Il faut se souvenir que la notion de patrie a commencé chez nous au début du siècle dernier lorsque les pacificateurs Baba Ould Cheikh Sidiya et Cheikh Saadbouh Ould Cheikh Mohamed Fadel, grâce à leurs courageuses fatwas, ont permis aux français de mettre fin à des siècles de violence et de terreur des émirats arabo-berbères et négro-africains en déclin, décimés par des guerres fratricides, et d’unifier toutes ces ethnies et ces tribus que tout sépare, origine, tradition, langue, mode de vie et passé historique, vestiges des empires, songhaï, Almoravides, Ghana, Mali, Tekrour, Walo Macina ainsi que du royaume d’Aoudaghost dans un seul et même Etat,
C’est le début de l’émergence du protectorat de la Mauritanie fondé par le pacificateur et administrateur français Xavier COPPOLANI, le 27 décembre 1899. Celui-ci a utilisé sa culture arabo-islamique - il avait appris le Coran et le fiqh en Algérie et écrit un livre sur les confréries musulmanes- pour donner un visage humain, acceptable pour les musulmans, à l'expansion coloniale au Soudan et en Mauritanie.
C’est lui qui a tracé les frontières et donné un nom à notre pays : La «MAURITANIE» qui veut dire terre des maures, dont les frontières s’étendaient des rives du fleuve Sénégal au Sud, aux confins du Maroc et de l’Algérie au Nord et des rivages de l’atlantique à l’Ouest jusqu’aux confins du Niger à l’Est englobant la région de l’Azawad. Il l’avait subdivisée en 5 grandes régions : A l’Est, les régions de l’Azawad avec pour chef lieu Araouane et du Hodh avec pour chef lieu Walata, au centre la région du Tagant avec pour chef lieu Tichit, au nord la région de l’Adrar avec pour chef lieu Chinguetti, et au sud-ouest la région de l’Agan avec pour chef lieu Ndiago ou Podor. Cette Mauritanie sera amputée très tôt de son Rio de Oro et de sa Saguia Alhamra dans sa partie nord, cédés à l’Espagne par le traité de Paris du 27 juin 1900.
La zakat plutôt que l’impôt
Dans son projet de protectorat mauritanien, Coppolani proposait le remplacement de l’impôt coutumier par la zakat, alors que les gouvernements de la République Islamique qui se sont succédé depuis cinquante-cinq ans n’ont jamais abordé le sujet de la zakat, pilier fondamental de l’Islam, le seul en mesure d’éradiquer définitivement la pauvreté, dont la responsabilité de l’exécution incombe entièrement au chef de l’Etat et à lui seul, malgré le soutien indéfectible des oulémas et des foughahas.
Cette Mauritanie saharienne sera remise en cause par les détracteurs militaristes de Coppolani, partisans de la méthode forte, lorsqu’il a été assassiné à 39 ans, en cette regrettable nuit du vendredi 12 au samedi 13 mai 1905, à Tidjikja par ce fanatique illuminé, qui a brisé le rêve de cet illustre administrateur, grand humaniste, d’une intelligence supérieure, qui voulait faire de notre pays, le plus grand et le plus riche des Etats de l’Afrique occidentale française. Ce crime odieux va mettre fin à « la pénétration pacifique basée sur la compréhension des cœurs et des intérêts » et ouvrir la porte à la pénétration par la force avec les conséquences que l’on sait.
Cette lettre écrite en arabe en 1902, de la main propre de Coppolani fondateur de la Mauritanie à l’illustre notable Cheikh Sidi Mohamed ould Cheikh Ahmedou ould Seimane eddeymani, dont voici la traduction, exprime l’esprit de cette vision de la «pénétration pacifique basée sur la compréhension des cœurs et des intérêts » :
« Louange à Allah l’unique, Prières d’Allah sur le dernier de ses messagers. De la part de l’Emir de N’dar qui tient les affaires de l’Afrique occidentale, au Cheikh Sidi Mohamed Ben Cheikh Ahmedou Ben Sleimane. Meilleures salutations, je voudrais que vous sachiez que je suis installé, de nouveau, à la tête de l’Emirat sur ce pays, et que je veux instaurer la paix sur toute l’étendue du pays MAURE riverain du Sénégal. La première chose indispensable pour les tribus qui peuplent, comme vous, le Sahara et qui n’ont ni force ni protection, et qui n’ont comme vocation que le culte, la paix et la tranquillité. Cela ne saurait être possible que sous l’autorité de l’Etat français, seul capable de ramener la paix et d’offrir la sécurité.
Aujourd’hui, je veux que les guerres entre les tribus cessent pour développer le commerce et pour que les caravanes puissent arriver en toute sécurité. Tout le monde doit pouvoir vaquer à ses besoins, sans craindre les coupeurs de route ou autres bandes de malfaiteurs. Je veux bien assurer la protection aux victimes de l’injustice et aux opprimés, récompenser ceux qui font du bien et punir, durement, ceux qui s’adonnent au pillage et au vol.
J’ai appris que vous êtes de ceux auxquels on fait référence et que vous êtes bien considéré chez vous où vous jouissez d’une grande estime. Je suis convaincu que votre niveau élevé de sagesse et de perspicacité vous amènera, sûrement, à apporter votre soutien à toute bonne volonté de réforme et d’apaisement de vos citoyens, qu’elle émane de gouvernants chrétiens ou musulmans.
Comme je sais bien que vous êtes hautement qualifié pour cela, je souhaite vous parler et vous entendre. C’est pourquoi je vous demande de venir me joindre sans delai.Vous devez vulgariser ce que je viens de vous annoncer tout au long de votre chemin. C'est-à-dire informer tous ceux que vous rencontrerez que je veux être aux côté de ceux qui s’allient à nous à savoir les bienfaiteurs et contre nos ennemis qui sont les malfaiteurs.Tous ceux qui viennent chez nous seront bien accueillis et bien traités, car je veux être un père pour tous. Que les présents informent les absents pour que cela soit clair pour tous. Il est bien connu que le pouvoir appartient à Allah qui le donne à qui il veut. Celui à qui il le donne est le grand gagnant. Il est du devoir religieux que le croyant aide ses frères. Salutations
Politique loyale et éclairée
De retour de sa mission de huit mois en pays Maure, entre novembre 1898 et juin 1899, cet ami des musulmans résumait ainsi, dans son rapport de mission, le profil et l’état d’esprit de ces tribus Maures qu’il admirait : « Ces tribus ont un passé dont le souvenir n’a pas disparu complètement de leur mémoire; elles ont des institutions sociales dont nous ne saurions méconnaître l’importance ; elles conservent à l’islam un attachement toujours très vif que nous avons le devoir de respecter. Ce serait une erreur de croire qu’il suffise pour se les concilier, de conclure avec elles des traités vite oubliés… Elles seront acquises pour toujours à la domination française dès que, grâce à l’effort persistant d’une politique loyale et éclairée, nous saurons leur faire comprendre les avantages de la sécurité, de la paix et du commerce. Notre action demeurera nulle au contraire, si même elle ne suscite pas la défiance et l’hostilité, tant que nous continuerons à les confondre dans une organisation commune avec les populations dont les traditions sont moins fortes et dont le sentiment national est depuis longtemps plus ou moins oblitéré. »
La Mauritanie doit reconnaitre l’œuvre exaltante de son fondateur, son combat pacifique, son rôle unificateur, et immortaliser son nom ainsi que celui des deux cheikhs cités plus haut.
Plus tard l’un de ses successeurs, le gouverneur Christian LAIGRET s’est inspiré de son projet, en rattachant les deux hodhs, presque le tiers du pays, en 1944, seize ans seulement avant l’indépendance, à la mère patrie – et que vaut la Mauritanie sans les deux Hodhs ? - achevant définitivement les frontières officielles de la Mauritanie d’aujourd’hui.
Les populations des deux Hodhs doivent apprécier à sa juste valeur l’action de ce grand administrateur qui s’est battu contre vents et marées pour les rendre à la mère patrie, en immortalisant son nom. En effet les détracteurs de Coppolani qui voyaient dans son projet une survivance de l’empire almoravide, l’avaient morcelé en rattachant les régions des deux Hodhs et de l’Azawad à la colonie du Soudan.
Cinquante deux ans après la mort de l’illustre fondateur, le père de la nation bâtisseur de la Mauritanie indépendante, Moktar Ould Daddah, lancera les jalons de la réunification de cette patrie morcelée par la colonisation, dans son discours historique du 1er juillet 1957 à Atar en s’adressant plus particulièrement aux sahraouis, exclus de la Mauritanie française par le traité de Paris: «Je ne peux m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paître nos troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot nous nous réclamons de cette même civilisation du désert dont nous sommes si justement fiers. Je convie donc nos frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et spirituelle à laquelle nous ne pouvons pas ne pas penser dès maintenant. Je leur adresse, et vous demande de leur répéter, un message d’amitié, un appel à la concorde de tous les Maures de l’Atlantique à l’Azawad et du Draa aux rives du Sénégal ».
Le père de la nation faisait allusion à cette Grande Mauritanie que Coppolani avait confectionnée à l’issue de sa tournée au Soudan et qu’il voulait comme la patrie de tous les Maures. C’est pour cette raison qu’il l’a appelée la MAURITANIE, et c’est pour la même raison qu’elle englobait les régions du Sahara occidental et de l’Azawad.
Privées de l’affection et de l’amour de leur légitime mère patrie, la MAURITANE indépendante née de la Pacification, depuis plus de 111 années pour le Sahara et plus de 55 ans pour l’Azawad, ces deux communautés pleurent toujours son absence. Elles ne retrouveront leur véritable bonheur et leur véritable prospérité que quand elles regagneront volontairement leur berceau, avec ou sans leurs territoires. Merci Coppolani.