’est pas étrange dans un milieu comme celui-là, où l’ignorance doublée d’un obscurantisme sur fond de pauvreté extrême et de dépendance financière et économique tant des acteurs de la classe politique que des intellectuels, que la presse, en général, et Le Calame, en particulier,soit l’objet de toutes les représailles, du dénigrement, des diffamations et  des ignominies de toutes sortes.  Les manifestations de ce climat malsain et peu propice au développement et à l’évolution positive de notre démocratie se sont poursuivies avec des intensités variables en fonction de l’état d’esprit des dirigeants successifs du pays.

Les journalistes du Calame appartiennent, incontestablement, à la catégorie des hommes intègres et honnêtes, et ils défendent, sans lâcher du lest, les valeurs de la démocratie et sont demeurés comme tels malgré les fortes tentations et les aléas du parcours.  Ils sont de ceux-là mêmes qui ont fait fi des tentations que faisaient miroiter « les chasseurs de soutiens du système ». Ils ne se sont pas, non plus, dérobés de leurs responsabilités en pourfendant, autant que faire se peut, les situations iniques, le totalitarisme déguisé et l’impunité.

Je constate que le chemin parcouru est si long et tortueux que l’on peut qualifier tous ceux qui ont pu le parcourir, de glorieux et d’héroïques. En préfèrent s’engager dans cette lutte ô combien pénible et de maintenir le même cap, Le Calame s’est sacrifié pour le rehaussement de la qualité de notre Démocratie, et nul ne peut que s’incliner devant l’immensité de l’héritage de ces héros de la liberté d’expression, de la pensé et de la diversité dans l’unité.

Malgré les pesanteurs et les obstacles sur lesquels achoppe toute aspiration à la liberté surtout dans un milieu historiquement et culturellement hostile aux changements et aux mutations et eu égard aux menaces  réelles et constantes que fait peser ce même milieu à l’émergence d’une quelconque culture d’ouverture, de démocratie, et de liberté, il convient, dès lors, de mesurer, à sa juste valeur, l’ampleur de la tâche de ces combattants de la liberté de la presse qui n’ont pas voulu, à aucun moment, baisser les bras,  renier leurs engagements, mais plutôt, poursuivre sur la même voie avec le même cap  en bravant les interdits et les tabous de cette société médiévale et archaïque.

Ce stade d’évolution et de maturité ayant été atteint dans ce contexte aux caractéristiques très spécifiques, Le Calame et les journalistes de cet organe de presse ne peuvent que se sentir fiers de cet exploit et se targuer d’avoir survécu aux multiples aléas en portant haut et fort des valeurs de démocratie, en luttant corps et âme contre les injustices et l’arbitraire et en donnant un sens sublime à leur combat et à leur résistance.

On ne peut que s’incliner, non seulement, devant la mémoire du fondateur Habib, mais aussi, devant tous ceux qui ont continué de braver l’ordre établi, d’éclairer et d’édifier l’opinion publique nationale, de pointer du doigt tous les dysfonctionnements de notre Démocratie.

Voilà pour, nous autres lecteurs du Calame, le véritable reflet d’image d’un journal qui s’est mis au service du développement de la Démocratie, de son évolution et de son ancrage malgré le contexte relativement défavorable ou qui s’y prêtait mal au regard des mêmes contraintes qui entravaient toute tentative d’ouverture démocratique à cette époque.

Non seulement vous avez rendu un grand service à la Nation en se battant pour les idéaux de liberté, d’équité et de justice auxquels vous croyez fermement, mais aussi, la Nation vous doit un hommage digne de votre éminent statut de réels défenseurs des valeurs de démocratie et de liberté.

Je tiens à féliciter cette belle équipe du Calame à l’occasion de ce cap franchi avec succès et de tous les efforts qu’ils n’ont cessé de fournir non seulement au service de notre démocratie, mais aussi,  celui du développement de la culture, de l’esprit du discernement, de la réflexion critique et du développement de la pensée en général. Une mention spéciale à l’égard de Marieme Mint Derwich pour les délices qu’elle nous fait goûter dans ses chroniques, mais aussi, à la liberté de ton d’Ahmed Ould Cheikh dans ses éditoriaux toujours plus pertinents les uns que les autres.

Merci, également,  à tous ceux qui ont eu le courage de soutenir et de faire en sorte que ce moment évocateur ne soit pas passé inaperçu. Encore une fois, ne perdons pas de vue qu’il s’agit, toujours, d’un combat collectif pour l’ancrage et la consolidation de notre démocratie et que cela implique l’engagement de tous.

Seyid MOHAMED VADEL