Les conquêtes musulmanes et chrétiennes de deux autres des plus célèbres cités antiques moyen-orientales – Jérusalem et Constantinople – sont significatives de la réputation réelle que se bâtirent les deux religions, auprès des populations méditerranéennes et adjacentes. L’entrée, particulièrement modeste (1), du khalife ‘Omar, en 638, à Jérusalem, fut le fruit d’une heureuse négociation qui vit juifs et chrétiens se placer sous administration musulmane, moyennant un tribut – la fameuse jezzia – moins lourd que celui auparavant exigé par les Byzantins ; celle, beaucoup plus triomphale, du turc Mehmet II à Constantinople, en 1453, l’aboutissement d’un long siège où, bien que limité à quelques heures et à certains quartiers, le pillage fut de rigueur. Mais, même en ce cas assez peu à cheval sur les principes islamiques – en huit cents ans, beaucoup de vents avaient soufflé – on était très loin de la sauvagerie des Croisés qui avaient massacré, en 1099, toute la population de Jérusalem, brûlant, notamment, les juifs enfermés dans leur synagogue, et littéralement mis à sac, un siècle plus tard (1204), la très chrétienne Constantinople, en dix jours du plus odieux et effréné pillage.
L’édulcoration, en un sens inverse, de ces faits d’histoire, tant par la Papauté que par les historiens variablement laïcs du colonial XIXème européen, aura, en bien des points, frisé à la falsification, voire la contrefaction. Jusqu’à acquérir, aujourd’hui, permanence en ces formes frelatées, dans la représentation occidentale du Monde (2). Elle occulte, ce faisant, la réalité du travail sur la violence effectué par le Saint Coran, Mohammed (PBL) et les premiers musulmans – ses compagnons (salafiyoun) – qui la soumirent à une dimension essentielle de toute organisation sociale durable : la mesure (3). Tant en son recours qu’en son usage. Percevoir cela, c’est entendre, soit dit en passant, à quel point la dénomination de « salafistes » est inappropriée, pour désigner les terroristes contemporains à visage islamique, et tristement dérisoire, leur prétention à la revendiquer. Mais c’est, aussi, entrevoir une toute autre dynamique, dans la fulgurante expansion de l’Islam (4) au VIIème siècle. Plaçant la notion de pacte, notamment intercommunautaire, en valeur suprême – et, par voie de conséquence, celle de la forfaiture en faute gravissime, susceptible de la plus rude rigueur (5) – le modèle musulman y apparaît en projet de société équitable, tout particulièrement dans un Moyen-Orient fatigué des siècles de conflit entre Byzantins et Perses, pour le contrôle du commerce avec l’Orient.
Fidélité variable au projet social islamique
Partout où chrétiens « hérétiques », juifs et, plus généralement, populations autochtones se trouvaient en porte-à-faux avec la domination en cours – ce fut, aussi et notamment, le cas en Italie méridionale, Espagne et sud de la Francs (6) – le projet musulman, plus souvent véhiculé par les marchands que par les guerriers, fut accueilli avec attention, discuté et à ce point adopté que nombre de cités lui ouvrirent spontanément leurs portes, après avoir négocié les plus favorables possible conditions de coexistence. A la différence de tant de conquérants dont la force des armes, mue par sa seule ivresse, ne put jamais qu’aller de l’avant, laissant le pays se refermer inexorablement derrière eux, les musulmans construisaient la paix et les échanges. Tant que ceux-ci furent équitables, ceux-là gardèrent la direction des affaires, parce qu’en respectant leurs engagements – plus souvent, ceux de leurs pères – envers les non-musulmans, ils se révélaient eux-mêmes fidèles à leur propre engagement devant Dieu.
La présence, constante durant quatorze siècles, de fortes communautés non-musulmanes, notamment chrétiennes et juives, en sociétés musulmanes illustre cette fidélité. Une constance qui dut pourtant subir les aléas de l’Histoire. De quelle lecture des Textes fondateurs et des contextes de leur époque, le fatimide Al Hakim puis le seldjoukide Arslan tirèrent-ils décision, pour l’un, d’expulser juifs et chrétiens de Jérusalem ; pour l’autre, de leur en interdire désormais l’accès ; offrant ainsi le prétexte de la 1ère Croisade ? Le turco-mongol Tamerlan, fraîchement converti à l’islam, à détruire tout ce qui n’était pas sunnite ? Les Almohades, à s’efforcer d’éradiquer le christianisme d’Afrique du Nord ? Suivant les fatwas de quels sombres ou prétendus oulémas ? Quelque fortes étaient les contraintes géopolitiques de leur temps, non seulement les uns et les autres s’attaquaient aux fondements mêmes du projet universel de l’Islam et outrepassaient les limites assignées, à la violence, par le Saint Coran et le prophète (PBL), mais ils donnaient à nouveau corps à l’hydre dévastatrice des sociétés humaines : la justification des moyens par la fins.
De l’aveuglement né d’actes aveugles
Si le Saint Coran rappelle, à cet égard, que les seuls responsables de l’apparition de la corruption, « sur terre et sur mer », sont les actes des hommes, khalifes (7) de Dieu sur terre, une des règles communes à toutes les écoles traditionnelles de droit islamique insiste, elle, sur la prééminence de l’éloignement du mal sur le commandement du bien. Il est d’ailleurs assez savoureux que ce soit auprès d’un des plus fidèles élèves d’Ibn Tamiyya, si souvent cité mais trop parcellairement, hélas, par les plus pointilleux littéralistes, qu’on voit rappelée, avec le plus de netteté, la fonction essentielle de la Chari’a (8), « toute justice, miséricorde et bien » : servir l’intérêt des gens, en cette vie et vue de l’autre. Et Ibnou Qayyim de préciser : « Toute sentence qui tendrait à l’injustice, la non-miséricorde ou au mal n’est pas de la Chari’a » ; puis, plus loin, « ne pas risquer engendrer pire est une des conditions au bannissement du mal […] » (9).
Quel sort la laïcisation du Monde a-t-elle réservé aux sentences de Machiavel, si protégé par le très politique pape Jules de Médicis ? Le moins qu’on puisse dire est que les menées colonialistes et post-colonialistes des Français et des Anglo-saxons, tout au long des deux derniers siècles, les ont beaucoup banalisées, en Islam, interférant dans le fréquent repliement identitaire des juristes musulmans, contraints tant par la domination politique occidentale que par leur propre crainte de l’assimilation. Faut-il souligner, ici, le rôle des Anglo-saxons, dans l’émergence et le développement du wahhabisme ? Celui des juifs de Salonique et de leurs homologues Donmeh, dans la décision des Jeunes Turcs (si imbus de modernisme…) de déclencher, en 1915, le génocide arménien ? Ou encore de la Haganah sioniste, dans le plasticage, cinq ans plus tard, de la grande synagogue de Baghdad (10) ? Quelle que soit l’importance de ces manœuvres variablement exogènes, toujours est-il que le XXème siècle et le début du XXIème sont marqués par une dégradation sensible de la situation des communautés non-musulmanes en terres d’Islam, signe patent de ce qu’un nombre de moins en moins négligeable de leurs concitoyens musulmans n’entendent plus les fondements du projet social islamique, jusqu’à même oublier de s’interroger sur la fin qu’ils poursuivent.
Voir clair et éclairer
Situation aggravée par la déstructuration généralisée des sociétés traditionnelles. Le projet sécularisé du marché triomphant n’a besoin que de multitudes d’individus, le plus finement code-barrés possible, et d’un nombre limité d’Etats pour les encadrer, plus ou moins démocratiquement – plus ou moins despotiquement, en mode « verre à moitié vide » – selon leur position dans l’architecture du système (11). Tout converge donc à corrompre les organisations sociales préexistantes. Nationalismes, guerres, exodes ruraux et autres migrations variablement orchestrées détruisent, non seulement, les groupements traditionnels mais, aussi, leurs systèmes de communications. En particulier, entre élites et masses populaires. A cet égard, il faut remarquer par quels canaux nombre de jeunes français, nés d’immigrés musulmans ordinairement très peu au fait des fondements sociétaux islamiques, se sont intéressés à la religion de leurs parents : essentiellement les media français, bien avant les maghrébins ; plus tard, moyen-orientaux, surtout saoudiens et autres monarchiques du Golfe.
Du coup, il aura fallu, à ces jeunes – et leur faut encore, hélas – un effort particulièrement soutenu, pour s’extirper de la « traditionnelle » réduction guerrière de l’islam assénée, par les media français, depuis le déclenchement, en 1979, de la révolution populaire iranienne que ceux-ci associèrent, immédiatement et systématiquement, au plus obtus obscurantisme. Un obscurantisme variablement perceptible, au demeurant, en l’audience accordée, dans trop de media arabes, à des oulémas manifestement incapables de penser l’intégrité de l’islam, sa fonction lumineuse, dans la complexité d’un monde contemporain dont ils méconnaissent les processus, tant vitaux que morbides. Les rares intellectuels, comme Tariq Ramadan, qui s’y hissent sont systématiquement traqués, par trop de leurs homologues non-musulmans, en cinquième colonne d’un islam « organiquement », disent ces derniers, belliqueux et liberticide. Mais l’indéniable succès de Tariq aura prouvé la réelle aspiration des musulmans français à atteindre les plus profonds et sûrs fondements de leur foi et ce n’est pas plus la violence, évidemment, que l’exclusion de l’Autre.
Henri Tincq aura-t-il contribué, dans son ouvrage sur la violence et le sacré, à les aider, en bon chrétien, dans cette quête ? Si ses citations finales de quelques versets – et non « des » quelques versets, comme il le prétend : c’est par centaines que se comptent les appels coraniques à la paix et à la mesure – consacrant la coexistence pacifique entre gens de convictions différentes (12) semble avoir vernissé son discours en ce sens, il est largement passé à côté de l’essentiel : la lucidité de l’islam envers la violence. Il est globalement exact que la vulgate juive reconnaît la réalité de celle-ci, y fait largement recours, démesurément à l’ordinaire, envers les non-juifs ; que Jésus (PBL) s’y opposa, laissant, à César, bientôt empereur chrétien, et à « l’infaillibilité » des papes – avant les démocraties (« pouvoirs des peuples » prétendument souverains) – le soin de sa législation et… de son commerce ; mais c’est bien au Saint Coran et à Mohammed (PBL) qu’il advint de lui donner, dès le VIIème siècle, des limites explicites. Toujours susceptibles, il est vrai et comme ailleurs, de diverses interprétations, voire contorsions, mais réellement énoncées et auréolées du prestige de la Transcendance.
On entend bien que les convictions progressistes de Tincq l’aient empêché de valoriser cette œuvre. Mais on est tout-à-fait en droit de douter, a contrario, de celle de la sécularisation du Monde. Ce n’est certes pas l’islam qui inventé, développé et commercialisé les armes de destruction massive – on n’oublie pas que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU restent les plus grands producteurs d’armes de la planète – et, même « chirurgicaux », les « dégâts collatéraux » des interventions occidentales, hors de leurs bastions hautement sécurisés, sont largement aussi abominables que les décapitations des écervelés alqahideux et consorts. Qu’auraient à envier, à ces derniers, leurs homologues occidentaux, notamment américains, désormais plus souvent laïcs que chrétiens, en récurrente proie à de frénétiques et insensées tueries, sur leurs propres territoires ? La publication de leurs selfies sur Youtube et leur célébrité gratuitement offerte par des media étrangement complaisants ? On attend, Henri, vos Lumières (13). On mesurera, alors, les compatibilités entre votre modernisme et celui des musulmans fidèles. Tranquillisez-vous : c’est de moins en moins que vous manquerez d’interlocuteurs pour en débattre. Incha Allahou : n’est-ce pas Lui – et Lui Seul – qui sait ?
Ian Mansour de Grange
NOTES
(1) : Sans armes, vêtu du plus simple et commun habit qu’il reprisait lui-même, à l’instar du prophète (PBL), ‘Omar décline l’invitation du patriarche chrétien à prier dans sa basilique, de peur que « les musulmans ne s’en croient les nouveaux locataires », explique-t-il, et choisit l’emplacement du Rocher, alors dépourvu de tout édifice religieux. Il y fera construire une mosquée, très rudimentaire, que les Omeyyades transformeront en la célèbre Al Aqsa. Lire http://www.etudes-francaises.net/jerusalem/histoire.htm
(2) : Parler des « cavaliers d’Allah », du « sabre de l’Islam » ou des « invasions arabes » semble aller, en France, tout autant de soi qu’évoquer la « pax romana », « l’œuvre civilisatrice d’Alexandre le Grand en Orient », voire « l’invention de l’école par Charlemagne »… Seulement penser l’inverse : « pax islamica », « épée de Charlemagne », « œuvres civilisatrice de l’Islam en Occident » et autres « invasions grecques » ; suspecte déviance…
(3) : Omniprésente dans le Saint Texte – « […] Nous avons fait de vous une communauté de juste milieu […] » (2 – 143) ; « Ne suivez pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice […] » (4 – 135) ; « […] Que votre aversion envers un peuple ne vous porte pas à être injustes […] » (5 – 8) ; etc. – l’exhortation à la mesure et l’est également dans la bouche du prophète (PBL) : « La modération ! La modération ! C’est seulement par elle que vous arriverez à bon port » ou encore : « La religion est aisance et facilité. Jamais quelqu’un ne cherchera à rivaliser en force avec la religion sans que la religion ne l’écrase. Suivez plutôt la voie du milieu. Rapprochez-vous en douceur de la perfection et soyez optimistes ».
(4) : La majuscule (Islam, Chrétienté) distinguant l’organisation civilisationnelle, l’ensemble sociétal, de la religion proprement dite (islam, christianisme). Ainsi l’on peut entendre que l’islam est la religion dominante – et non pas exclusive – de l’Islam.
(5) : C’est le seul point de morale publique sur lequel le prophète (PBL) se montra intraitable, comme en témoigne, particulièrement, l’exécution de quasiment tous les mâles pubères de la tribu juive des Beni Quraïdha qui avait trahi, lors du siège de Médine (bataille du Fossé), le pacte de neutralité conclu, avec leurs concitoyens musulmans. On se souviendra, également, que l’Islam (projet de société) naquit d’un pacte : celui établi entre les musulmans mecquois et les représentants des deux tribus majoritaires de Yathrib où habitaient, également, les Beni Quraïdha.
(6) : Sous domination wisigothe depuis le Vème siècle, en dépit de récurrents raids francs, le Languedoc et la Provence à l’ouest du Rhône forment la Septimanie, très imprégnée d’arianisme, secte chrétienne croyant en la nature humaine du Christ (PBL). Le réveil du commerce méditerranéen, avec l’Islam dont la religion dominante proclame une foi analogue, et les problèmes successoraux des Wisigoths, conclus par le débarquement des musulmans en Andalousie, électrisent la situation de la Gaule méridionale. La même année (719) où Charles Martel met au pas la basse vallée du Rhône, les musulmans s’installent à Narbonne et c’est alliés au duc Mauronte, duc de Provence, qu’en 735, ceux-ci délivrent Avignon et Arles de l’emprise franque. Charles Martel ravage et récupère la Provence, quatre ans plus tard, mais ce n’est qu’en 759 que son fils, Pépin le Bref, entre victorieusement à Narbonne, achevant, ainsi, la conquête de la Septimanie. Si l’islam reflue assez rapidement du pays – il subsistera officiellement, cependant, dans le Fraxinet puis en Maurienne, jusqu’en 973 – c’est, surtout, l’enterrement définitif de l’arianisme en Gaule et l’établissement, certes encore très relatif et fragile, d’une unité politico-religieuse de la Manche à la Méditerranée.
(7) : Représentants ou, plus précisément, tenant lieu (matrice du plus équivoque « lieutenant »). A chacun de méditer le contenu théologique et humaniste des versets suivants : « Ne voyez-vous pas que Dieu a soumis à votre service tout ce qui est dans les cieux et sur la terre ? Et Il vous a comblé de Ses bienfaits, apparents et cachés. » (31 – 20) ; « C’est Lui qui a fait de vous Ses khalifes sur la terre et qui vous a élevés en rangs les uns au dessus des autres, afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. » (6 – 165) ; « La corruption est apparue, sur terre et dans la mer, à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains et afin que Dieu leur fasse goûter une partie de ce qu’ils ont œuvré. Peut-être reviendront-ils… » (30 – 41).
(8) : Voir encadré ci-contre.
(9) : Ce passage sur Ibnou Qayyim est extrait d’un précédent article, « Conjuguer le passé au présent », http://www.lecalame.info/?q=node/2153
(10) : Plus se rapproche l’inéluctable chute de l’empire Ottoman, plus les rivalités entre ses diverses communautés, en particulier les très puissantes arménienne et juive, deviennent de brûlants enjeux internationaux. Les juifs Donmeh, réputés convertis à l’islam à la suite de Shabbataï Zevi (XVIIème siècle) , et certains de leurs réputés ex-coreligionnaires de Salonique en auraient été les plus actifs pions, au sein des « Jeunes Turcs » de Mustapha Kemal. Quant à la Haganah, il s’agissait, pour elle, de provoquer des mouvements d’émigration en masse vers la Palestine. En 1920, la communauté juive mésopotamienne est la plus dense et ancienne – au moins deux millénaires et demi de présence permanente ! – du monde juif.
(11) : Démocraties « avancées », dans les pays industrialisés, dits également « centraux » ; démocraties « retardées », dans les pays sous-développés, qualifiés de « périphériques ». Une organisation source de multiples violences… Voir les analyses de la dépendance systémique (Giovanni Arrighi, Samir Amin, etc.).
(12) : Basée sur le pacte de non-agression. « Un polythéiste sans lien de parenté musulmane jouit au moins d’un droit : celui du voisin » : ce hadith authentifié du Prophète (PBL) étend, à tout non-musulman, l’aide de proximité ordonnée au musulman. Voir, notamment, ma série d’articles « Citoyenneté en islam », disponible sur simple demande à mon adresse courrielle.
(13) : dont le siècle produisit, en France, une révolution infiniment plus « progressiste », au sens suggéré par Henri Tincq, que l’iranienne mais autrement plus violente et meurtrière, avec ses quatre cent mille morts (dont la moitié en Bretagne et Vendée), en moins en dix ans… Une broutille, cependant, comparée aux dizaines et dizaines de millions de victimes cumulées des on ne peut plus laïques révolutions russe, chinoise et khmère, en guère plus de temps, contribuant généreusement à alourdir le coût humain de la sécularisation (marchandisation ?) du Monde : de la révolution française à nos jours, tous conflits confondus, quasiment un demi-milliard d’individus, civils en grande majorité…
Encadré : la Chari’a
De cha’ara : débuter, rendre clair, frayer un chemin droit, etc., la Chari’a, c’est la Voie, tracée directement par le Saint Coran et la vie du prophète (PBL). A la différence d’un simple recueil de lois et règlements, il s’agit donc d’un espace délimité en vue d’offrir une direction. Principes et règles générales y occupent une place prépondérante. Le nombre de prescriptions strictement imputables au Saint Coran varie, selon les exégètes, entre deux cents et deux cent cinquante – dont 60 % concernent, à part égale, le droit civil et celui de la famille – la portée juridique de certains préceptes restant discutable, tandis que d’autres touchent plusieurs domaines du Droit. En ce qui concerne la Sunna, le dénombrement est encore plus sujet à controverses. Beaucoup de hadiths du prophète (PBL) relèvent de la société arabe de son époque, dans des situations toujours particulières, mettant en jeu différentes personnes, et exigent une contextualisation encore plus conséquente, pour en extraire leçons universelles.
C’est de ce travail, entamé dès la mort du prophète (PBL), que vont naître les différentes écoles de fiqh (littéralement : compréhension, intelligence ; et, par glissement de sens : jurisprudence). Celles-ci ne sont donc que des méthodes d’interprétation de la Chari’a. Notamment dans le traitement des situations postérieures et/ou étrangères à l’espace-temps de la Révélation. Selon le principe commun à toutes, notons-le bien au passage, que tout ce qui n’est pas expressément interdit par la Chari’a est permis. Leur tendance, variable selon les écoles, à la fossilisation, avec la partition de l’Oumma et le développement de dominations non-musulmanes, a favorisé, d’une part, des confusions populaires, entre Chari’a, fiqh et coutumes locales anté-islamiques, au détriment de l’intelligence de la première, et, d’autre part, des réactions de rejet du second, à ce point outrancières, parfois, qu’elles en ont perdu jusqu’aux outils fondamentaux de compréhension de la Voie islamique. Remettre ceux-ci à l’évidence de tous est devenu un enjeu majeur du 15ème siècle de l’Hégire, où s’investissent un nombre croissant de savants, en ou hors école traditionnelle de fiqh.