Patronat : Face à la Méfiance des Pouvoirs publics !

8 November, 2015 - 21:54

Aujourd’hui, en Mauritanie, il n’échappe plus à personne le rôle clef du secteur privé national en tant que moteur du développement du pays, de croissance économique, de création de richesse et d’emplois.

Un rôle qui fait que ce secteur ne peut être ignoré par les Pouvoirs Publics qui doivent y voir, non un adversaire ou ennemi, mais un partenaire dynamique, indispensable et, efficacement, impliqué- quand on lui en donne la possibilité- dans l’élaboration et l’exécution des politiques et stratégies nationales de développement économique et social dans le pays.

Un partenaire qui doit, par conséquent, être associé à toutes les grandes décisions nationales, surtout, quand cela concerne le devenir économique de la Nation. C’est dire combien il est important qu’existent, comme par le passé, entre l’Etat et le Secteur privé national des relations bâties sur la confiance réciproque, sur la conjugaison des efforts de chacun et sur la préservation des Intérêts supérieurs du pays.

Ce qui, malheureusement, ne semblerait plus être le cas, depuis l’arrivée au Pouvoir de l’actuel Régime. En effet, l’on constate, depuis cette date, qu’entre les Administrations publiques et l’Organisation faîtière du Patronat national (UNPM), prévaut un climat de méfiance (pour ne pas dire de manque de confiance) réciproque et de manque de sérénité dans les relations qui doivent exister entre deux parties prenantes partageant, en principe, les mêmes idéaux, programmes et objectifs pour la Mauritanie.

Les manifestations de cet état de fait sont multiples et évidentes pour tous, y compris le citoyen mauritanien lambda. Cependant, et pour éviter de longs développements ennuyeux pour le lecteur, ne seront évoquées, ici, que les plus récentes et les plus marquantes de ces manifestations.

En tête de celles-ci viendrait la cérémonie d’ouverture du dernier congrès du Patronat mauritanien (juillet 2011) qui, comme annoncé auparavant, devait se dérouler sous la présidence du Premier ministre de l’époque (Docteur Moulaye OULD MOHAMED LAGHDAF) mais, qui ,curieusement, ne connut, après deux heures de retard, que la présence d’un seul membre du Gouvernement, en l’occurrence, le Ministre du Commerce qui était venu sans discours d’ouverture et, peut-être, ne sachant pas pourquoi il était là.

Une cérémonie d’ouverture de ce grand conclave économique national qui rompait, totalement, avec la tradition ayant caractérisé les précédents congrès du Patronat mauritanien.

En effet, jusqu’ici, cette tradition avait voulu que ces congrès soit présidés, sinon par le Chef de l’Etat, lui-même, ou, tout au moins, par le Premier ministre accompagné d’une pléthore de ministres, devant un parterre de Hauts responsables de l’Etat et en présence des Chefs de Missions diplomatiques et de Représentants d’Organismes internationaux accrédités en Mauritanie.

Autre signe que le courant ne passait plus entre l’Etat et le Secteur privé national le fait que celui-ci n’a pas été associé, ces dernières années, aux grandes décisions économiques prises dans le cadre des Lois de Finances, se voyant ainsi obligé de subir des choix économiques imposés et auxquels il n’a pas été associé.

Aussi, le Secteur Privé mauritanien, quand il était invité par les Pouvoirs Publics à des Forums ou séminaires, c’était, juste, pour la forme (prouver aux partenaires du développement que ce secteur est bien présent ; mais pas pour que ses éventuels avis ou suggestions soient pris en compte). 

Ce climat de manque de coopération saine de la part des Pouvoirs Publics n’a pas, cependant, empêché le Secteur privé mauritanien d’entretenir une politique d’ouverture envers l’Etat et le secteur public, dans son ensemble avec l’espoir que cette ouverture finirait par donner des résultats positifs. Une démarche qui ne semblerait pas, toutefois, avoir eu les échos favorables escomptés.

Parallèlement à cela, l’environnement des affaires en Mauritanie continuait à se détériorer, dangereusement, sans que ne pointe à l’horizon, de la part, notamment, des Pouvoirs Publics un espoir de mettre fin à cette détérioration. Une détérioration devenue assez préoccupante pour l’avenir économique du pays et se traduisant, en particulier, au niveau des opérateurs nationaux, par les aspects néfastes suivants :

- En dépit du caractère probant d’efficacité intrinsèque du Code national de passation des Marchés publics, la procédure de signature de marché de gré à gré a continué à être pratiquée à grande échelle, par simple népotisme et clientélisme ; 

- Les produits industriels nationaux subissent une rude concurrence déloyale de la part des produits similaires importés dédouanés, le plus souvent, de façon peu rigoureuse (sur la base de factures minorées ou sur la base du forfait). 

- Le manque de justice dans le traitement fiscal des mêmes produits importés : des denrées alimentaires comme le riz, le sucre ou le lait sont, différemment, traitées, seulement, à la tête du client; 

- Le manque de règlement des créances de l’Etat en faveur du secteur privé et qui se chiffreraient à plusieurs dizaines de milliards d’ouguiyas avait engendré, le plus souvent, des déficits de trésorerie au niveau des entreprises créancières ; 

- Les erreurs commises par les Pouvoirs publics dans certains choix économiques (privatisation) opérés dans des secteurs très sensibles comme les secteurs du transport ou de l’industrie. Cela concerne, au niveau du premier secteur, la privatisation de la STP et, au niveau du second, la mise en place d’unités industrielles de production de lait.

Des projets qui auraient été plus judicieux et plus rentables s’ils avaient été confiés au privé ou s’ils avaient fait l’objet d’un partenariat efficace Secteur public/ Secteur privé.

Evoquer les nombreux problèmes (la liste est longue) dont souffre encore le secteur privé mauritanien c’est reconnaître que le tissu économique national bat de l’aile à cause, notamment, des faillites qui se multiplient au niveau des unités industrielles et des entreprises avec, comme corollaire, les multiples suppressions d’emplois, accentuant le chômage et la pauvreté dans le pays. 

C’est, enfin, reconnaître que ce tissu a besoin d’un plan urgent de sauvetage. Cette situation on ne peut plus grave et qui perdure encore est surprenante à plus d’un titre et reste injustifiée. 

Elle est, de surcroît, compromettante pour l’avenir économique du pays et pour le devenir des nombreux opérateurs nationaux qui avaient pensé bien faire en acceptant d’investir leur fortune dans des projets utiles et pour la Nation et pour eux-mêmes.

Des considérations qui , ajoutées à d’autres, sembleraient avoir poussé l’actuel Président du Patronat mauritanien, Ahmed Baba OULD AZIZI à hausser le ton, pour la première fois, à sortir de sa réserve et à rompre avec la modération, le calme et la sérénité qui lui étaient connus, jusqu’ici.

C’était à l’occasion de la journée de communication sur le rapport sur l’Environnement des affaires tenue à Nouakchott, le 3 novembre 2015. Manifestation au cours de laquelle il fut, pompeusement, annoncé que la Mauritanie avait gagné 8 points en matière d’environnement des affaires, passant de la 176è à la 168è position au plan mondial.

Le Président du Patronat mauritanien a profité de ce forum pour rappeler, dans un style franc, sincère (car provenant du fond du cœur) et direct, pour ne pas dire osé et rompant avec la langue policée et complaisante (ou langue de bois) habituelle dans laquelle étaient, jusqu’ici, formulées les revendications du Patronat mauritanien et soumises aux Pouvoirs Publics. Cette fois-ci, les choses sont dites de façon claire et explicite et, parfois, en mots crus.

C’était une véritable « secousse tellurique de grande magnitude ». Ainsi, dans son discours à la journée de communication sur l’environnement des affaires susvisée, Ahmed Baba OULD AZIZI a exprimé sa grande inquiétude concernant la situation économique du pays, énumérant plusieurs grands reproches faits par toute la classe économique, en général, et le Patronat national, en particulier, à l’endroit des Pouvoirs Publics mauritaniens; reproches qui, ajoutés au climat de méfiance et de manque de confiance entre Etat mauritanien et Patronat national, constitueraient un handicap sérieux pour la promotion du secteur privé dans le pays. 

Parmi ces reproches, l’intéressé citera, en particulier :

- L’absence d’un interlocuteur que représente une Administration de développement intéressée à mettre un terme aux suspicions existant entre les secteurs public et privé;

- Le harcèlement auquel l’Administration, en général, et les services fiscaux, en particulier, exposent les opérateurs économiques, tous secteurs d’activités confondus, alors qu’il n’ y a pas de développement sans un secteur privé fort et partenaire effectif dans le processus de développement;

- L’ingérence inacceptable et grave de certaines autorités dans les opérations de renouvellement des instances du Patronat national.

Face à ces reproches, le président du Patronat mauritanien appellera, dan son discours cité ci-haut, à :

- Une plus grande transparence dans le domaine des marchés publics et le respect strict des textes initiaux des cahiers des charges de ces marchés ; 

- L’application stricte, juste et équitable des textes règlementant notre économie et dont doivent bénéficier l’ensemble des opérateurs économiques nationaux, sans exception aucune ;

- La cessation des immixtions dans les prérogatives des commissions de passation des marchés publics et l’insertion de nouveaux cahiers de charges non prévus initialement ;

- La fixation d’une durée précise (et raisonnable) pour le paiement des créances du secteur privé auprès de l’Etat et le respect strict et juste de ces délais. 

En somme, le Président du Patronat mauritanien demandait, d’abord, avec insistance, dans ce plaidoyer franc et sincère, le rétablissement de la confiance et du dialogue permanent entre Etat et secteur Privé.

Aussi, l’intéressé lance-t-il, par la même occasion, un cri d’alarme pour que l’Etat, le Secteur privé national et les partenaires au développement conjuguent leurs efforts pour faire face au marasme économique ambiant dans le pays et pour agir, avant qu’il ne soit trop tard, pour éviter que les opérateurs du Secteur privé national ne viennent grossir la masse des pauvres et «faire de la Mauritanie un pays composé, exclusivement , de chômeurs et de pauvres».

La Président du patronat mauritanien a, également, lancé un appel pour que cessent les interférences maladroites de certains segments du Pouvoir dans les élections des structures syndicales du patronat.

Comme ce fut le cas, déjà, avec plusieurs fédérations professionnelles (Fédération du Commerce, Fédération des BTP, Fédération de l’Elevage) et comme cela sera le cas avec le prochain congrès de la fédération d’Agriculture. 

En effet, le Premier ministre aurait déjà convoqué les opérateurs du secteur agricole les invitant à porter à la présidence de leur Fédération le Général à la retraire Dia Des signes précurseurs de cette éventuelle immixtion dans les affaires intérieures des syndicats patronaux courent déjà. Il en serait de même pour le prochain Congrès du Patronat national. En effet, bien que le Bureau exécutif de l’UNPM ait demandé, à l’unanimité, la reconduction de l’actuel Président pour un nouveau mandat, il paraîtrait que certaines sphères du Pouvoir en voudraient autrement.

Il serait, à ce titre, souhaitable que l’Etat respecte cette volonté du Patronat et ne mette pas les bâtons dans les roues Cela est d’autant plus évident quel l’actuel Président du Patronat mauritanien (et certainement, candidat à sa propre succession) remplit tous les critères (l’intéressé est jeune, cultivé et possède les moyens financiers de ses ambitions) souhaités par le Pouvoir dans le rajeunissement de la classe économique nationale, au même titre que la classe politique dans le pays.

Partant de toutes ces réflexions, l’on est en droit de s’interroger, d’abord, sur les causes réelles du climat de suspicion qui caractérise, aujourd’hui, les relations Etat/ Secteur privé national. De s’interroger, ensuite, sur le pourquoi d’un tel acharnement contre le Patronat national?

De se demander, enfin, qui aurait intérêt à ce que cela continue ? L’on est aussi en droit de se demander, au cas où les réponses à ces interrogations n’étaient pas évidentes et claires, s’il n’aurait pas été nécessaire de faire appel à une expertise nationale ou internationale pour déterminer avec exactitude l’origine de cette méfiance et proposer la ou les démarches adéquates pour la transcender. 

Mais, au-delà de cette démarche intellectualiste et quelle que soit la réponse possible à ces interrogations et, de façon pragmatique, il est plus qu’urgent que cesse, sans plus tarder, l’actuel bras de fer (qui ne dit pas son nom) inutile entre l’Etat et le Secteur privé et où ces deux parties, se regardant en chiens de faïence, sont toutes deux perdantes. Où le peuple mauritanien est, également, grand perdant.

Il est urgent aussi qu’à cet esprit destructeur de confrontation et d’adversité se substitue, rapidement, celui de la concertation et de la coopération fructueuse et que, dans un élan patriotique et de retrouvaille historique, l’Etat et Secteur privé mauritanien scellent, à nouveau, leur réconciliation et fêtent, ensemble, la reprise du dialogue et de la concertation positive pour résoudre, définitivement, les grands problèmes pendants du secteur privé national, dans l’intérêt Supérieur bien compris de la Nation mauritanienne.

Chaque partie doit, à l’occasion, savoir qu’elle a besoin de l’autre et que leurs rôles doivent être complémentaires et non contradictoires, l’Etat jouant son rôle de régulateur et d’arbitre et le Secteur privé jouant celui d’investisseur et d’exécutant des projets de développement dans le pays. Dans ce cadre et pour optimaliser la contribution de chacune de ces deux parties, il serait souhaitable qu’elles signent, dès que possible, un contrat-programme pluriannuel dans lequel l’Etat s’engage, notamment, à améliorer l’environnement des affaires par, en particulier, une baisse du coût des facteurs de production (énergie, en particulier), le renforcement des infrastructures de base, une fiscalité souple et la mise en place d’une politique nationale de formation professionnelle conséquente. 

De son côté, le Secteur privé national s’engagera à mobiliser un volume d’investissements respectable, à créer de nouveaux emplois et à assurer au Budget de l’Etat des recettes fiscales et douanières en volume raisonnable et possible. Ce contrat qui devrait faire l’objet d’un suivi rigoureux et d’une évaluation efficiente pourrait comporter d’autres volets. Ceci ne relève pas de l’utopie, c’est une initiative à portée de main. 

La raison et l’intérêt partagé devraient donc l’emporter sur toute autre considération. Et au lieu de la méfiance et de la défiance, c’est la confiance qui devrait retrouver sa place.
 

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Hamoud Ely