Depuis son départ de la présidence de la Communauté urbaine de Nouakchott, Ahmed Ould Hamza s’est abstenu de toute déclaration à la presse. Consacrant son temps libre à des voyages à travers le monde, il avait décidé de ne reprendre ses activités politiques et économiques qu’à partir de 2016. Mais devant l’insistance du Calame, l’homme a décidé de rompre le silence. Dans cette interview, il se prononce, comme à son habitude, c'est-à-dire sans langue de bois, sur l’ensemble des questions qui préoccupent la Mauritanie : dialogue politique en gestation, détention de Biram, refus du gouvernement de reconnaître les FPC… Il s’attarde également un peu sur les rumeurs l’intronisant candidat à la présidentielle de 2019, ses supputées ambitions à la CCIAM, ses accointances avec le Maroc, le Sénégal et la France… Un Hamza à cœur ouvert.
Le Calame : La question de dialogue entre le pouvoir et l’opposition continue à alimenter les conversations. Après les journées de concertations préliminaires et les tractations en cours, pensez-vous qu’un dialogue puisse se tenir, dans les conditions actuelles, entre les deux camps ?
Ahmed Ould Hamza : Quitte à vous surprendre, je le pense sincèrement. Comme vous le savez, je suis profondément convaincu qu’il n’y a pas d’autres alternatives que le dialogue, si les acteurs politiques sont sincères dans ce qu’ils proclament. N’est-ce pas eux qui nous affirment, à chaque occasion, qu’ils veulent le dialogue, pour régler les problèmes auquel notre pays est confronté ? Je pense aussi qu’il y a des signes positifs, avec les déclarations du nouveau président du FNDU. Contrairement à ce que le pouvoir peut supputer, l’homme ne sera pas un obstacle au dialogue. Au contraire, il œuvrera, avec l’ensemble des acteurs politiques, à sortir le pays de la tension politique qu’il vit pour que le dialogue soit un succès, dans l’intérêt, bien entendu, de tous les Mauritaniens.
La Mauritanie connaît de sérieux problèmes, comme le passif humanitaire, l’esclavage, la marginalisation, depuis une trentaine d’années, des cadres de l’opposition... A cela s’ajoute une géopolitique sous-régionale très instable. Nous devons, par conséquent, travailler à éloigner le spectre de la violence dans notre pays. Ceux qui se croient à l’abri se trompent. Notre priorité doit être la réconciliation nationale, pour préserver notre bien commun, à savoir la Mauritanie. Mais pour cela, il faut éviter les règlements de comptes et privilégier le dialogue ; il faut que les Mauritaniens acceptent de se parler pour dépasser leurs divergences. Nous sommes suffisamment divisés : maures, halpular, wolofs, soninkés, en plus d’être du Charg, du Sud, du Nord… Les Mauritaniens doivent se parler, pour éviter l’irréparable ; le pouvoir et les biens du pays être partagés entre tous ses fils pour éviter la moindre marginalisation ; et les minorités jouir des mêmes droits que tout le monde : ce n’est pas parce qu’on est numériquement faible, à l’instar des Wolofs, qu’on n’a pas droit à la représentativité, aux postes électifs et de responsabilités dans l’administration…
- A votre avis d’acteur politique averti, qu’est-ce qui continue à bloquer le dialogue, entre l’opposition et la majorité, tout particulièrement entre le FNDU et le pouvoir ?
- Vous savez, les deux camps s’affrontent, depuis des années, s’observent en chiens de faïence, se méfient mutuellement l’un de l’autre. Ils ont perdu confiance. Il est donc devenu très difficile d’abattre ce mur de méfiance. Mais, comme je l’ai dit tantôt, les Mauritaniens doivent obligatoirement se parler, débattre de tous les problèmes, sans tabou, sans passion. L’opposition ne peut être cantonnée dans sa marginalisation actuelle. Je pense que le président de la République doit rassurer l’opposition, en se plaçant au-dessus des partis, en constituant un gouvernement d’union nationale où l’opposition jouera sa partition. Aller aux élections n’est pas, pour moi, une priorité. Il faut d’abord balayer le terrain, associer tout le monde à la gestion du pays, poser les conditions d’une démocratie apaisée. C’est vrai que la Mauritanie vit, à l’instar d’autres pays, une crise économique difficile. Loin de moi, donc, l’intention de dresser bilan ou réquisitoire contre le régime, je crois qu’il faut être lucide et, surtout, réaliste.
- A votre avis, que faudrait-il faire pour vaincre les méfiances entre le pouvoir et l’opposition ?
- Prendre de la hauteur, se respecter mutuellement, avoir confiance les uns envers les autres. Je les sais capables de se dépasser et de vaincre leur méfiance, c’est pourquoi je ne perds pas confiance et reste optimiste : ils y réussiront. Ça peut prendre du temps – ça en a d’ailleurs déjà pris – mais ils vont se ressaisir, pour l’intérêt de notre pays. Il y a, cependant, un point qu’il ne faut pas perdre de vue. Nous avons, dans l’opposition, des hommes qui ont joué un rôle très déterminant, dans l’ancrage de la démocratie dans notre pays. Je veux particulièrement parler du président Ahmed ould Dadah et du président Messaoud ould Boulkheïr. La Mauritanie leur doit beaucoup et je continue à penser qu’ils seront toujours utiles au pays, même s’ils ne peuvent plus se présenter à une élection présidentielle. Nous devons trouver un mécanisme les autorisant à nous accompagner encore et nous permettant de profiter de leur expérience et de leur sagesse. En Afrique, on connait la valeur inestimable que représentent ces bibliothèques. C’est vous dire que nous devons éviter d’engendrer des frustrations inutiles, souvent sources de blocages et de révoltes.
- La Mauritanie ne compte-t-elle pas nombre de patriotes, pour amener, comme en Tunisie, les acteurs politiques à taire leurs divergences dans l’intérêt de leur pays ? Qu’attendent-ils pour agir ?
- Vous savez, c’est bien regrettable, nous vivons dans un pays où le matérialisme et le clientélisme ont tout dénaturé … Ceux qui sont censés jouer les facilitateurs – imams, société civile, syndicats – sont, en majorité, engagés politiquement, ce qui leur ôte toute caution morale. C’est, hélas, la situation que nous vivons, contrairement aux Tunisiens auxquels vous faites référence. Le dialogue politique doit nous permettre, entre autres, d’assainir la scène politique, en mettant de l’ordre dans notre organisation citoyenne. On ne peut pas continuer à traîner des partis-cartables, des ONG-cartables, des syndicats- cartables et j’en oublie certainement. Il faut dépoussiérer nos textes.
- Souvent cité parmi les potentiels présidentiables, Ahmed Ould Hamza jouit d’une bonne réputation, tant au sein de la classe politique qu’en celui de la jeunesse, et multiplie les déplacements à extérieur du pays. Pouvez-vous nous dire s’il nourrit des ambitions présidentielles ?
- Je pense qu’il est trop tôt pour en parler. N’est-ce pas 2019, l’échéance de la prochaine élection en ce sens ? Pour ne pas s’essouffler, il faut savoir partir à point (rires). Sérieusement, d’ici à là, tout peut arriver, n’est-ce pas ? Enfin et comme vous le savez, j’appartiens, au moment où je vous parle, à un parti et je me plie à sa discipline.
- Vous êtes également cité parmi les prétendants à la succession de l’actuel président de la Chambre de commerce de Mauritanie. Info ou intox ?
- A ce que je sache, le mandat de l’actuel président n’est pas arrivé à terme, il lui reste un an. Je me plais, de surcroît, à vous indiquer que l’actuel président a beaucoup fait pour la Chambre de commerce, il lui a redonné ses lettres de noblesse et nous l’accompagnons dans son action, jusqu’à la fin de son mandat. Laissons le temps au temps. Tout ce que vous lisez dans la presse ou entendez dans les radios n’est que supputations. Je dirai même de la manipulation, émanant d’un grand manipulateur que nous connaissons tous. D’ailleurs et à ce que je sache, aucune des personnes citées ne s’est déclarée candidate. Je ne crains pas de me répéter : tout cela n’est que manipulation de l’opinion, par media interposés.
- Ce serait peut-être trop long de revenir sur votre passage et votre bilan, largement apprécié, à la tête de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN), mais, pouvez-vous nous dire ce qui vous a le plus marqué, durant votre mandat ?
- La morale m’interdit d’apprécier ou de porter un jugement sur une institution que j’ai dirigée pendant près de huit ans. Ce ne serait pas bien vu. Par contre, vous, la presse, vous avez reçu certainement la copie de la passation de service, vous avez eu à apprécier l’action menée par l’équipe municipale sortante. L’histoire retiendra, je crois, ce passage qui m’a personnellement beaucoup marqué. La proximité avec les citoyens, les jeunes et les femmes surtout, aura été très instructive. C’est une des belles expériences de ma vie. Nous avions une mission auprès des citoyens, nous nous sommes efforcés à la remplir, pour eux et avec eux. Je n’ai pas tout réussi – j’avais une grande ambition pour notre capitale – mais ce n’est pas faute d’avoir essayé, en dépit des nombreux bâtons qu’on m’a mis dans les roues.
Je souhaite, comme je l’ai dit lors de la passation de charge, plein succès à la nouvelle présidente. C’est un gros défi, un défi exaltant. J’appelle à plus de décentralisation sans laquelle les mairies ne peuvent rien faire. Savez-vous que le l’Etat n’accorde, aux mairies des deux cent dix-neuf communes du pays, que trois milliards d’ouguiyas de subvention (Fonds régional) ? Que peuvent-elles faire avec si peu, allez-vous me demander ? Elles n’ont pas de recettes. Les Mauritaniens, comme vous le savez, ne paient pas les impôts. Sans une vraie libéralisation, sans une réelle décentralisation, pas de développement, surtout à la base.
- On ne peut pas parler de votre bilan sans évoquer l’épisode Pizzorno qui a jeté, sur le carreau, des centaines de pères, mères et jeunes, encore aujourd’hui à réclamer leurs droits. Avec un peu de recul, pensez-vous que le contrat avec Dragui était le bon et qu’il fallait le renouveler ?
- Laissez-moi vous dire que ce fut un dossier très mal géré. Dragui réalisait un bon travail, il aurait pu faire mieux mais certains cadres mauritaniens qui ne s’y retrouvaient pas ont contribué à le torpiller. Il restait, à Pizzorno, trois ans à accomplir. On aurait lui laisser terminer son contrat et mettre à profit ce temps pour préparer la relève. Hélas, l’Etat s’est empressé, impliquant, du coup, les pauvres travailleurs dans « l’arrangement », alors qu’ils auraient pu être reversés, au simple constat de leur expérience, dans un nouveau contrat. Cette précipitation a fortement nuit à l’image du pays. Il faut se l’avouer : la Mauritanie ne dispose d’aucune expérience pour gérer les ordures. N’en ayons pas complexe : il faut recouvrir à une expertise étrangère.
Par rapport à l’épineuse question des eaux stagnantes, ça ne date pas d’aujourd’hui. Nouakchott se situe dans une zone inondable et ne dispose pas de plan d’assainissement pour évacuer les eaux de la nappe qui remonte, celles des pluies et celles des fosses septiques. On connaît les problèmes mais on ne se hâte, souvent, à les régler que trop tard. Le problème de l’assainissement de Nouakchott doit rester une priorité pour les pouvoir publics.
- Malgré votre départ de la CUN, vous continuez à marquer de votre présence l’association des maires francophones, assistant à toutes ses réunions et autres manifestations. C’est une règle établie pour les présidents des communautés urbaines ou une faveur envers Ahmed Ould Hamza ?
- Je suis resté sept ans membre de beaucoup d’institutions urbaines à travers le Monde. Cette expérience a développé des relations, des amitiés, des sympathies ; elle m’a aussi conféré une expertise. Non seulement ces années m’ont apporté un plus mais elles ont aussi donné une chance à la Mauritanie dont les élus sont cooptés dans toutes les instances. J’ai veillé à ce que notre pays ne perde aucun poste déjà acquis dans les institutions. Je défends la place de la Mauritanie, parce que, pour moi, la Mauritanie passe avant tout. J’ai mis mon expertise au profit de toutes les institutions dont vous parlez, ce qui justifie, qu’elles m’invitent, aujourd’hui, à toutes leurs manifestations. Je vous informe que je suis d’ailleurs invité à la septième édition d’Africités, prévue du 29 Novembre au 3 Décembre prochains, à Johannesburg, en Afrique du Sud.
- Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent votre proximité avec le Maroc, le Sénégal et la France ?
- Je dois m’en réjouir. Ils ne peuvent pas dire que je ne suis pas mauritanien, quand même ! (Rires). Mauritanien avant tout, je dispose de liens avec ces Etats. Mauritanien, je suis Oulad Besba, vous savez que cette tribu compte une grande communauté au Maroc et j’entretiens de très bonnes relations d’amitié avec ce pays que j’aime beaucoup. En ce qui concerne le Sénégal, je dirai que je suis autant mauritanien que sénégalais. Culturellement, je me sens très proche de ce pays où j’ai passé mon enfance et tissé de nombreuses relations. Quant à la France, je suis, francophone et francophile, président de l’alliance franco-mauritanienne. La France est un pays ami avec lequel la Mauritanie partage une histoire commune.
La Mauritanie entretient des relations particulières avec la France et le Sénégal mais, aussi, avec le Mali et les pays de l’UMA. Cela dit et en dépit de ces relations de fraternité et d’amitié, je demeure mauritanien avant tout. Notre pays doit rester tolérant et ouvert à ses voisins. C’est vrai que la Mauritanie est un pays musulman où la langue officielle est l’arabe mais nous devons tendre vers un trilinguisme : arabe, français et anglais. Notre fermeture nous a porté un grave préjudice. Il nous faut recadrer les choses. N’entretenons aucun complexe.
- La Mauritanie vient de signer un partenariat avec la CEDEAO. Que vous inspire ce geste dans une Mauritanie où divers partis politiques réclament sa réintégration à cette organisation ouest-africaine ?
- Oui, la Mauritanie vient de signer un partenariat avec la CEDEAO. Il entrera en vigueur en 2016. Je m’en réjouis mais je pense qu’on doit, tout bonnement, réintégrer cette organisation de notre espace. Nous sommes membre du CILSS, de l’OMVS et de l’Agence Pour la grande Muraille Verte (APMV). Pourquoi pas carrément réintégrer la CEDEAO, quitte à établir un partenariat avec l’UEMOA ? La Mauritanie fut un train d’union entre l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb et doit conserver ce rôle. Cela ne change en rien nos rapports avec l’UMA, au demeurant une organisation en panne qui a besoin de nous, comme les autre pays du continent.
- Les amis et sympathisants de Biram Ould Dah Ould Abeid, président d’IRA Mauritanie, détenu, avec le vice-président de celle-ci, à la prison d’Aleg, réclament son évacuation, pour raisons de santé, à Nouakchott, ce que le procureur refuse. Que vous inspire cette situation ?
- Vous me donnez là l’occasion de demander, de vive voix, la libération rapide du président Biram et de ses codétenus. Ce sera un geste, non seulement, humanitaire mais, surtout, d’apaisement et de détente politique. Il est inacceptable de compter des prisonniers d’opinion dans nos prisons. Cela ternit notre démocratie.
- Les services du ministère de l’Intérieur ont rejeté la demande de reconnaissance du parti des « Forces Progressistes du Changement » (FPC) que préside monsieur Samba Thiam. Qu’en pensez-vous ?
- C’est une erreur politique grave. Ces mauritaniens qui vivaient en exil, animant un mouvement clandestin, ont décidé de rentrer chez eux, pour inscrire leur action politique dans la légalité et apporter leur contribution à l’édifice national. Ils devraient, à mon avis, être encouragés, jouir d’un droit reconnu par la Constitution mauritanienne. C’est une erreur qui ne favorise pas la détente et la cohésion nationale. C’est une erreur alourdie par et dans un contexte où les pouvoirs publics ne cessent de brandir le règlement du lourd dossier du passif humanitaire, à l’origine, d’ailleurs, de l’exil de ces mauritaniens. J’invite donc le gouvernement à se ressaisir, afin de permettre, à ce parti, de jouir de la légalité. Cela va justement contribuer à notre si nécessaire unité nationale.
Propos recueillis par Dalay Lam