Lors d’un récent séjour à Nouakchott et visitant quelques administrations publiques de la place, je fus surpris par le nombre de personnes qui s’interpelaient par le terme “Docteur”. Dans un ministère j’en ai même compté une vingtaine dans un étage. Tous les directeurs, les chefs de services, et la plupart des cadres se donnaient du “Docteur”. Du “Docteur” en veux-tu, en voilà.
J’aurai été ravi de cette situation si elle n’était pas quelque peu bizarre. Et ce n’est point un jugement de valeur puisque je connais le cursus universitaires de certaines des personnes rencontrées et qui ne pouvaient ni de près, ni de loin se prévaloir du titre de docteur. Et pourtant, elles s’en targuaient. Alors que se passe-t-il pour qu’un titre universitaire aussi prestigieux, chèrement acquis aux prix de l’intellect, et du sacrifice d’années entières d’une vie de recherche souvent difficiles, et durement passées, puisse aujourd’hui devenir un titre que chacun porte?
Cette situation porte gravement atteinte au développement du pays (I) et se doit de trouver une solution à travers l’analyse de la situation, ses origines et de son ampleur (II) vu les préjudices causés aux véritables diplômes mauritaniens (accaparation des emplois par les faux diplômés, ternissement de l’image du véritable diplômé mauritanien) et au développement du pays (incompétence, culture de la médiocrité, atteinte au développement dans tous les secteurs).
I) Les faux doctorats et les conséquences sur le développement du pays
Les développements qui suivent peuvent être appliqués, quant aux conséquences, à tous les faux diplômes. Toutefois, la falsification du doctorat revêt une importance particulière du fait de la nature de ce diplôme (a) et des conséquences que ce diplome peut avoir sur le développement du pays (b)
a) Le doctorat qu’est-ce que c’est?
Le doctorat (du latin doctorem, de doctum et supin de docere, enseigner) est généralement le grade universitaire le plus élevé. Le titulaire de ce grade est le docteur. Dans la plupart des pays, la préparation d'un doctorat dure en général trois ans (durée jugée normale en sciences formelles et naturelles) et peut se prolonger plus longtemps en sciences humaines et sociales (six ou sept ans en droit)(Wikipédia).
La durée du doctorat et son appellation dépendent des pays et des universités. Sur cette variété, voir cet article qui sans être exhaustif résume la situation pour un certain nombre pays (article).
Nous nous attacherons simplement à donner le schéma classique d’aboutissement au Doctorat. Schéma qui correspond à la plupart des cursus universitaires sérieux et reconnus. Ainsi distinguons trois types de diplômes qui portent cette appellation de “doctorat”, mais qui ne sont ni équivalent dans leur durée ni dans l’échelle des études universitaires. Le Doctorat de troisième cycle, le doctorat d’université et le doctorat d’Etat.
Le doctorat de troisième cycle, comme son nom l’indique sanctionne des études de troisième cycle. Il porte l’appellation Doctorat suivant les universités, certaines universités ne délivrent que des diplôme de troisième cycle équivalent appelés DEA (Diplômes d’Etudes approfondies), ou plus récemment Masters de troisième cycle. Ces derniers suivant les récentes réformes se subdivisent, grosso modo, en “Masters spécialisés (ou “professionnels”) et en Masters généraux (ou de “recherche”). Seuls ces derniers donnent la possibilité de s’inscrire en doctorat. Mais ni les premiers, ni les seconds ne confèrent, en tant que diplômes de troisièmes cycles, le titre de Docteur.
Le titre de docteur est attribué aux titulaires d’un Doctorat d’Etat, premiers doctorats reconnus par les universités, et les titulaires des doctorats d’université, créés ces dernières années.
Ainsi, sans entrer dans l’exhaustivité , mais quelle que soit la pluralité des systèmes, le règle est claire: n’est docteur que celui qui est titulaire d’un doctorat d’Etat ou d’université ou d’un titre équivalent en nombre d’années de recherche , et cela après l’obtention d’un diplôme de troisième cycle quelle qu’en soit l’appellation (d’une durée de deux ans dont une année d’étude et une année de recherche) après une maitrise ou une licence de trois à quatre ans. Le doctorat (notamment d’université) lui-même variant dans sa durée entre 3 ans et 5 ans. Le doctorat d’Etat, pouvait aller jusqu’à 7 ans et l’on a pu constater qu’il pouvait même aller au-delà.
Pour résumer : Baccalauréat >> Maitrise >> Diplôme de Troisième cycle >>Doctorat.
Tout autre circuit pour l’obtention d’un Doctorat est incomplet et dans tous les cas douteux. Et cela quelle que soit l’université ou le pays qui le délivre.
Ceci ne concernant pas les Doctorats “Honoris Causa”, qui sont des doctorats d’honneurs délivrés par des universités à des personnalités pour leur action dans des domaines divers à l’échelle nationale ou internationale (politique, diplomatique, social etc.). Mais même là encore, ce diplôme n’honore pas forcément l’université qui l’a délivré ni celui qui le reçoit (certains dictateurs avaient reçu ce doctorat honoris Causa). C’est autant dire donc que l’obtention d’un Doctorat est une affaire à prendre avec la plus haute importance et cela est d’autant plus impératif que les conséquences des faux diplômes sur le développement des pays sont extrêmement graves.
b) Les conséquences faux doctorats sur le développement en Mauritanie: la destruction du capital humain
Dans l’approche économique, les différentes théories (du capital humain, du filtre et du signal et du statut social, notamment) attribuent des fonctions extrêmement importantes aux diplômes dans le développement. Il ne fait pas de doute qu’ils sont l’indicateur premier des qualifications du capital humain dont dispose un pays.On série les qualifications suivant le niveau du diplôme obtenu, l’expérience acquise venant renforcer ces qualifications. Les statistiques sur les diplômés permettent de donner un image non seulement du niveau d’éducation mais des capacités des ressources humaines dont dispose le pays. Le diplôme est aussi dans la théorie du filtre et du signal, un moyen de détecter ceux qui sont potentiellement capables de remplir les fonctions attendues. Ils signalent un niveau d’étude et permettent de prétendre passer par le “filtre” de sélection des recruteurs publics ou privés. Ce qui est extrêmement important, pour l’emploi des compétences; et des études récentes montrent que l’existence de ces filtres sont des déterminants de l’investissement de compagnies étrangères dans certains pays en développement.
Enfin, dans la troisième approche, le diplôme permettant à celui qui le détient un statut social spécifique, il lui offre un positionnement non seulement sur le marché du travail (théorie du capital humain, du filtre et du signal), mais aussi sur le plan social. Le niveau du diplôme déterminant sa prétention à de fonctions plus élevées, à une meilleure rémunération et à un niveau de vie plus élevé.
Le doctorat est par essence un diplôme délivré à une personne qui , à travers un cursus universitaire accompli, a acquis après plusieurs années de recherche, un savoir et une certaine maitrise de son domaine de compétence. Dans les universités de renom, seuls ceux qui ont obtenu de bonnes mentions à la fin des différents cycles par lesquels ils sont passés, sont autorisés à s’inscrire en Doctorat. C’est autant dire que le Doctorat est par essence sélectif et concerne des personnes qui ont une certaine latitude scientifique et veulent continuer dans ce sens pour le développement de la connaissance. C’est autant dire donc que celui qui obtient son doctorat a un précieux bagage scientifique et intellectuel qu’il est appelé à enrichir et à transmettre.
Le docteur c’est donc celui qui a accumulé une importante somme de connaissances dans son domaine, qui a maitrisé les outils conceptuels, méthodologiques, pédagogiques et techniques lui permettant de faire de sa discipline un champ fructueux de recherche, de développement et de progrès. C’est autant dire que son apport pour le développement est important.
Le diplôme de docteur, permettant à son titulaire d’occuper des hautes fonctions du moins des fonctions clefs dans l’enseignement, la recherche, l’administration publique et privée (tous secteurs confondus), ont comprend alors non seulement la déperdition que subit la nation entière en ne l’employant pas. Et l’on comprend par là même, la catastrophe que pourrait subir une nation en employant de faux docteurs.
Et il ne fait pas de doute que l’existence de ces faux docteurs va pénaliser les véritables titulaires des doctorats. D’abord en introduisant l’incompétence, l’ignorance et l’inefficacité dans les emplois qu’ils occupent indument, ils ternissent l’image de ce titre et de ses porteurs. D’autre part, cette incompétence va entrainer une chute certaine de la croissance dans tous les secteurs du développement où l’emploi des compétences est requis.
II- La situation en Mauritanie des faux docteurs: quelle ampleur, quelles solutions?
Eut égard, à la situation qui prévaut actuellement, et qui est perceptible à tous les échelons de la vie économique, il convient de s’interroger sur ses causes (a), pour proposer quelques solutions (b)
a- Les causes de la floraison des docteurs en Mauritanie
Si l’on entend souvent parler de faux diplômes, on entend, par contre, peu parler des “faux-vrais” diplômes (ou de “vrais-faux” diplômes)
Il convient de les distinguer, bien qu’ils aient les mêmes objectifs ( infiltrer l’ensemble de l’appareil politique, économique et social du pays par des individus sans foi ni loi) et ils ont tous les mêmes effets ( profiter d’un droit indu, engendrer l’incompétence, la médiocrité et le sous–développement).
Les faux diplômes :
Qu’est ce qu’un faux diplôme?
“Une façon simple de définir les faux diplômes serait de procéder par exclusion, en les définissant comme tous les prétendus diplômes ne satisfaisant pas aux conditions de définition des vrais diplômes. Malgré son caractère englobant, une telle définition ne permet pas d’approfondir l’analyse, d’où la nécessité de la dépasser. Les faux diplômes peuvent être classés en deux grands types, à savoir, la contrefaçon pure et simple d’un vrai diplôme et la création ex nihilo d’un document écrit attestant un titre ou un grade, délivré par une institution souvent virtuelle et non habilitée à le faire.
Dans le premier cas, le faux diplôme en question porte des signes distinctifs cherchant à imiter le vrai diplôme, comme le nom ou le logo de l’institution dument habilitée à le délivrer. Une telle falsification est relativement similaire, au moins sur le plan analytique, aux faux billets ou aux fausses pièces d’identité. Dans le deuxième cas, qui retiendra la majeure partie de notre attention, le faux diplôme est un document délivré (ou plutôt vendu) par une institution non reconnue, et ne répondant pas aux critères minimaux (personnel qualifié, cours, examens, etc.) permettant de délivrer le titre concerné. La notion de faux diplômes est étroitement liée à celles d’« usines à diplômes » (diploma mills), c’est-à-dire d’institutions non habilitées ou bénéficiant d’habilitations douteuses. Ces habilitations douteuses peuvent correspondre à une large variété de stratégies, comme l’habilitation par des organismes eux-mêmes non habilités à le faire, des « usines à accréditation » (accreditation mills) ou le mensonge pur et simple en affichant une habilitation contrefaite d’un organisme réellement accrédité” 1