M. Zakaria Ould Ahmed Salem, politologue, professeur à l’université de Nouakchott, dans une interview à VOA:‘’Les Mauritaniens sont lassés par une opposition qui ne propose que le boycott’’

23 July, 2014 - 09:54

Voice Of America : Les résultats de l’élection présidentielle en Mauritanie ont été publiés, hier [l’interview fut réalisée au lendemain de la présidentielle, NDLR]. Sans surprise, Mohamed Ould Abdel Aziz, obtient près de 82% des voix, suivi de Biram Dah Ould Abeïd, le militant anti-esclavagiste. Cette sorte de plébiscite pour le président sortant, comment l’expliquez-vous ?

Zakaria Ould Ahmed Salem : C’est la confirmation de la popularité d’Ould Abdel Aziz qui a tenu, effectivement, les promesses de sa campagne de 2009. Il avait, notamment, promis de lutter contre la corruption, renforcer la sécurité du pays et mettre fin au terrorisme, assurer le développement des infrastructures. Sur ces trois points, il a été, tout à fait performant et les Mauritaniens ont montré sa solidarité avec lui. Mais je crois, aussi, que c’est une manière de gouverner qui a été récompensée, Aziz a fait beaucoup d’efforts, pour assurer la transparence dans la vie publique, il a montré beaucoup de préparation et d’aptitude, pour le dialogue avec l’opposition, notamment en 2011, lorsqu’il a ouvert un dialogue avec l’opposition modérée, il a fait des concessions considérables, en terme de réformes constitutionnelles… Par ailleurs, c’est quelqu’un qui tient beaucoup à assurer la communication, autour de l’action gouvernementale, il accomplit de nombreuses missions, à l’intérieur du pays, pour expliquer aux Mauritaniens, de façon directe, sans intermédiaires, les projets entrepris, les objectifs nationaux et je crois que les Mauritaniens ont adhéré à cela, contrairement aux sceptiques qui ne le connaissaient pas, il faut le dire, en 2009. Maintenant, c’est la consolidation du régime, la Mauritanie est beaucoup plus démocratique qu’avant, elle est plus développée, elle est plus sûre qu’en 2009, il n’y a pas eu d’attentats depuis 2009 et ceux qui ont été tentés ont été déjoués, le taux de croissance économique a atteint 6%. Je pense que c’est tout cela qui a été récompensé.

 

- Mais l’opposition dite radicale a appelé au boycott ?

- Oui, l’opposition a appelé au boycott du scrutin mais, au vu des résultats, on constate que, malheureusement pour elle, ça a été un échec, parce que l’objectif, pour elle, était de montrer que les Mauritaniens n’étaient pas intéressés par cette élection mais les chiffres ont démenti ce postulat, parce qu’on a un taux de participation de plus de 56%. Or, si l’on se rappelle de l’élection présidentielle de 2009 à laquelle avait pris part l’opposition, le taux de participation était de 64%, la différence est, donc, de près de 7 points, c’est tout à fait négligeable, l’appel du boycott de l’opposition a été ignoré par les Mauritaniens et, visiblement, ils sont lassés par une opposition qui ne propose que le boycott, qui refuse de prendre part à des élections. Une opposition qui ne participe pas à des élections, les Mauritaniens n’y tiennent pas. On se rappelle qu’elle avait boycotté les municipales et les législatives et, aujourd’hui, le fait qu’elle boycotte la présidentielle a été très mal compris, très mal apprécié par les Mauritaniens.

Par ailleurs, on est, aussi, à la fin d’un cycle, en ce qui concerne cette opposition mauritanienne. En effet, la plupart de ses responsables ont été d’anciens présidents, anciens ministres, dirigeants d’institutions, dirigeants militaires des  années 60, 70 et 80, ceci dans pays où près de 70% de la population ont, aujourd’hui, moins de 30 ans. On voit donc qu’il y a un gros décalage, entre cette majorité de la population et des gens qui apparaissent, plutôt, comme un groupe de mécontents et d’aigris, par rapport à la génération qui les suit.

 

- C’est ce qui explique la percée de Biram Dah Ould Abeïd ?

- Oui, Biram Dah Ould Abeïd a réalisé un score d’un peu moins de 9%. Moi, je ne parlerai pas de percée, parce qu’il a dû profiter de beaucoup de choses, pour arriver à ce score. Premièrement, il a devancé, effectivement, Ibrahima Moctar Sarr et Boydiel Ould Houmeïd. Biram profite, effectivement, de l’absence de l’opposition mais il aurait dû, en toute logique, en profiter beaucoup plus, parce qu’en 2009, souvenez-vous, Messaoud Ould Boulkheïr, avait rassemblé près de 20% et Ould Daddah avait réalisé un bon score. Donc, Biram n’a pas tout à fait profité du boycott de l’opposition, il n’a pas fait une percée, il a obtenu un score honorable, meilleur que ses concurrents, mais il n’a pas fait, ce que, moi, j’appellerai  une percée : il l’aurait réalisée, s’il avait pris toute la place de l’opposition.

 

- Et maintenant, quels sont les défis du second mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz ?

- Les défis sont nombreux mais il y a, aussi, les projets auxquels il a promis de s’attaquer ; notamment, renforcer la sécurité du pays, poursuivre la lutte contre la gabegie, pour dégager des marges de manœuvres budgétaires et exécuter son programme… Les défis sont de créer une nouvelle opposition. Le meeting de clôture de la campagne présidentielle d’Aziz avait pour thème « le renouvellement de la classe politique ». Je crois donc que le défi politique majeur du second mandat sera d’assurer un climat politique suffisamment démocratique pour qu’une nouvelle classe politique, y compris au sein de l’opposition, émerge, parce qu’une démocratie a besoin d’une opposition : le régime en lui-même, pour se consolider, pour réaliser ses objectifs, dans la paix et la sérénité, doit s’appuyer sur un partenaire politique de l’opposition fiable, qu’on peut préparer pour une alternance, à laquelle on peut faire appel, pour un dialogue, pour la construction du pays. Et pour le moment, c’est un grand défi, il n’y a pas  d’opposition, pour des raisons simplement biologiques : les dirigeants les plus populaires de l’opposition ont près de 80 ans, donc, ils sont en fin de parcours, ça se voit, d’ailleurs, ils n’ont pas de projets. Si vous vous reportez aux dernières élections, vous aurez constaté, du côté des candidats de l’opposition, qu’ils n’ont pas de projets, pas de propositions, ils fonctionnent entre critiques et protestations. Il va donc nous falloir une nouvelle classe politique, une nouvelle opposition et je crois que le président Aziz a pointé le doigt là où ça fait mal, sur ce mal mauritanien.

Le troisième défi sera de maintenir les acquis : la partie est loin d’être gagnée. Il n’est pas facile d’assurer, comme cela a été fait durant les cinq dernières années, une sécurité optimale du pays, dans un environnement trouble, comme il n’est également pas facile de poursuivre la lutte contre la gabegie, un mal endémique dans ce type de pays et en Mauritanie, particulièrement. Il y a, enfin, de grands chantiers, en termes d’infrastructures, de réforme de la justice, du secteur de l’éducation qui est complètement à terre, en Mauritanie… Voilà les grands chantiers, je pense, qui attendent le président réélu.