La plupart des lecteurs qui ont répondu au colonel n’auraient pas fait mieux que lui, à l’exception de l’un d’eux qui doit se reconnaître. J’ai noté la ligne rédactionnelle conformiste de la plupart des articles publiés en réaction aux initiatives de l’audacieux militaire. Des cadres qui semblent bien formés, à en juger par les subtilités de formules et de leur aversion de culture de type mondain, et qui appartiendraient à des familles émirales célèbres ou à des tribus de noblesse, ont écrit des lignes qu’ils auraient dû édulcorer, pour les mettre en phase avec la mutation de la société mauritanienne et ménager la susceptibilité de leur compatriotes censés ne pas avoir les mêmes motivations qu’eux.

Tous, à une exception près, disent écrire pour défendre leurs parents ! De leur production, on ne retient, d’ailleurs, que cet impératif de point de vue. A titre d’argument de défense au soutien à la pénétration coloniale, ils écrivent que ceux des nationaux impliqués dans la pénétration coloniale croyaient en ce qu’ils faisaient, ou qu’ils avaient leurs idées ! Comme s’il existait un acte, grand ou petit, sans idée derrière. Une autre plume, en plus de l’argument de parenté défendue, conseille, à la source de son article, pour, dit son auteur, sauvegarder l’Unité nationale, de faire table rase du passé et de considérer, sur le même pied d’égalité, la victime et son bourreau, les martyrs et les collaborateurs. Il va jusqu’à demander d’ériger des stèles, côte à côte, pour chacun des deux groupes. Dans quel pays est-on ? Si l’on donnait le même statut que méritent les martyrs, les patriotes qui ont sacrifié leurs désirs, leur vie et, dans bien des cas celle de leur famille, pour que vive la nation, à ceux qui prêtent mains fortes aux conquérants, aux opportunistes, le Monde entier – pas seulement la Mauritanie – se transformerait en une pagaille inextricable car la morale deviendrait l’antimorale, le sacrifice inutile, l’opportunisme chéri. Tous les pays se bloqueraient, faute de bonnes initiatives, l’humanité redeviendrait hordes déshumanisées, sans objectifs, sans domicile fixe et qui s’élimineraient, de surcroît, à la vitesse de l’éclair. Le devenir des nations les plus développées a été tracé par le sang de cette fibre d’hommes exceptionnels qui font fi de leur confort et de leur vie, pour que se développent, après eux,  l’égalité, la sécurité de leur nation.

Je signale, en passant, que mes parents furent des premières victimes de l’expédition, aux environs de Chinguitty, qui devait prendre, par surprise, les forces coloniales à Moutounsi, dans le cadre des opérations de diversion organisées par la guérilla (1). Les maquisards prirent, à notre tribu, des dizaines de têtes de caprins. Rares furent les tribus de la zone qui ne firent pas fait les frais de cette diversion. Aucune n’était visée intentionnellement, mais toutes furent razziées au passage vers le Sud. J’ai, par ailleurs, de solides liens consanguins avec l’auguste famille d’Ehl Cheikh Sidiya que tous les Mauritaniens considèrent. Mais les faits doivent être rapportés tels qu’ils se présentèrent.

L’empire colonial ne s’est pas introduit en Mauritanie pour la couleur de nos cheveux gras ou crépus, ni pour nos  visages brûlés par le soleil, ni pour notre bonté que nous chantons, à tort, à qui veut bien l’entendre (2). Les impératifs de la conquête de la Mauritanie furent clairement égrenés par Coppolani et ses patrons de L’Empire.  Elles se déclinaient par les priorités qu‘étaient la protection de la colonie du Sénégal, qui essuyait des attaques régulières en provenances des émirats maures limitrophes – Trarza, Brakna, Idewich – en dépit des pactes signés, et la nécessité d’établir la jonction entre les colonies du Sud, du Sud-est et du Nord, en Algérie. Pour vous en persuader, lisez ce qu’en disait Coppolani : « […] il importe […] que l’autorité française soit définitivement reconnue […] et que nous ayons la preuve que ces populations se sont pliées à notre domination et à leur situation nouvelle […] ».

 

La personne de Xavier Coppolani

Pour lui retourner la formule qu’il a choisie, en guise de titre provocateur : « Merci Coppolani ! », le colonel se trompe de personne à décorer. Il me donne l’impression d’un officier qui, suite à une violente confrontation armée qui l’aurait déstabilisé, choisit, par inadvertance, avant que les troupes ne se démarquent, de décorer un soldat du camp adverse. Nous pouvons admettre que, d’un certain point de vue, Coppolani est un héros, un surhomme même, mais pour lequel des deux camps aux prises ? En tous cas, pas pour la Mauritanie. Qu’il le soit pour la France, nous le concédons.

Ce qui montre davantage que le colonel s’est trompé de récipiendaire,  c’est déjà de lui avoir donné une instruction qu’il n’eut jamais. Coppolani n’accomplit que trois années à l’Ecole normale de Constantine, avant de tourner le dos au métier d’instituteur pour celui d’administrateur. Secrétaire de la commune mixte de l’Oued Chérif, à 23 ans, il apprit l’arabe en autodidacte, dans le seul but de communiquer avec ses administrés. Le 15 Août 1895, alors détaché au gouverneur général d’Algérie, sa connaissance de l’arabe permet de l’affecter auprès du gouverneur du Soudan français (3).

Pour corriger davantage l’envergure que donne le colonel à Xavier Coppolani, rappelons que celui-ci s’est beaucoup appuyé sur les travaux de l’administrateur Georges Poulet (4). Dans la préface de son ouvrage, ce dernier écrivait en effet : « rechercher à qui nous avons affaire, afin de mieux entendre ce que nous pouvons faire […] pour assurer la sécurité […] de la colonie […] contribuer à son développement […] pour la jonction du Nord au Sud, Algérie et Sud- Soudan, protéger et défendre toutes les tribus tranquilles et laborieuses qui vivent ou désirent vivre à l’ombre protectrice de notre drapeau ». En plus de l’écrit appliqué à la lettre, les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises. Et, certes, Coppolani à su mettre en œuvre les recommandations de G. Poulet.

La pénétration pacifique conduite par Coppolani permit, à la France, de conquérir, à moindre frais, un vaste espace, peuplé par un vaillant peuple, à l’histoire plusieurs fois centenaire. Frèrejean, lieutenant de Coppolani, rapporte que les Maures quand ils sortaient de la tente de Coppolani s’exclamaient : « cet homme nous prend notre pays et nous somme obligés de le suivre ! ».  Cette attitude du mauritanien du début du 20ème siècle ressemble fort à celle du colonel Omar, au 21ème…

 

Mohamed Fadel Nani

Consultant en finances de l’entreprise

 

Notes :

(1) : Voir le rapport vulgarisé à l’initiative de Bertrand Fessard de Foucault (Ould Kaïgé) :  « L’emblématique combat de Moutounsi, 18 Août 1932 ».

(2) : Les Français disaient, dans le temps, que « l’engagement moral du Maure s‘arrête là où commence son propre intérêt »…

(3) : « Mauritanie saharienne, Novembre 1903-Mai 1904 », par Geneviève Désiré-Vuillemin.

(4) : « Entre 1896-1902 : Les Maures de l’Afrique occidentale française », Challamel, Paris, 1904.